Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Les esclaves affranchis ne peuvent pas poursuivre leurs maîtres en justice.
Ici orres quell paine doit paier celui esclaf ou cele esclave qui mete son seignor en plait. Encement cil avient que le libertin, ce est seluy qui fu esclas Sarasin et est fait Crestien, si ne peut ni ne deit son seignor apeler par celes raisons que sont dites desus dou fis familias qui est en poier de son pere. Et cil avenoit que le libertin clamast a plait son seignor ou sa dame ou ces anfans : si ne le deit la cort oyr, mais arester come celuy qui est encheus de douner a la cort L besans, la ou fu le clain, et ce il nen a tant de quei il puisse ce paier, si li deit on coper la lengue, ce sest lait crim don il apela son seignor ou sa dame ou ces anfans, et deit estre de la cort par dreit et par lasize.
E. H. Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart, 1839).
Ici vous entendrez quelle est l'amende que doit payer un ou une esclave qui porte plainte contre son seigneur. En outre, il se trouve qu'un homme affranchi, c'est-à-dire un esclave sarrasin qui est devenu chrétien, ne peut ni ne doit porter plainte contre son seigneur, pour les raisons qui ont été mentionnées ci-dessus au sujet d'un fils qui est encore au pouvoir de son père.1 Et s'il advenait que l'homme affranchi ait porté plainte contre son seigneur ou la femme de son seigneur ou leurs enfants, la cour ne devrait pas l'entendre mais devrait l'arrêter et lui donner la responsabilité de payer 50 besants à la cour où la plainte a été déposée ; et s'il ne possède aucune chose avec laquelle il puisse le payer, on doit lui couper la langue, car c'est un crime grave de porter plainte contre son seigneur ou la femme de son seigneur ou leurs enfants, et c'est cela que doit faire la cour, selon le droit et les assises.
1 . Dans le chapitre 15.
A. Bishop, L. Foschia
Cette assise interdit aux esclaves affranchis de poursuivre leurs anciens maîtres et fait allusion à l'assise précédente qui interdit à un fils de poursuivre son père. Les deux assises sont influencées par le principe du paterfamilias du droit romain. Celui-ci avait l'autorité absolue sur sa famille, y compris ses esclaves, et ne pouvait pas être poursuivi par ses anciens esclaves affranchis ; voir par exemple Dig. 2.4.8-9 et 2.4.25, et Cod. 6.7.3. L'amende de cinquante besants rencontrée dans le manuscrit de Munich des assises des bourgeois est comparable à l'amende de cinquante aurei du Digeste (bien que dans le manuscrit de Venise l'amende soit de soixante besants). La peine de mutilation de la langue ne se trouve pas en droit romain, mais c'est vraisemblablement une influence du droit byzantin où de telles peines étaient courantes.
Contrairement aux assises de la Haute Cour écrites par Philippe de Novare et Jean d’Ibelin, cette assise de la cour des bourgeois dit bien que les esclaves étaient normalement musulmans. D'habitude les esclaves musulmans étaient prisonniers de guerre ou captifs et ils étaient vendus au grand marché aux esclaves de Saint-Jean d'Âcre. La conversion au christianisme était une des façons par lesquelles un esclave pouvait être affranchi, étant donné que les chrétiens ne pouvaient pas être réduits en esclavage selon le droit de l'Orient latin (bien que parfois les chrétiens d'Orient soient passés pour musulmans et aient été également vendus). Les esclaves connaissaient bien cette loi et l'exploitaient, ce qui avait pour effet de nuire à l'économie des Croisés qui dépendait de l'esclavage musulman. Les esclaves musulmans étaient si souvent désireux de se convertir que le Pape Grégoire IX décida que les musulmans convertis resteraient esclaves, contrairement, aussi bien, au droit canonique qu'au droit des Croisés.123 Les hommes affranchis, ou "libertins", avaient plus de droits légaux et sociaux que les esclaves, mais moins que ceux qui étaient libres depuis leur naissance. Il leur était interdit de poursuivre leurs anciens maîtres, bien que tout homme libre qui avait atteint la majorité (c'est-à-dire quinze ans) pût poursuivre n'importe quelle autre personne. On ne sait pas si des esclaves ont jamais tenté de poursuivre leurs anciens maîtres. Mais cette possibilité était déjà interdite en droit romain : or, cette assise serait précisément empruntée au droit romain. Selon Joshua Prawer, certaines assises ont été empruntées à Lo Codi, un traité juridique provençal du milieu du XIIe siècle qui fut traduit en latin et en d'autres langues et qui serait arrivé à Jérusalem au XIIIe siècle. Cette assise est équivalente au chapitre II.2-4 de Lo Codi, qui porte la même mention d'une amende de cinquante besants.45 Il mentionne également la peine de mutilation pour ceux qui ne peuvent pas payer l’amende, mais ne stipule pas qu'il s'agit de la mutilation de la langue et ne mentionne pas les esclaves musulmans.
1 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 208-211.
2 . J. S. C. Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
3 . A. T. Tautu, ed.Acta Honorii III et Gregorii IX 1227-1241 (Vatican, 1950), no. 228.
4 . J. Prawer, Crusader Institutions, 208.
5 . H. Fitting & H. Suchier, Lo Codi: Eine Summa Codicis in provenzalischer Sprache aus der Mitte des XII. Jahrhunderts (1906), chapter II.2-4.
affranchissement ; baptême ; esclaves
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°136265, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136265/.