Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Des esclaves qui frappent un chrétien
Ici orres la raison de celuy serf ou de cele serve qui fiert ou qui bate aucun Crestien ou aucune Crestiene, ou a tort ou a dreit, de cui det estre celuy serf qui a ce fait. Cil avient que aucun esclaf ou aucune esclave bateit ou faiseit aucun cop aparant a un Crestien ou a une Crestiene: la raison iuge celuy eselaf ou cele esclave quelle det estre de la seignorie, et celuy qui fu seignor dou serf est tenus de faire meger celuy qui est naffre, et li doit douner son vivre tant com il sera por celuy mau quil ne post gaaigner, et cil avenist quil morust de celuy mal, celuy serf det estre traines et puis pendus, et ce elle est esclave, si det estre arce, par dreit et par lasise dou reaume de Jerusalem, encores soit ce que la cort lait saisiee.
E.Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart, Adolf Krabbe, 1839), 232.
Ici vous entendrez la loi d'un ou une esclave qui frappe ou bat un chrétien ou une chrétienne, à tort ou à raison, et ce que doit être fait à l'esclave qui a fait ce méfait. S'il arrive qu'un ou une esclave bat ou fait une plaie ouverte sur un chrétien ou une chrétienne, la loi juge que cet esclave, homme ou femme, doit passer à la seigneurie, et celui qui était le seigneur de l'esclave est obligé de faire cicatriser le blessé, et doit assurer les biens de première nécessité pour aussi longtemps que le blessé ne peut pas travailler à cause de cette blessure, et s'il se passe qu'il meurt de cette blessure, l'esclave doit être traîné dans toute la ville et ensuite pendu, et si elle est une esclave féminine, elle doit être brûlée, selon le droit et les assises du Royaume de Jérusalem, comme si la cour l'avait confisquée.
A. Bishop
Si un ou une esclave agresse un chrétien, il ou elle doit être confisqué(e), et le maître de l'esclave doit payer les frais du blessé. Si le blessé meurt, l'esclave doit être exécuté par pendaison ou sur le bûcher.
Comme dit Buckland, "il n'y a aucun besoin de prouver la proposition générale que les esclaves étaient responsables pour leurs crimes." 1 Dans le droit romain, la peine pour un esclave qui a commis n'importe quel crime était toujours plus sévère que celle pour un homme libre (comme l'indique, par exemple, Dig. 19.19.10). Dans le droit des croisés, l'agression qui laisse une blessure évidente, qui s'est appelé "coup apparent", était normalement punie par une amende, une raclée, ou, pour les cas les plus sérieux, une coupure du poing. Des lois au même sujet existent dans les traités de Philippe de Novare (le chapitre 60) et Jean d'Ibelin (le chapitre 101), bien qu'ils ne traitent pas des esclaves. L'assise ne mentionne aucune peine pour l'esclave à part la confiscation si le blessé survivait, mais si la victime est morte, la peine était capitale, soit la pendaison pour un esclave soit le bûcher pour une esclave. Apparemment, la peine capitale était normale pour les crimes commis par des esclaves du fisc, mais cette assise est en fait la première mention de la propriété étatique des esclaves depuis le Concile de Naplouse en 1120, où une esclave était confisquée si elle était violée par son maître (le canon 13). La pendaison et le bûcher sont quelquefois les peines pour des hommes libres selon les assises des bourgeois; le bûcher n'est guère mentionné, mais c'est la peine pour un ou une pyromane. Les homosexuels étaient exécutés par bûcher selon le Concile de Naplouse, mais bien que les assises des bourgeois donnent la peine capitale pour l'homosexualité, la méthode exacte de cette peine n'est pas explicitée. La pendaison était la peine plus commune, pour le meurtre et des vols et agressions répétés, et elle était aussi la peine normale pour celui qui était vaincu au cours d'un combat judiciaire (peu importe le crime original). Comme il est décrit dans les chapitres précédents, la pendaison était aussi la peine pour la vente d'un homme libre comme esclave, et pour le recel d'un esclave fugitif. Normalement les assises ne mentionnent ni la religion ni l'origine ethnique des esclaves, à part certains chapitres qui disent que les esclaves peuvent s'affranchir en se convertissant au christianisme, ce qui laisse entendre que les esclaves étaient au moins non-chrétiens, si pas nécessairement toujours musulmans. Dans la présente assise, les esclaves sont considérés comme différents des chrétiens qu'ils ont agressés. Les chrétiens ne pouvaient pas être esclaves selon le droit de l'Orient latin, mais parfois les chrétiens d'Orient passaient pour musulmans et étaient également vendus au marché aux esclaves. Les esclaves connaissaient bien cette loi et l'exploitaient, ce qui avait pour effet de nuire à l'économie des Croisés qui dépendait de l'esclavage musulman. Les esclaves musulmans étaient si souvent désireux de se convertir que le Pape Grégoire IX décida que les musulmans convertis resteraient esclaves, contrairement, aussi bien, au droit canonique qu'au droit des Croisés.234 Ceci est également permis par le statut de Jaffa, donné par le légat papal Eudes de Châteauroux en 1253. Donc, les esclaves ne pouvaient pas échapper à leur crimes en se faisant baptiser, mais souvent ils ne pouvaient pas échapper à la servitude non plus. Voir aussi le chapitre 264 pour les peines appliquées (ou plutôt, l'absence de celles-ci) aux chrétiens qui frappent un esclave.
1 . W.Buckland, The Roman Law of Slavery (Cambridge, 1908), 91.
2 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 208-211.
3 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
4 . A.Tautu, ed.Acta Honorii III et Gregorii IX 1227-1241 (Vatican, 1950), no. 228.
chrétiens ; esclaves ; musulmans ; violence
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Claire Chauvin : relecture -corrections
Notice n°136969, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136969/.