Nom de la loi
Loi Antonia sur les pouvoirs de César en matière de désignation des magistrats (pl. sc.)
Date
44 av. J.-C.
Rogator
L. Antonius
Thèmes
- Lois sur les magistratures et les promagistratures
- Attribution de pouvoirs exceptionnels ou fonctions spéciales
Sources
Cic., Phil., 7, 16Bibliographie
- Bruhns, H., Caesar und die römische Oberschicht in den Jahren 49-44 v. Chr., Göttingen, 1978, 158-163
- Bürger, A., De Nicolai Damasceni fragmento Escorialensi quod inscribitur Βίοϛ Καίσαροϛ, Diss. Bonn, 1869, 18
- Drumann, Geschichte Roms, 3, 680-683
- Frei-Stolba, R., Untersuchungen zu den Wahlen in der römischen Kaiserzeit, Zürich, 1967, 58-76
- Frezza, P., « Commendatio suffragatio e nominatio dei candidati alle magistrature repubblicani da parte degli imperatori », Studi Albertario, Milan, 1953, II, 633-645, part. 635-636
- Gelzer, Caesar6, 287
- Jahn, J., Interregnum und Wahlkandidatur, Kallmünz, 1970, 186-188
- Jehne, M. , Der Staat des Dictators Caesar, Cologne-Vienne, 1987, 110-130
- Lange, RA, II3 [1879], 734 ; III2 [1879], 474
- Levick, B. M., « Imperial Control of the Elections under the Early Principate : ’Commendatio’, ’Suffragatio’ and ’Nominatio’ », Historia , 16, 1967, 207-230, part. 209-210
- Meyer, Caesars Monarchie3, 462
- Mommsen, Staatsr., I3, 586 et II3, 730-732
- Niccolini, FTP, 347
- Rotondi, LPR, 427-428
- Siber, H., « Die Wahlreform des Tiberius », Festschrift Paul Koschaker, Weimar, 1939, I, 141-217, part. 179
- Stobbe, H. F., « Die candidati Caesaris », Philologus , 27, 1868, 88-112, part. 96-109
- De Visscher, F., « La ’tribunicia potestas’ de César à Auguste », SDHI , 5, 1939, 101-122 (= Nouvelles études de droit romain public et privé, Milan, 1949, 29-50), part. 105 = 33
- Willems, Sénat, 586-587
- Yavetz, Caesar, 129-133
Commentaire
notice n° 5000Ce pl. sc. fut proposé, conformément à un s.c. (Nic. Dam. parle à deux reprises d’un δόγμα), par le tr. pl. L. Antonius (frère de Marc-Antoine), entré en fonction le 10 décembre 45. Les indications fournies par Cicéron sont complétées par celles de Dion (le rapprochement remontant à Stobbe) et surtout de Suétone. Le pl. sc., en gros, partageait le choix des magistrats, par moitié, entre le peuple et César (Cic., Suet., Dio), à l’exclusion toutefois des élections consulaires (Suet.).
Plusieurs points, toutefois, restent obscurs.
a) Les élections qui eurent lieu début 44 sont liées au projet d’expédition contre les Parthes, qui impliquait que César fût absent de Rome pendant plusieurs années. Avait été autorisée la désignation anticipée des magistrats de 43, 42 et 41, ou peut-être seulement de 43 et 42. On peut en effet se demander si les trois années de Dio, 43, 51, 2διενοοῦντο μὲν καὶ ἐς τρία ἔτη αὐτοὺς προκαταστῆσαι (τοσούτου γὰρ χρόνου πρὸς τὴν στρατείαν χρῄζειν ἐδόκουν) sont 43-41 (comme le pensait Dion lui-même : Dio, 43, 51, 6οἱ μὲν οὖν τῷ πρώτῳ μετ᾽ ἐκεῖνο ἔτει ἄρξοντες πάντες προκατέστησαν, ἐς δὲ δὴ τὸ δεύτερον οἵ τε ὕπατοι καὶ οἱ δήμαρχοι μόνοι) ou 44-42 (ainsi que l’ont proposé Drumann et Bürger). Un s.c. de 45 aurait dans cette deuxième hypothèse autorisé César à présider la désignation des magistrats des trois années 44-42, ce qui se serait fait en deux temps : élection en décembre 45 des magistrats de 44, puis entre le 15 février et le 15 mars 44 (Dio, 44, 11, 4κἀκ τούτου τούς τε δημάρχους ἐκείνους ὑπάτους τινὲς ἐν ταῖς ἀρχαιρεσίαις προεβάλοντο, καὶ τὸν Βροῦτον τὸν Μᾶρκον τούς τε ἄλλους τοὺς φρονηματώδεις ἰδίᾳ τε προσιόντες ἀνέπειθον καὶ δημοσίᾳ προσπαρώξυνον) de tous les magistrats de 43, mais seulement des consuls et tribuns de 42 (Dio, 43, 51, 6ἐς δὲ δὴ τὸ δεύτερον οἵ τε ὕπατοι καὶ οἱ δήμαρχοι μόνοι. Mommsen [I, 586] a bien vu que sur ce dernier point les indications de Dion sont confirmées par Cic., Att., 14, 6, 2etiamne consules et tribunos pl. in biennium quos ille uoluit ? et Cic., ad Brut., 1, 5, 4Statim enim collegam sibi subrogauisset ; deinde ante praetoria sacerdotum comitia fuissent. Nunc per auspicia longam moram uideo. Dum enim unus erit patricius magistratus, auspicia ad patres redire non possunt [ajouter Cic., Fam., 11, 16, 2L. Lamia praeturam petit. Hoc ego utor uno omnium plurimum. magna uetustas, magna consuetudo intercedit, quodque plurimum ualet, nihil mihi eius est familiaritate iucundius. Magno praeterea beneficio eius magnoque merito sum obligatus. Nam Clodianis temporibus, cum equestris ordinis princeps esset proque mea salute acerrime propugnaret, a Gabinio consule relegatus est; quod ante id tempus ciui Romano Romae contigit nemini. Hoc cum populus Romanus meminit, me ipsum non meminisse turpissimum est, en ce qui concerne la nécessité de procéder à des élections prétoriennes en 43 pour 42 ; en revanche, Hirtius ap. Cic., Att., 15, 6, 2Rurene iam redierim quaeris. An ego, cum omnes caleant, ignauiter aliquid faciam ? Etiam ex urbe sum profectus, utilius enim statui abesse. Has tibi litteras exiens in Tusculanum scripsi. Noli autem me tam strenuum putare ut ad Nonas recurram. Nihil enim iam uideo opus esse nostra cura, quoniam praesidia sunt in tot annos prouisa. Brutus et Cassius utinam quam facile a te de me impetrare possunt ita per te exorentur ne quod calidius ineant consilium! fait plutôt allusion au pl. sc. du 1er juin sur les provinces consulaires (notice 39 et 36) : T. Frank, compte rendu, CPh, 11, 1916, 215-217. La loi Antonia serait-elle entrée en vigueur dès les élections de décembre 45 (hypothèse de Lange, II, 474-475) ? Cela aurait exigé qu’elle fût exemptée des contraintes du trinum nundinum, ce qui n’est pas inconcevable il est vrai. L’hypothèse de Drumann et Bürger aurait l’avantage d’expliquer que les consuls de 41 n’aient pas été désignés en même temps que ceux de 43 et 42 ; mais on hésitera à l’accepter, car elle impliquerait une incontestable confusion dans le récit de Dion. C’est à tort, en tout cas, comme l’avait déjà vu Drumann, qu’Appien parle de désignation pour les 5 années à venir (App., BC, 2, 128, 535ἔς τε τὰς ἀρχὰς τὰς ἐν ἄστει καὶ ἐς ἱερωσύνας καὶ ἐθνῶν ἢ στρατοπέδων ἡγεμονίας ὑπὸ τοῦ Καίσαρος εἰς τὸ μέλλον ᾑρημένους (ὡς γὰρ ἐπὶ χρόνιον στρατείαν ἐξιὼν ἐπὶ πενταετὲς ᾕρητο et App., BC, 2, 138, 574ὁ δ᾽ ἐπὶ ἄλλην στρατείαν χρόνιον ἀπιὼν ἐς πενταετὲς ὑμῶν τὰ ἀρχαιρέσια προελάμβανε), tandis que Suétone reste imprécis (Suet., Iul., 76, 5in pluris annos). Le pl. sc. Antonien ne concernait-il que la période de l’absence de César (Mommsen, Frei-Stolba, Levick, Jehne) ? Ou bien introduisait-il une réforme destinée à durer (Stobbe ; non exclu par Bruhns) ? La première hypothèse est la plus vraisemblable, même s’il faut admettre que le choix entre les deux solutions est lié aux réponses apportées aux autres questions.
b) Le fait que le consulat ait été exclu du partage signifie-t-il que pour cette magistrature les nouveaux pouvoirs accordés à César concernaient les deux consuls, ou qu’ils n’en concernaient aucun. La première hypothèse avait été retenue (à la suite de Juste-Lipse, "excursus E" ad Tac., Ann., I) par Stobbe, Willems et Lange (II3, 474), mais c’est la seconde qui est généralement retenue depuis Mommsen, sans doute à juste titre. Elle explique que César ait pris soin de faire élire les consuls désignés de 42 avant son départ.
c) Puisque furent également élus les tribuns désignés de 42 (Cic., Att., 14, 6, 2etiamne consules et tribunos pl. in biennium quos ille uoluit? et Dion), cela implique-t-il que les tribuns aussi échappaient au partage, bien que Suétone ne le précise pas ? C’est l’hypothèse de Siber, que n’exclut pas Bruhns (162 et n. 92) ; contra Stobbe, Mommsen (II3,731 [« vielleicht »]), De Visscher, Frei-Stolba, H. Kloft (« Caesar und die Amtsentsetzung der Volkstribunen im Jahre 44 v.Chr. », Historia, 29, 1980, 321) ; Jehne ne tranche pas. Le silence de Suétone ne suffit pas à exclure la première hypothèse, et on ne saurait non plus considérer comme un argument décisif la façon dont Cicéron s’exprime à propos de L. Decidius Saxa, le remplaçant d’un des deux tribuns de 44 que César avait fait destituer (Cic., Phil., 11, 12 quem nobis Caesar ... tribunum plebis dedit). Mais on doit aussi tenir compte de ce que les élections eurent lieu peu après la crise qui avait conduit César à faire destituer deux tribuns (notice 415). Dans ces conditions, et même si le pl. sc. antonien lui permettait de choisir la moitié des futurs collèges tribuniciens, il put lui paraître plus prudent de faire élire en sa présence et sous son contrôle la totalité des collèges de 43 et de 42.
d) Quel fut exactement la nature du pouvoir conféré à César ? L’hypothèse d’une commendatio non contraignante (Willems) a justement été rejetée : il n’était pas pour cela besoin d’un pl. sc.. Le choix est entre une pure et simple nomination par César de la moitié des magistrats (De Visscher, Broughton [MRR, II, 323], Frei-Stolba, Yavetz), et une commendatio contraignante (Lange [II3, 734], Mommsen, Meyer, Frezza, Gelzer, Levick ; variante peu convaincante de Siber : une commendatio contraignante que n’aurait pas entérinée le vote tabellaire normal, mais un simple vote par acclamation). Dans le cas d’une commendatio contraignante, on peut supposer que, pour la moitié des postes, le magistrat qui présidait les élections n’aurait eu le droit de tenir compte que des candidats recommandés par César, ou du moins que les votes en leur faveur auraient été comptabilisés en premier, en sorte que ce privilège leur assurât pratiquement la certitude d’être proclamés élus (cf. lex de imperio Vespasiani RS, n° 12-13 eorum comitis quibusque extra ordinem ratio habeatur). L’hypothèse d’une commendatio contraignante implique qu’on ne prenne pas au pied de la lettre les mots de Cicéron (Cic., Phil., 7, 16 (tribuum) suffragium sustulit) ; mais cette formulation, de toute façon excessive puisque rien ne changeait pour le consulat et pour la moitié des autres magistratures, est tout à fait explicable dans un contexte polémique, dès lors que le caractère contraignant de la commendatio césarienne transformait le vote en une simple formalité. En revanche, la lecture la plus naturelle du texte de Suétone (Iul, 41, 2) implique de considérer globalement les deux phrases de 41, 2 coordonnées par et : comitia cum populo partitus est, ut exceptis consulatus competitoribus de cetero numero candidatorum pro dimidia parte quos populus uellet renuntiarentur, pro parte altera quos ipse dedisset. (ou, selon une correction très convaincante d’Estienne, edidisset). Et edebat per libellos circum tribus missos scriptura breui : Caesar dictator illi tribui. Commendo uobis illum et illum, ut uestro suffragio suam dignitatem teneant. En ce cas, les suffragia étaient maintenus, même s’ils devenaient purement formels, ce qui explique d’ailleurs que les commendati restent des candidati, et la nouveauté introduite par le pl. sc. antonien était de donner un caractère contraignant à la commendatio césarienne.
Il n’est pas surprenant que la signification politique du pl. sc. antonien reste controversée, lorsque son contenu même reste incertain sur des points essentiels. Du moins s’accordait-on à admettre qu’il renforçait les pouvoirs césariens en matière électorale, jusqu’à ce qu’une interprétation contraire fût proposée par Bruhns : César aurait reçu en 45, et utilisé pour les consuls Fabius et Trebonius un pouvoir de nomination qui aurait été mal accepté, et qui expliquerait les doutes exprimés sur la légitimité du consulat de Fabius ; c’est ce que ne pouvaient accepter les partisans mêmes de César, et le pl. sc.. antonien marquerait un recul des pouvoirs césariens, en rétablissant notamment la procédure électorale pour le consulat. Cette interprétation ne paraît pas devoir être acceptée, car elle repose sur des prémisses discutables en ce qui concerne les consuls de 45 (voir Jehne, 119-125 ; notice 4000). Le plus probable est que le pl. sc. antonien avait pour but de maintenir un certain contrôle des élections par César en dépit de son absence de Rome pendant la guerre parthe. La désignation des magistrats de 43, ainsi que des consuls et des tribuns de 42, allait en ce sens, mais aussi le caractère contraignant donné à sa commendatio pour la moitié des autres magistrats de 42. Elle devait en particulier permettre à César d’assurer sans risque d’échec la promotion de ceux dont il voudrait récompenser la fidélité, ou les compétences manifestées au cours de la campagne. Lorsqu’il écrit que César disposait en droit de la moitié des magistratures, mais en fait de la totalité, Dion décrit bien la façon dont se déroulèrent les élections de 44. Mais le départ de César aurait rendu la situation plus complexe, et donné sa pleine valeur au pl. sc. antonien.
Comment citer cette notice
Jean-Louis Ferrary. "Loi Antonia sur les pouvoirs de César en matière de désignation des magistrats (pl. sc.)", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice32/. Date de mise à jour :17/11/19 .