Nom de la loi
Loi Cornelia sumptuaria
Date
81 av. J.-C., entre janvier et juin ?
Rogator
L. Cornelius Sulla
Thèmes
Sources
Plut., Sull., 35, 2-3Bibliographie
- Voigt, M., « Über die lex Cornelia sumptuaria », BSGW , 42, 1890, 244-290
- Rotondi, LPR, 354-355
- Carcopino, J., Sylla ou la monarchie manquée, Paris, 1931, 57-60
- Kübler, B., RE, IV,1, 1931, s.u. sumptus, 907
- Valgilio, E., Silla e la crisi repubblicana, Florence, 1956, 116
- Sauerwein, Leges sumptuariae , 130-140
- Hinard, F., Sylla, Paris, 1985, 252-253
- Toher, M., « The Tenth Table and the Conflict of Orders », , dans K. Raaflaub (éd.), Social Struggles in Archaic Rome, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1986, 301-326, part. 323-324
- Baltrusch, Regimen morum , 48-49 et 93-96
- Hantos, T., Res publica constituta. Die Verfassung des Dictators Sulla, Stuttgart, 1988, 66
- Flower, H. I., Ancestor Masks and Aristocratic Power in Roman Culture, Oxford, 1996, 118
- Engels, J., Funerum sepulcrorumque magnificentia. Begräbnis - und Grabluxusgesetze in der griechiesch - römischen Welt, Stuttgart, 1998, 171-172
- Hinard, F., Histoire romaine, I – Des origines à Auguste, Paris, 2000, 674, 678
- Bottiglieri, A., La legislazione sul lusso nella Roma repubblicana , Naples, 2002, 162-165
- Wyetzner, P., « Sulla’s Law on Prices and the Roman Definition of Luxury », dans J.-J. Aubert et A. J. B. Sirks (éd.), Speculum iuris. Roman Law as a Reflection of Social and Economic Life in AntiquityCIL, Ann Arbor, 2002, 15-33
- Coudry, Loi, 155-156, 159-160
Commentaire
S’il ne fait pas de doute que le rogator de la loi fut Sulla, en tant que dictateur (Aulu-Gelle, Macrobe), on ignore en revanche par quelle assemblée elle fut votée.
Son contenu pose problème, car, aux dispositions concernant le luxe de la table et des funérailles explicitement attestées, certains modernes ont ajouté d’autres prescriptions sullaniennes mentionnées par ailleurs, portant sur les jeux d’argent, les garanties pour les prêts, le mariage, au motif que toutes visent au redressement des mœurs. Cette définition très extensive de la loi somptuaire, qui a son origine dans l’érudition du XIXe siècle (Voigt), et n’est plus guère acceptée (Baltrusch, 41), demande discussion.
Les dispositions concernant le luxe de la table sont les mieux documentées, car la loi de Sulla figure dans les deux listes de lois somptuaires qui nous sont parvenues, celle d’Aulu-Gelle et celle de Macrobe. Leurs indications se complètent sans se recouper, mais sont précédées de remarques identiques sur les effets alarmants des dépenses de table sur les fortunes : peut-être constituent-elles un écho des considérants du projet de loi figurant dans un éventuel s.c. préalable, à moins qu’elles remontent seulement à l’époque où fut constituée la liste des lois somptuaires reprise par nos deux auteurs (Coudry). Les dispositions sont de deux ordres. Les unes, énoncées par Aulu-Gelle, fixent une dépense maximale pour les repas, modulée selon les types de jours, comme c’était déjà le cas pour la lex Fannia (notice n° 380) et la lex Licinia (notice n° 510), mais avec des montants bien plus élevés : 30 sesterces pour les jours ordinaires, 300 pour les kalendes, les ides, les nones, les jeux et certains jours de fête (les manuscrits, cependant, indiquent la même somme de 30 sesterces dans les deux cas, et la correction en 30 et 300, suggérée par le parallèle avec les dispositions de ces lois antérieures et de celle de César (notice n° 481), est généralement acceptée : cf. Valgilio). Ce relèvement des limites autorisées ne s’explique sans doute pas seulement par le renchérissement des denrées de luxe : il vise certainement à rendre la loi applicable en faisant paraître supportables les restrictions imposées, et traduit à mon sens la nécessité de composer avec la résistance d’un courant suffisamment influent pour avoir obtenu l’abrogation de la loi Licinia une vingtaine d’années plus tôt (notice n° 375). Les autres dispositions de la loi, indiquées par Macrobe, constituent une nouveauté par rapport aux précédentes lois somptuaires : elles abaissent autoritairement le prix d’une série de denrées, dont, hormis les poissons, le détail n’est pas donné, mais qui sont présentées comme ordinairement très coûteuses. L’auteur insiste sur le fait que la loi aurait ainsi rendu les plaisirs de la table accessibles « même à ceux qui n’avaient que de faibles ressources ». L’absence d’indications chiffrées rend délicate l’interprétation de ces mesures, qui ont suscité chez les modernes des interprétations variées (en dernier lieu Wyetzner). Certains, glosant sur le commentaire de Macrobe, qui dérive manifestement d’une source anti-sullanienne (Sauerwein, 134), et exprime peut-être aussi un point de vue anachronique marqué par le souvenir de l’Édit du maximum de Dioclétien (Wyetzner, 18), y ont vu la volonté de déprécier socialement les denrées rares et de réduire les écarts économiques (Carcopino, Hinard). Cette analyse ne semble guère recevable, et la fixation d’un prix maximum pour ces produits traduit sans doute plus simplement la volonté de diversifier les moyens d’endiguer les dépenses de table déjà visées par les lois somptuaires précédentes : Ammien Marcellin montre en Sulla le restaurateur des anciennes lois somptuaires oubliées, ce qui paraît confirmer que la nouveauté était dans les moyens plus que dans les fins. On ne peut guère souscrire non plus aux interprétations strictement économiques qui font de ces mesures une tentative pour freiner les importations de produits de luxe (cf. Baltrusch, 95 et n. 377, qui y souscrit, et Wyetzner, qui les rejette ; cf. cependant la possible datation sullanienne de l’inscription agoranomique du Pirée, qui comporte une série de prix – maximum ? – pour des produits carnés : G. Steinhauer, « Inscription agoranomique du Pirée », BCH, 118, 1994, 51-68).
La seule mention d’une loi portée par Sulla afin de limiter les dépenses liées aux funérailles se trouve chez Plutarque (Plut., Sull., 35, 2-3τὸν δὲ τῆς ταφῆς ὁρίζοντα τὴν δαπάνην νόμον αὐτὸς εἰσενηνοχὼς παρέβη, μηδενὸς ἀναλώματος φεισάμενος. παρέβαινε δὲ καὶ τὰ περὶ τῆς εὐτελείας τῶν δείπνων ὑπ' αὐτοῦ τεταγμένα, πότοις καὶ συνδείπνοις τρυφὰς καὶ βωμολοχίας ἔχουσι παρηγορῶν τὸ πένθος.), rapportant que le dictateur l’aurait lui-même violée, de même que sa loi concernant les dépenses des repas. Avec raison sans doute, la plupart des auteurs modernes considèrent, sur la base de ce texte, que les deux lois ne font qu’un, bien que Plutarque les distingue et n’emploie le mot νόμος qu’à propos de la première. Si on laisse de côté cette incertitude, il faut souligner la nouveauté que constitue cette extension du domaine de la législation somptuaire, du moins à Rome, car à Athènes Démétrios de Phalère avait fait de même : aucune des lois somptuaires attestées ne vise ce genre de dépenses, et il faut remonter à la Loi des douze tables (table X) pour trouver des prescriptions de ce type. La question de l’objet de ces dispositions a d’ailleurs été reposée récemment, à propos de la Xème table, par Toher, pour qui législation funéraire et législation somptuaire constituent deux catégories différentes, la première répondant à des impératifs d’ordre cultuel et ne pouvant s’interpréter comme un élément de la politique visant à restreindre les manifestations du luxe. Une telle interprétation, rejetée par Flower et Engels, est en effet difficilement soutenable, au moins en ce qui concerne la loi sullanienne, car on ne s’expliquerait guère le rapprochement effectué par Plutarque.
Quant aux dispositions elles-mêmes, la formulation du passage est trop imprécise (τῆς ταφῆς τὴν δαπάνην) pour que l’on sache si les dépenses visées étaient celles de la cérémonie funéraire ou/et celles de l’érection du tombeau. Il se peut que la loi à laquelle Cicéron fait allusion dans deux lettres adressées à Atticus en 45 (Cic., Att., 12, 35, 2 Ante quam a te proxime discessi, numquam mihi uenit in mentem, quo plus insumptum in monimentum esset quam nescio quid quod lege conceditur, tantundem populo dandum esse et Cic., Att., 12, 36, 1 Fanum fieri uolo, neque hoc mihi <dis>suaderi potest. Sepulcri similitudinem effugere non tam propter poenam legis studeo quam ut maxime adsequar ἀποθέωσιν. Quod poteram, si in ipsa uilla facerem ; sed, ut saepe locuti sumus, commutationes dominorum reformido. In agro ubicumque fecero, mihi uideor adsequi posse ut posteritas habeat religionem. Hae meae tibi ineptiae (fateor enim) ferendae sunt ; nam habeo ne me quidem ipsum quicum tam audacter communicem quam te. Sin tibi res, si locus, si institutum placet, lege, quaeso, legem mihique eam mitte. Si quid in mentem ueniet quo modo eam effugere possimus, utemur), où il évoque ses projets pour honorer la mémoire de Tullia, et se préoccupe des restrictions légales à la construction de monuments funéraires, soit la lex Cornelia (Kübler, Rotondi, Sauerwein). Il indique la peine encourue (poena legis), une amende égale au dépassement de la somme maximale autorisée, mais ne connaît pas le contenu exact de la loi et en demande le texte à Atticus. Pour certains (en particulier Baltrusch et Engels), il s’agit d’une loi césarienne, peut-être même d’une clause de la lex Iulia sumptuaria (voir notice n° 481) de l’année précédente. Mais l’ignorance de Cicéron s’explique plus aisément s’il s’agit de la loi de Sulla, vieille de plus de 35 ans. La taxe sur les colonnes (columnarium) citée par Cicéron dans les mêmes circonstances (Cic., Att., 13, 6, 1De aquae ductu probe fecisti. Columnarium uide ne nullum debeamus ; quamquam mihi uideor audisse <e> Camillo commutatam esse legem) et présentée comme établie par une loi dont il dit qu’elle a été modifiée, suscite les mêmes hésitations (voir notice n° 481).
Autant la fixation d’un plafond de dépenses pour les repas, d’un prix maximum pour les denrées gastronomiques, et d’une limite pour les dépenses funéraires présentent une cohérence qui justifient qu’on les impute à une loi unique, autant les autres mesures que certains (A. Keaveney, Sulla, The Last Republican, Londres, 1982, 178-179) présentent encore comme faisant partie de la loi ou s’en rapprochant doivent en être distinguées. Il s’agit d’une lex Cornelia citée dans le Digeste, avec deux autres, inconnues par ailleurs (Paul, 19 ad ed., D., 11, 5, 2-3 Paulus libro nono decimo ad edictum. Solent enim quidam et cogere ad lusum uel ab initio uel uictidem retinent. Senatus consultum uetuit in pecuniam ludere, praeterquam si qui certet hasta uel pilo iaciendo uel currendo saliendo luctando pugnando quod uirtutis causa fiat. 3. Marcianus libro quinto regularum. In quibus rebus ex lege Titia et Publicia et Cornelia etiam sponsionem facere licet : sed ex aliis, ubi pro uirtute certamen non fit, non licet), toutes trois réglementant les jeux d’argent ; et d’une loi réprimant le stupre et l’adultère, que Plutarque attribue explicitement à Sulla (Plut., Comp. Lys. Sull., 3, 3ὁ δὲ οὔτε νέος ὢν περὶ τὰς ἐπιθυμίας ἐμετρίαζε διὰ τὴν πενίαν οὔτε γηράσας διὰ τὴν ἡλικίαν, ἀλλὰ τοὺς περὶ γάμων καὶ σωφροσύνης εἰσηγεῖτο νόμους τοῖς πολίταις αὐτὸς ἐρῶν καὶ μοιχεύων, ὥς φησι Σαλούστιος.) (voir notice n° 124).
Nous ne disposons que d’une seule indication explicite à propos du devenir de la loi : celle de Plutarque rapportant que Sulla lui-même l’aurait violée à l’occasion de la mort de sa seconde épouse Caecilia Metella. Cette notation, dans laquelle s’expriment deux éléments banals de l’image du tyran, le rejet de la loi et la soumission aux passions, pourrait bien relever de la construction a posteriori de l’image de Sulla (cf. Cic., Fin., 3, 75quam grauis uero, quam magnifica, quam constans conficitur persona sapientis ! Qui, cum ratio docuerit, quod honestum esset, id esse solum bonum, semper sit necesse est beatus uereque omnia ista nomina possideat, quae irrideri ab inperitis solent. Rectius enim appellabitur rex quam Tarquinius, qui nec se nec suos regere potuit, rectius magister populi - is enim est dictator - quam Sulla, qui trium pestiferorum uitiorum, luxuriae, avaritiae, crudelitatis, magister fuit, rectius diues quam Crassus, qui nisi eguisset, numquam Euphraten nulla belli causa transire uoluisset et à propos de Demetrios de Phalère (Athen., XII, 542 dτοῖς ἄλλοις ἀλείμμασιν ἐγχρίων ἑαυτόν· ἠβούλετο γὰρ τὴν ὄψιν ἱλαρὸς καὶ τοῖς ἀπαντῶσιν ἡδὺς φαίνεσθαι). On ne saurait, en tout cas, en déduire (comme le fait Keaveney, ibid.) son peu d’intérêt pour la réaffirmation des valeurs traditionnelles, ou son scepticisme quant à l’efficacité même de la législation en ce domaine, au motif que les conduites qu’elle entendait sanctionner n’en furent pas affectées. L’ampleur des dispositions de sa loi, par rapport à celles des précédentes, témoigne au contraire de sa conviction de la nécessité de ramener les élites vers ces valeurs (Baltrusch, Wyetzner).
Rien n’indique que la loi ait été abrogée : les allusions de Cicéron aux dispositions concernant les monuments funéraires, si elles se rapportent bien à la loi sullanienne, prouveraient le contraire. Qu’elle n’ait pas été plus respectée que les précédentes, en revanche, ne fait pas de doute : une lex Antia fixera à nouveau, une dizaine d’années plus tard, les dépenses autorisées pour les repas (notice n° 28).
Comment citer cette notice
Marianne Coudry. "Loi Cornelia sumptuaria", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice163/. Date de mise à jour :10/10/18 .