In transmarinis partibus
On ne peut interdire aux esclaves musulmans de se faire baptiser, mais ils ne seront pas libérés en se convertissant au christianisme
Patriarche Jerosolymitano apostolicae sedis legato, archiepiscopis et episcopis et ceteris ecclesiarum prelatis in Syrie partibus constitutis, presentes litteras inspecturis. In transmarinis partibus sepe sepius accidisse dicitur, quod multi sclavorum qui habentur ibidem, amorem catholice fidei pretendentes, ad hoc solum sacramentum baptismatis perceperunt ut, obtenta libertate que secundum terre consuetudinem talibus indulgetur, abirent in viam gentium extra Dei notitiam positarum. Hac igitur de causa, necnon ex eo quod aliqui ex vobis et quidam religiosi partium earundem nolunt huiusmodi sacramenti pretextu sclavos ammittere, ipsis petita humiliter baptismi gratia denegatur. Verum cum ex hoc, non absque Redemptoris offensa et scandalo timentium Dominum nimis saluti depereat animarum, mandamus quatenus illos saltem ex sclavis eisdem qui pure et simpliciter propter Deum ascribi fidelium collegio cupiunt et deposcunt, in servitute pristina permansuri, baptiçari libere permittatis; circa ipsos, quibus facultatem adeundi ecclesiam et percipiendi sacramenta ecclesiastica concedatis, illud humanitatis studium exercentes, quod et divine voluntati sit placitum, et fidei proferat incrementum. Datum ut supra [Viterbii, V kal. Augusti, anno undecimo]. In eundem modum Magistro et Fratribus Hospitalis Jerosolimitan. In eundem modum Magistro et Fratribus Militie Templi. In eundem modum Preceptori et Fratribus Hospitalis Sancte Marie Teutonicorum Jerosolim. in Accon.
B.Kedar, Crusade and Mission: European Approaches toward the Muslims (Princeton University Press, 1984), app. 2a, 212.
Au Patriarche de Jérusalem, légat du siège apostolique, aux archevêques, évêques et à tous les prélats de l’Église établis en terres de Syrie, afin qu’ils lisent attentivement la présente lettre. Dans les territoires au-delà de la mer, on raconte qu’il arrive souvent qu’un grand nombre des esclaves qui sont possédés là-bas, prétextant l’amour de la foi catholique, a reçu le sacrement du baptême à cette seule fin que, une fois leur liberté obtenue, accordée avec bienveillance à de tels hommes selon la coutume, ils s’éloignassent sur la route des gentils 1 placés hors du regard de Dieu. A cause de cela, donc, et aussi parce que quelques uns d’entre vous et parmi les gens de religion du même territoire refusent de laisser partir les esclaves au prétexte de ce sacrement, la grâce du baptême humblement demandée par ceux-là leur est refusée. Mais, comme à cause de cela pour la disgrâce du Rédempteur et le scandale de ceux qui craignent Dieu, trop d’âmes perdraient le salut, nous vous donnons conseil que d'autoriser à être baptisé librement au moins ceux de vos esclaves qui désirent et demandent avec pureté et simplicité d'être inscrits au collège de la foi auprès de Dieu, et qui resteront dans leur servitude antérieure ; concernant ceux, à qui vous permettriez la possibilité d'aller à l’église et d’en recevoir les sacrements, exerçant la bonté avec ardeur, que cela plairait à la volonté divine, et aussi que cela étendrait le développement de la foi. Donné à Viterbo, le 5ème jour avant les calendes d’août, la onzième année de notre pontificat. De la même manière, au maître et aux frères de l’Hôpital de Jérusalem. De la même manière, au maître et aux frères Templiers. De la même manière au précepteur et aux frères de l’Hôpital Sainte Marie des Teutoniques, à Acre.
1 . Matthieu 10:5, « in viam gentium »
C. Chauvin
C'est l'une des quelques lettres envoyées par les papes à Jérusalem et à Chypre, au XIIIème siècle, concernant les musulmans qui souhaitaient se convertir au christianisme. Les maitres chrétiens sont préoccupés par le fait que leurs esclaves musulmans ne veuillent pas se convertir sincèrement, mais sachent que, selon les lois de Jérusalem, ils seraient libres une fois convertis, et ensuite pourraient fuir en direction du territoire musulman. Pour cette raison, les croisés refusaient simplement de laisser convertir leurs esclaves. Cette lettre a été adressée au légat pontifical et patriarche de Jérusalem, Gérard de Lausanne, ainsi qu'à tous les autres prélats à l'est de la Méditerranée. Des lettres différentes ont été envoyées aux maîtres des Hospitaliers, des Templiers, et des Chevaliers Teutoniques.
Les assises des bourgeois de Jérusalem mentionnent souvent les esclaves et les manières de les affranchir, mais elles traitent rarement de façon explicite les musulmans qui voudraient se convertir au christianisme. Cependant, parce que l'une des manières de recouvrer sa liberté était de se convertir au christianisme, la conclusion la plus probable était qu'ils étaient normalement musulmans.12 La lettre de Grégoire IX renvoie également de façon implicite aux convertis musulmans qui, c'était redouté, fuiraient vers le pays des gentils, le territoire musulman voisin. Les assises des bourgeois de Jérusalem elles-mêmes mentionnent également "la coutume du pays", qui garantit aux convertis d'être libérés de leur servitude (voir, par exemple, le chapitre 200 des assises).
La conversion n'était pas la seule manière pour un esclave d'être affranchi ; d'autres procédés sont indiqués au chapitre 204 des assises. Il était certainement possible de demeurer musulman, même si un esclave converti au christianisme bénéficiait de plus de droits légaux à Jérusalem et à Chypre.3
Il n'y a eu de plus aucune tentative de convertir les musulmans dans le royaume au XIIème siècle. Pendant la première moitié du XIIIème siècle, les ordres mendiants (dominicains, franciscains, carmélites) se sont établis en Orient, et les seigneurs croisés séculières ont résisté à leurs tentatives de prêcher auprès des esclaves musulmans. Les ordres mendiants se sont plaints que les autorités séculières empêchaient le prêche du christianisme, tandis que les seigneurs se plaignaient de risquer de perdre une source non négligeable de revenus si leurs esclaves étaient autorisés à se convertir et étaient affranchis. En réponse, Grégoire IX ordonna que les esclaves devaient être autorisés à se convertir, mais que désormais ils ne seraient plus affranchis du fait de cette conversion.4
Les lettres n'ont eu aucun effet à Jérusalem. Les croisés les ont ignorées, peut-être parce que Grégoire IX essayait de passer outre les assises établies. Il écrivit une lettre semblable l'année suivante (voir Intelleximus quod nonnulli), et la même idée fut répétée par le légat du pape Eudes de Châteauroux en 1253 (voir les Statuts de Jaffa) et par le pape Urbain IV en 1264. (voir Nonnulli sicut accepimus).5
1 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 208-211.
2 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
3 . M. Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 263-264.
4 . B.Kedar, Crusade and Mission: European Approaches toward the Muslims (Princeton, 1984), 146-147.
5 . Kedar, 148-151.
affranchissement ; baptême ; conversion au christianisme ; esclaves ; musulmans
Claire Chauvin : traduction
Notice n°246447, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait246447/.