Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
À propos des médecins dont les patients meurent alors qu'ils en ont la charge
Ici orres la raison de tous les mieges coumunaument, de plais qui miegent ou qui taillent aucun naffre autrement quil ne devent, et por ce meurt le naffre, quel dreit en deit estre de celuy miege.
Cil avient par aucune mesaventure que ie naffre I mien serf ou serve, ou aucune autre persone le naffre, et ie i ameine I miege, et celui miege sacorde o mei a pris noume, et me dit au tier ior puis qu il ot bien veu la plaie, ci me dist que bien le garet sans faille, et il avient puis que il le taille malement, ou por ce que ne devet estre taille, et il le tailla, et por ce il morut, ou por ce que il devet tailler la plaie par la leveure ou la posteme dou lonc et il la tailla de travers, et por ce morut: la raison iuge et coumande enci a iuger que celuy miege deit amender le serf ou la serve, par dreit, tant come il valet au ior que il fu naffre, ou tant come il lacheta celuy de cui il esteit, car ce est dreit et raison par lasise. Et ci le deit encement la cort a celui miege congeer de la vile ou il fist cele mauvaise megerie...
...Et se celuy miege avet enci malement mege, come est dit desus, aucun franc home ou aucune franche feme, et elle en moret: la raison iuge que celuy miege det estre pendus, et can que il a det estre dou seignor, par dreit...
...Mais se il avet se mahaing fait a I Crestien ou a aucune Crestiene: la raison iuge quil det perdre le poin destre, et ne det plus estre damages for tant que ce il avet riens pris de celuy por le meger, si est tenus dou rendre, par dreit.
E.Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 256.
Ici vous entendrez la loi sur tous les types de médecins, sur les blessures qu'ils guérissent ou sur ce que la loi devrait être pour les médecins qui amputent une personne blessée d'une manière inappropriée, et à cause de cela, la personne blessée meure. Si d'aventure il m'arrive de blesser l'un de mes esclaves, homme ou femme, ou si une autre personne le blesse et que je fasse venir là-bas un médecin et que ce médecin s'accorde avec moi sur un prix fixe et me dise trois jours après avoir vu la blessure qu'il va la guérir facilement, et s'il arrive qu'après cela il le coupe mal ou bien qu'il le coupe alors qu'il n'en avait pas besoin et qu'à cause de cela [l'esclave] meure, ou bien parce qu'il aurait dû couper la blessure le long de l'enflure et qu'il a coupé à travers, la loi juge et ordonne qu'il soit jugé que ce médecin doit verser en compensation pour cet esclave homme ou femme, selon la loi, la somme que [cet esclave] valait le jour où il a été blessé ou bien autant que ce que la personne qui en avait la possession avait payé pour lui, car cela est juste et raisonnable selon les assises. Et la cour devra aussi chasser ce médecin de la cité où il pratiquait cette mauvaise médecine... ... Et si ce médecin a ainsi pratiqué de la mauvaise médecine, comme il est dit ci-dessus, sur un homme ou une femme libre et qu'il ou elle en est morte, la loi juge que ce médecin doit être pendu et que tout ce qu'il possède doit revenir au seigneur, eu égard à la loi... ... Mais s'il a estropié un chrétien ou une chrétienne, la loi juge qu'il doit perdre sa main droite et il ne devra pas y avoir davantage de dommages sauf s'il a obtenu quelque chose de la personne pour les guérir : dans ce cas il est obligé de le rendre, eu égard à la loi.
L. Foschia
Cette assise est une longue digression sur la pratique de la médecine avec des exemples répétitifs des différentes sortes de blessures qui pouvaient arriver à un esclave ou une personne libre et les différents traitements qu'un médecin pouvait utiliser. Dans chaque exemple, si l'esclave meurt ou est estropié par les actes du médecin, celui-ci doit verser une somme pour compenser (le mal fait à l'esclave). Si le patient est un chrétien, le châtiment est plus sévère : le médecin devra être pendu si le patient meurt et devra avoir la main coupée si le patient est estropié. L'assise note aussi que si le patient meurt ou est estropié sans que le médecin soit fautif, ce dernier ne sera pas châtié.
La plus grande partie de cette assise consiste en la description de diverses affections et traitements qui paraissent plutôt hors sujet par rapport au reste des assises. Prawer suggère que l'auteur ou le compilateur de ce texte ne fait que fanfaronner au sujet de ses propres connaissances médicales même s'il n'était certainement pas médecin lui-même.1 Les descriptions reflètent le savoir médical du Moyen Âge : voir par exemple la discussion par l'auteur des humeurs chaudes et froides. Les affections énumérées dans le texte comprennent des blessures à la tête, des os cassés et fêlés et des blessures musculaires que les médecins étaient censés guérir et qui étaient probablement des blessures typiques dans la Jérusalem croisée. Ce chapitre, comme le 233, figure parmi d'autres assises sur la propriété endommagée sans doute parce que les esclaves étaient considérés comme une "commodité" comme tout autre propriété qui pouvait être endommagée.
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Comme au chapitre 233, cette assise suggère que les hommes libres sont chrétiens et que les esclaves ne le sont pas même si elle ne mentionne pas explicitement que les esclaves sont musulmans. D'ordinaire les assises ne mentionnent pas la religion ou l'appartenance ethnique des esclaves sauf celles qui disent que les esclaves peuvent devenir libres en se convertissant au christianisme, ce qui implique que les esclaves soient au moins des non-chrétiens, si non toujours des musulmans. On n'avait pas le droit de réduire les chrétiens en esclavage, selon la loi des croisés (même si parfois on faisait passer pour musulmans et vendait des chrétiens orientaux). 34 Cette loi montre aussi que dans l'esprit des croisés, les chrétiens (c'est-à-dire ici les catholiques latins) étaient normalement associés à la liberté et que donc les fidèles des autres religions, dont les musulmans, étaient normalement assimilées à la servitude. Il est probable que les croisés n'aient jamais prêté la moindre attention aux habitants musulmans du royaume sauf lorsqu'il leur fallait être en contact avec eux comme lorsque les musulmans servaient comme esclaves ou lorsque, comme dans cette assise, un esclave était blessé ou avait besoin d'être soigné. Autrement les musulmans n'apparaissent que rarement dans les sources narratives aussi bien que légales et habituellement seulement après coup. 5
Ce statut de seconde classe des musulmans et des autres non catholiques est aussi montré par les différents châtiments destinés au médecin incompétent. S'il cause la mort d'un esclave, il doit payer une compensation, mais s'il cause la mort d'un catholique, il sera pendu.
D'un autre côté, il est intéressant de noter que le chapitre 233 fait référence aux médecins musulmans qui avaient le droit de pratiquer la médecine dans le royaume aussi longtemps qu'ils pouvaient prouver leurs compétences. Cela était manifestement commun dès le XIIe siècle lorsque Guillaume de Tyr note que les rois de Jérusalem préfèrent employer des médecins musulmans. 6
Ces assises peuvent dériver en partie de l'ancienne Lex Aquilia romaine qui punissait aussi les physiciens qui blessaient ou tuaient un esclave à cause de leur incompétence. La Lex Aquilia fut publiée au IIIe siècle av. J.-C. et fut conservée dans le Digeste et les Institutes ; voir en particulier Dig. 9.7.7. Prawer note que d'autres parties des assises qui portent sur la propriété perdue ou endommagée semblent aussi être liées à cette loi romaine.7
1 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 368.
2 . S.Edgington, "Medicine and surgery in the Livre des Assises de la Cour des Bourgeois de Jérusalem" (Al-Masaq 17 (2005)), 88-90.
3 . J.Prawer, 208-211.
4 . J.Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
5 . H.Mayer, "Latins, Muslims, and Greeks in the Latin Kingdom of Jerusalem," History 63 (1978), repr. in Probleme des lateinischen Königreichs Jerusalem (Aldershot, 1983), 175 and 185.
6 . P.Mitchell, Medicine in the Crusades: Warfare, Wounds, and the Medieval Surgeon (Cambridge, 2004), 31-34.
7 . Prawer, 370.
esclaves ; guérison ; musulmans ; médecins
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°136973, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136973/.