Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Des hommes libres qui consentent à se vendre en esclavage
Ici orres la raison de celui qui est franc et se seuffre a vendre por Sarasin par sa volente, quel dreit en deit estre. Se il avient que aucuns hons qui est graindres de XV ans seuffre que autre le vende por Sarasin par la vile, et celuy qui le vendy ot lune partie dou pris de cele vente, et celui qui fu vendu ot lautre partie de cele vente: la raison iuge et comande a iuger que celuy devient serf a tous iors de celui ou de cele qui laura achete, et ne peut puis dire que il seie frans. Mais ce il ne prist sa part dou pris de ce que il fu vendu, et celui ou cele qui lacheta savet bien quil estoit frans: la raison iuge que celui nest mie devenus serf por cele vente, mais est tenus celui qui le vendy de rendre li celuy pris que il ot de luy vendre, por ce que celui se soufri a vendre de grant mesaise quil avet de fain. Et celuy ou cele qui achetet a son essient Crestien ou Crestiene, si det perdre ce quil avet done, par dreit. Et celuy qui le vendi est tenus de servir a la seignorie tant dans com lon peut aver por cele monee I sergent a son servise, ce est por cele monee don il vendy celuy, et le peut bien tenir la cort en fers, se il ne sont bien seur de luy, iusque a tant quil ait deservi ce dont il est encheus de faire par sa colpe meismes ou par son mal engin. Et la cort est tenue de douner li au mains a manger pain et aigue, se plus ne li veut douner, entant come il det servir. Et ce il est tes hom qui ne veille servir, mais ce veut raembre, bien le peut faire par dreit, et si iuge la raison quil det douner, puis quil ne le veut servir de son cors, treis itaus a la cort con fu celuy pris que il vendi celuy ou cele Crestiene, et ce est dreit et raison. Mais c il avient que celuy vendy le Crestien ou la Crestiene maugre sien ou sans son seu: la raison iuge que celuy ou cele qui ce averet fait si deit estre traînes par la vile, et puis det estre pendus. Car ce est raison et dreis par lassise dou reaume de Jerusalem.
E.Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 228.
Ici vous entendrez la loi de l'homme libre qui offre de se vendre comme un Sarrasin de son plein gré, et ce quel droit en découle. S'il arrive qu'un homme, qui a plus de quinze ans, se laisse vendre par une autre personne dans la ville comme un Sarrasin, et que celui qui l'a vendu garde une partie du prix payé pour la vente, et que celui qui était vendu garde l'autre partie du prix, la loi juge et ordonne que celui-ci devient un esclave de la personne qui l'a acheté pour la reste de sa vie, et il ne peut plus s'appeler un homme libre. Mais s'il n'a pas gardé une partie du prix pour lequel il était vendu, et celui ou celle qui l'a acheté savait bien qu'il était un homme libre, la loi juge qu'il n'est pas devenu un esclave à cause de cette vente, mais celui qui l'a vendu est obligé de rembourser le prix qu'il a reçu de la vente, puisqu'il se laisse vendre en raison de sa détresse à cause de sa faim. Et celui ou celle qui a acheté consciemment un Chrétien ou une Chrétienne doit perdre tout ce qu'il a payé pour l'achat, selon le droit. Et celui qui l'a vendu est obligé d'être au service du seigneur pour aussi longtemps qu'un esclave devrait servir afin de payer le prix pour cette vente, c'est-à-dire pour rembourser le prix qu'il a reçu pour la vente, et la cour peut l'enchaîner si elle n'est pas sûre de lui, jusqu'à ce qu'il ait réalisé ce qu'il est obligé de faire à cause de ce délit ou cette malfaisance. Et la cour est obligée de lui fournir du pain et de l'eau, même si elle ne veut lui fournir aucune autre chose, pour aussi longtemps qu'il doit servir. Et s'il est le genre de personne qui ne veut pas servir, mais il veut se racheter, il peut bien le faire, selon le droit, et puisqu'il ne veut pas donner service corporel, la loi juge qu'il doit payer à la cour un montant trois fois plus grand que le prix pour lequel il a vendu le Chrétien ou la Chrétienne, car ceci est juste et raisonnable. Mais s'il se passe qu'il a vendu le Chrétien ou la Chrétienne1, consciemment ou non, la loi juge que celui ou celle qui l'a fait doit être traîné par la ville, et ensuite doit être pendu, car ceci est juste et raisonnable selon les assises du Royaume de Jérusalem.
1 . Le manuscrit vénitien ajoute "aux musulmans", ce qui peut expliquer la peine plus sévère
A. Bishop
Cette assise traite d'un chrétien libre qui offre de se vendre comme esclave. S'il garde la moitié du prix de l'achat, il doit rester esclave, mais s'il ne prend aucun argent, légalement il n'est pas considéré comme esclave. En ce cas, l'argent versé par l'acheteur sera confisqué, et le vendeur devra travailler comme un domestique pour l'état. Il peut payer la cour pour être libéré de son service, mais il doit payer trois fois plus que le prix qu'on lui a payé pour l'esclave chrétien. S'il a vendu l'esclave chrétien à une autre personne, il subira la peine capitale.
La servitude pour dette existait dans le droit antique ; l'analyse des Douze Tables par Aulus Gellius dans son Noctes Atticae (20.1.42-52) mentionne qu'un homme peut être réduit en esclavage pour ne pas avoir payé sa dette, mais, comme il est décrit dans la présente assise, l'homme doit être à l'abri du besoin. Aristote indique (Constitution des Athéniens 2) que jusqu'à l'époque de Solon les Athéniens pouvaient être réduits en esclavage pour dette. Cependant, la servitude pour dette n'existait plus dans le droit romain impérial.1 Il est donc assez étrange de trouver la servitude pour dette dans le droit des croisés, mais quelque soit l'origine de cette assise, son intérêt pour nous se trouve dans son implication que les esclaves étaient normalement musulmans. Cela n'est explicité que rarement dans les assises, qui mentionnent que les esclaves pouvaient être affranchis en se convertissant au christianisme, ce qui également implique qu'ils étaient musulmans ou au moins non-chrétiens (ou bien non-catholiques), car les chrétiens ne pouvaient être esclaves selon le droit des croisés.23 Cette assise montre aussi que, dans l'esprit des croisés, les musulmans étaient assimilés à la servitude. Il est probable que les croisés n'aient jamais pensé aux musulmans habitants leur royaume, à moins d'être obligés d'être à leur contact, par exemple quand les musulmans servaient comme esclaves. Autrefois les musulmans sont rarement mentionnés dans les sources littéraires et légales de telle sorte qu'il semble presque que l'auteur ait pensé à eux dans un deuxième temps.4 Le manuscrit vénitien des assises des bourgeois (dans lequel ce chapitre a été imprimé comme le chapitre 187 dans l'édition de Kausler et chapitre 209 dans celle de Beugnot) ajoute que l'esclave chrétien ne pouvait pas être vendu aux musulmans en particulier, ce qui montre de plus le statut juridique plus bas des musulmans au Royaume de Jérusalem.
1 . W.Buckland, The Roman Law of Slavery (Cambridge, 1908), 402.
2 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford: Oxford University Press, 1980), 208-211.
3 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London: Macmillan, 1973), 62-63.
4 . H.Mayer, "Latins, Muslims, and Greeks in the Latin Kingdom of Jerusalem," History 63 (1978), repr. in Probleme des lateinischen Königreichs Jerusalem (Aldershot, 1983), 175 et 185.
chrétiens ; dette ; esclaves ; musulmans
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Claire Chauvin : relecture -corrections
Notice n°136966, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136966/.