Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Un esclave peut hériter des biens de son maître
Ici orres la raison de celuy qui fait son heir de son serf, et de quei est puis tenus de faire celuy serf, veille ou non. Sil avient que aucuns fait son heir de son serf, bien le peut faire, et y tel heir si est heir necessaire. Et si coumande la raison que celuy heir est tenus de prendre leritage de son seignor si tost com ses sires yert mors, ou seit quil le veille ou seit que non. Et si comande la raison quil est tant tost frans, ia soit ce que ces sires nel deyst qui[l] fust frans. Car la lei et lasise lentent et iuge que fu tes la volente de son seignor que il le faiseit franc, puis que il le faiseit son heir de tous ses biens. Et si comande et iuge la raison que celuy serf ou serve qui est devenus heir de son seignor ou de sa dame est tenus de paier tout ce que celuy sien seignor ou dame devet qui son heir la fait de tous ces biens. Mais ce tant est chose que ce quil a receu de son seignor ou de sa dame ne vaut tant com la dette monte: la raison done par dreit iugement que celui serf nest tenus de plus paier se non tant com vauront les choses de son seignor ou de sa dame de cui il est devenus heir, et non de plus. Et cil ne veut paier la dette de son seignour, bien peut livrer les maisons quil a receues de son seignor ou autres choses, quei que se seit, as detours por faire nent leur volentes, et celuy en est atant quite. Et tout ce puis que celuy serf gaaignera apres la mort de son seignor, tout deit estre sien propre, ni les detours de son seignor ne li en pevent riens demander, ne il nen est riens tenus de douner leur, ce il ne le veut faire par sa bone volente, ia soit ce que ceaus detors ne se puissent paier des choses dou mort. Et ce est dreit et raison par lasise dou reaume de Jerusalem.
E. Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 225.
Ici vous entendrez la loi de celui qui fait son esclave son héritier, et de ce que cet esclave est obligé de faire, qu'il le veuille ou non. S'il arrive que l'on fait son esclave son héritier, il peut bien le faire, et un tel héritier est valable. La loi ordonne que cet héritier est obligé de faire l'héritage de son seigneur, aussi tôt que son seigneur sera mort, qu'il le veuille ou non. En outre la loi ordonne qu'il est libre tout de suite, même si son seigneur n'a pas dit qu'il serait libre, car la loi et les assises font savoir et jugent qu'il était la volonté de son seigneur qu'il serait libre, lorsqu'il l'a fait l'héritier de toute sa propriété. La loi ordonne et juge que cet esclave qui est devenu l'héritier de son seigneur ou de sa dame est obligé de payer toutes les dettes que doit son seigneur ou sa dame qui l'a fait l'héritier de toutes sa propriété, mais s'il se passe que ce qu'il a reçu de son seigneur ou de sa dame ne vaut pas autant que monte la dette, la loi ordonne à bon droit que cet esclave n'est obligé de payer que ce que vaut la propriété de son seigneur ou de sa dame dont il est devenu l'héritier, et non plus. Et s'il ne veut pas payer la dette de son seigneur, il peut bien céder les maisons qu'il a reçues de son seigneur, ou d'autres choses, quelles qu'elles soient, aux créanciers, pour qu'ils puissent en faire ce qu'ils veulent, et il n'en est plus tenu pour responsable. Et tout ce dont cet esclave fait l'acquisition après la mort de son seigneur doit être sa propriété, et les créanciers de son seigneur ne peuvent lui en demander rien, et il n'est rien obligé de leur donner, s'il ne veut pas le faire de son plein gré, même si les créanciers ne peuvent pas se récompenser de la propriété du seigneur qui est mort. Ceci est droit et raison selon les assises du royaume de Jérusalem.
A. Bishop
Cette assise indique qu'un ou une esclave deviendrait libre automatiquement si son maître lui léguait ses biens. L'esclave ne pourrait pas refuser l’héritage, et il serait obligé de payer les dettes de son ancien maître. A part cela, il ne devrait rien, et il pourrait acquérir sa propre propriété, comme toutes d'autres personnes libres.
Comme la majorité des assises des bourgeois, cette assise ne mentionne pas que les esclaves étaient normalement musulmans, mais on y fait allusion dans d'autres chapitres discutant le baptême d'esclaves. La conversion au christianisme était un moyen pour l'esclave d'obtenir l'affranchissement, étant donné que les chrétiens ne pouvaient pas être esclaves selon le droit de l'Orient latin (bien que parfois les chrétiens d'Orient soient passés pour musulmans et aient été également vendus).12 Cependant, il est difficile de savoir si la liberté était une condition de la conversion (c'est-à-dire, s'il fallait, pour devenir libre, qu'un esclave se convertisse mais que cette condition n'était pas nécessairement suffisante), ou son résultat (un esclave était automatiquement libéré dès lors qu'il se convertissait).3
Cette assise ne mentionne pas le baptême, mais on peut supposer qu'en ce cas un esclave musulman serait baptisé, car les musulmans ne pourraient pas hériter la propriété d'un chrétien selon le droit des croisés.4 (En fait, cela est une des raisons pour lesquelles il est interdit aux musulmans et chrétiens de se marier, dans le chapitre 177.)
L'assise note également qu'une esclave peut hériter la propriété, ce qui est similaire à d'autres assises des bourgeois. Les femmes en général pouvaient hériter selon le droit des croisés, même les grands fiefs,5 et les assises de mariage disent que les épouses sont les héritiers principales de leurs époux (par exemple les chapitres 180 et 183).
Il semble que les trois chapitres précédents (200 à 202) proviennent d'un code légal provençal du XIIe siècle, Lo Codi, qui dérive à son tour du droit romain. Cette assise ne se trouve pas dans Lo Codi, mais il provient bien du droit romain, où un esclave aurait également été affranchi s'il était nommé l'héritier de son maître (Cod. 6.27).
1 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 208-211.
2 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
3 . B.Kedar, Crusade and Mission: European Approaches toward the Muslims (Princeton, 1984), 76.
4 . M.Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 263-264.
5 . J.Riley-Smith, 15.
affranchissement ; conversion au christianisme ; esclaves ; musulmans ; testament
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Claire Chauvin : relecture -corrections
Notice n°136801, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136801/.