Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Assise relative aux testament des affranchis
Ici orres la raison dou batie ou de lesclave batiee qui est morte et ait fait testament, et quel raison a en ces choses celui ou cele qui le franchi, ce est qui le fist faire Crestien. Sil avient que aucun esclaf ou esclave que son seignor ou sa dame ait fait faire Crestien et franchi, et celuy batie ou batiee vient a mort et fait testament: la raison coumande et iuge que celuy seignor ou cele dame de celuy batie ou de cele batiéé nen ont puis nule raison es choses de celuy batie contre sa volonte puis quil a fait devise, ou soit que celuy batie ait enfans ou non. Ce est veirs, se celuy batie ou batiee avoit se gaaignee despuis que il fu frans, sans se de son seignor ne de sa dame, mais par son sens ou par saventure ou par ce que dones li fu en mariage par feme que il prist. Et ce il ne fist testament et il avet enfans, si comande la raison que tout det estre de ces enfans ce que il avet, par dreit. Et cil navet point de leaus enfans, mais avet autres enfans de samie, la raison iuge et comande que celuy batie ou batiee est tenus de laisser a sa mort a son seignor ou a sa dame qui le franchi la tierce part de tous ces biens, et en maisons et en aveir, et des autres II pars peut bien faire sa volente. Mais se il ne laissa se a son seignor ou a sa dame, la raison iuge et coumande que le seignor ou la dame de celuy batie ou batiee pueent prendre le tiers de tout ce que celuy avet laisse de tous ceaus et de toutes celes a qui il averet ces choses laissees, ou sans testament ou o testament, dedens lan et le ior que celuy batie ou batiee avera este mort. Car puis que lan et le ior sereit paces, cil qui avereent les choses nen sont puis tenus de riens rendre a nuluy, par dreit ne par lasise de Jerusalem. Et tout autel dreit come est devise qui a le seignor ou la dame es choses de son batie ou de sa batiee, tout autel raison y ont les anfans dou seignor ou de la dame de celuy batie puis que leur pere ou lor mere sont mors, et le deivent partir igaument entreaus. Car ce est dreit et raison.
E. Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 220.
Ici vous entendrez la loi au sujet d'un ou d’une esclave baptisé, qui est mort et a fait un testament, et quels droits sur son héritage a celui ou celle qui l'a libéré, c'est-à-dire l'a fait chrétien. S'il se passe qu'un ou une esclave a été fait chrétien par son seigneur ou sa dame, et qu'après il est mort et a fait un testament, la loi ordonne et juge que le seigneur ou la dame du baptisé ou de la baptisée n'ait aucun droit sur les biens du baptisé ou de la baptisée contre la volonté du baptisé exprimée dans son testament, que le baptisé ait des enfants ou non. Cela est vrai si le baptisé ou la baptisée a reçu des biens après qu'il a été affranchi, sans assistance de son seigneur ou de sa dame, mais par son intelligence ou sa chance, ou des biens qui lui ont été donnés par sa femme en mariage après qu'il l'a épousée. Et s'il n'a pas fait de testament et a des enfants, la loi ordonne que tout ce qu'il a doit être légué à ses enfants. Et s'il n'a pas d’enfant légitime, mais a des enfants de sa concubine, la loi juge et ordonne que le baptisé ou la baptisée est obligé à sa mort de léguer à son seigneur ou sa dame qui l'a affranchi le tiers de tous ses biens, meubles et immeubles, et il peut faire tout ce qu'il veut avec les deux tiers restant. Mais s'il ne l'a pas légué à son seigneur ou sa dame, la loi juge et ordonne que le seigneur ou la dame du baptisé ou baptisée peut confisquer le tiers de tout ce qu'il a légué à tous ceux ou celles à qui il l'a légué, qu'il ait fait un testament ou non, avant qu'un an et un jour ne se soient écoulés depuis le décès du baptisé ou de la baptisée. Car après qu'un an et un jour se sont écoulés, ceux qui ont les biens ne sont obligés de rendre rien à aucune personne, selon le droit et les assises de Jérusalem. Et comme il a été mentionné ci-dessus, le seigneur ou la dame a les mêmes droits sur les biens du baptisé ou baptisée que ses enfants, et ils doivent les partager en parts égales entre eux, car cela est juste et raisonnable.
A. Bishop
Cette assise s'intéresse aux droits de propriété et de succession de l'ancien esclave qui est devenu chrétien. En sa qualité de chrétien affranchi, il a accès au mariage, à la propriété, à la succession, à instituer des héritiers par testament et à léguer ses biens à ses enfants. Néanmoins, s'il a des enfants illégitimes, son ancien maître peut prétendre à un tiers de sa propriété dans un délai d'un an et un jour après la mort du de cujus. L'assise proclame en conclusion qu'il n'y a aucune différence légale entre le lien de parenté d'un ancien esclave avec ses enfants et celui de l'ancien maître avec ses propres enfants. L'assise suivante traite des anciens esclaves qui meurent sans enfants et sans avoir testé.
Les esclaves étaient une partie importante de l'économie des croisés. Il y avait un grand marché aux esclaves à Saint-Jean d'Acre, où des prisonniers de guerre et autres captifs étaient vendus. Les esclaves étaient généralement musulmans, mais cela n'est explicité que rarement dans les Assises des bourgeois. La présente assise est une des rares faisant état de la possibilité qu'avaient les esclaves de bénéficier d'un affranchissement s'ils se convertissaient au christianisme, ce qui indique bien que ces esclaves n'étaient pas, à l'origine, chrétiens, si pas nécessairement musulmans. De fait, les chrétiens ne pouvaient pas être réduits en esclavage selon le droit de l'Orient latin (bien que parfois les chrétiens d'Orient soient passés pour musulmans et aient été également vendus).12 Cependant, les textes ne disent pas clairement si la conversion était une condition nécessaire mais non suffisante de la liberté (c'est-à-dire, s'il fallait, pour espérer obtenir la liberté, se convertir, mais si un esclave converti n'était pas nécessairement libéré), ou si la libération était obligatoire (un esclave serait toujours libéré dès lors qu'il se convertit).3 Les hommes affranchis, ou "libertins", avaient plus de droits légaux et sociaux que les esclaves, mais moins que ceux qui étaient libres depuis leur naissance. Ainsi, il leur était interdit de poursuivre leurs anciens maîtres (dans le chapitre 16), mais selon la présente assise, ils pouvaient se marier hériter, et léguer leurs biens comme une personne libre. Cependant, s'ils avaient des enfants illégitimes, leurs anciens maîtres pouvaient prétendre à un tiers de sa propriété. Nader suggère que cette règle voulait éviter que les biens du défunt ne tombent dans le patrimoine de sa famille élargie qui, probablement, était toujours musulmane. En effet, selon le droit des croisés, les musulmans ne pouvaient pas hériter de la propriété de chrétiens.4 Cette règle est similaire à Inst. 3.7 (qui, lui-même, renvoie aux lois des Douzes Tables). Comme l'a noté Prawer, quelques règles de droit romain sont parvenues à Jérusalem par l'intermédiaire du Lo Codi, traité de droit provençal du XIIe siècle. Ce traité contient la même loi que celle des assises des bourgeois (Lo Codi 6.21-23 en version occitane, 6.19-20 en version latine). L'assise précédente précisait que la propriété d'une personne mourant intestat et sans enfants tomberait dans le patrimoine de la seigneurie ; l'assise présente ne traite pas des esclaves qui meurent sans testament, mais la suivante dit que leur propriété échoit à leurs anciens maîtres.
1 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford: Oxford University Press, 1980), 208-211.
2 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London: Macmillan, 1973), 62-63.
3 . B.Kedar, Crusade and Mission: European Approaches toward the Muslims (Princeton, 1984), 76.
4 . M.Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 263-265.
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°136634, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136634/.