Le Livre de Forme de Plait
Les amendes payées pour une agression
Au coumencement, quant les premieres assises furent faites, fu ordené et aprés usé, quant aucun se clamoit d’autre, disant que il l’aveit feru de main ou de pié ou de baston, se cil l’otroiet d’orgueil ou pour veir dire, il paiet .c. besanz au seignor et .c. sols au feru, se il esteit Franc, et, se il esteit Surien ou Grifon ou serf en aucune manière, .l. besanz au seignor et .l. sols au feru ; et se le clamor esteit de cop d’arme esmolue ou de mace de fer, il deveit perdre le poing. Et s’il voleit le cop neier, de que qu’il fust, et le feru le peust prover par .ii. leiaus garens de la lei dou feror, il esteit encoru de la paine dessus devisé, sauve d’arme esmolue ou de mace de fer, et y avreit tornes de bataille, por ce que la paine est si grant com de perdre membre[…]
Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. P. W. Edbury ( Nicosia, 2009).
Au commencement, quand les premières assises furent réalisées, il a été ordonné, et ceci est devenu l’usage, que quand quelqu'un portera plainte contre un autre, disant que l'autre l'a frappé de la main, du pied ou avec un bâton, et que l'autre, par fierté ou pour dire vrai, aura admis les faits, qu’il paie 100 besants au seigneur et 100 sous à l'homme frappé si ce dernier est franc, 50 besants au seigneur et 50 sous a l'homme frappé s'il est Syrien, Grec, ou serf de n’importe quelle origine ; et si la réclamation vise un coup assené par une arme bien aiguisée ou par une masse à fer, il devra perdre sa main. S'il a voulu nier le coup, peu important la manière par laquelle il a été asséné, et que l'homme frappé peut le prouver par deux témoins vrais de la même religion que l'agresseur, il sera puni par la peine mentionnée ci-dessus, sauf pour un coup asséné d'une arme bien aiguisée ou d'une masse à fer, pour lequel il devra y avoir combat judiciaire, car la perte d’un membre est une peine d’une grande gravité[...]
A. Bishop
Cette assise traite des différents types d'agressions. Si un homme a été agressé par coups de poing ou de pieds, ou avec une arme émoussée, l’agresseur doit 100 besants au seigneur et 100 sous à la victime si elle est franque, 50 besants et 50 sous si elle est grecque, syrienne, ou s'il s'agit d'un serf, y compris, vraisemblablement, si ce dernier est musulman. Si l'agression a été réalisée avec une arme aiguisée, l'agresseur perdra la main. Si l'accusé nie l'accusation, le plaignant doit établir les faits par deux témoins appartenant à la même religion que celle de celui qu'il accuse. Puis Philippe explique les autres types d’agressions et leurs peines ; une agression suivie de mort est assimilée à un homicide. Il existe un assise similaire dans le traité de Jean d'Ibelin, qui distingue les agressions entre chevaliers de celles qui concernent d'autres personnes. Selon Jean, l'amende pour une agression commise contre un chevalier est 1000 besants.
Cette assise s'intitule "l'assise dou rei Baudoin de cop aparant", et compte parmi les premières du Royaume de Jérusalem au XIIe siècle. Il semble que cette loi fut édictée au même moment, ou juste après l’assise de meurtre, que Philippe traite également. Maurice Grandclaude estime que le "Roi Baudouin" nommé dans cette assise est Baudouin Ier, mais admet que ceci ne peut être établi avec certitude.1 Auguste-Arthur Beugnot estime également que le roi concerné est Baudouin Ier.2 John La Monte croit, de son côté, que l'assise remonte plus tard dans le XIIe siècle, vers 1180, et qu'ainsi le roi est Baudouin IV.3 Joshua Prawer a suggère Baudouin III, qui par ailleurs était célébré pour sa sagesse de législateur.4 Si l'on en croit Philippe, il existait deux versions de cette assise. La première menait trop souvent aux ordalies et la seconde, et présente version, privilégiait les modes de preuves par témoignage et serment. La variation des amendes et peines en fonction de la religion des victimes doit être rapprochée de la hiérarchie établie entre les témoignages recevables, que donnent ailleurs Philippe et Jean. Il faut noter en particulier que le plaignant est tenu de produire deux témoins de la religion de l'accusé, même si ce n'est pas la même que la sienne. En général, les non-chrétiens ne pouvaient témoigner que contre les membres de la même religion qu'eux, et seulement devant les cours "basses". Cette règle empêchait "la très grande majorité de la population" de participer à la Haute Cour.5 En pratique, comme il est souligné dans cette assise, leur témoignage pourrait être accepté dans la Haute Cour, mais seulement contre une personne de la même religion.
1 . M. Grandclaude, "Liste des assises remontant au premier royaume de Jérusalem (1099-1187)," in Mélanges Paul Fournier (Paris, 1929), 336-338.
2 . A.-A. Beugnot, ed., Recueil des historiens des croisades, vol. 1 : Lois (Paris, 1841), repr. (Farnborough, 1967), xxii.
3 . J. L. La Monte, Feudal Monarchy in the Latin Kingdom of Jerusalem (Cambridge, 1932), repr. (New York, 1970), 30.
4 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 428.
5 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, éd. et trans. P. W. Edbury (Nicosia, 2009), ch. 28, n. 122.
musulmans ; témoignage ; violence
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°87453, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait87453/.