Nom de la loi
Loi Calpurnia de pecuniis repetundis (pl. sc.)
Date
149 av. J.-C.
Rogator
L. Calpurnius Piso Frugi
Thèmes
Sources
RS, n° 1, l. 23(la restitution [Calpu]rnia est certaine)
( les pluriels Iulias leges pour la brigue et Calpurnia scita pour la concussion sont purement rhétoriques)
Bibliographie
- Crawford, M. H., « Origini e sviluppi del sistema provinciale romano », Storia di Roma, II,1, Turin, 1990, 91-121, part. 100-102
- Eder, W., Das vorsullanische Repetundenverfahen, Munich, 1969, 58-119
- Elster, GMRR, 418-422
- Ferguson, W. S., « The Lex Calpurnia of 149 B.C. », JRS , 1921, 86-100
- Ferrary, J.-L., « Patroni et accusateurs dans la procédure de repetundis », RHD , 76, 1998, 17-46, part. 30-33 (= Recherches, Pavie, 2012, 397-433, part. 411-415)
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- Lintott, A. W., « The leges de repetundis and Associated Measures Under the Republic », ZRG , 1981, 162-212, part. 164-176
- Mantovani, Accusa popolare, 182-187
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- Venturini, C., « La repressione degli abusi dei magistrati romani ai danni delle popolazioni soggette fino alla lex Calpurnia del 149 a. C. », BIDR , 1969, 19-87, part. 79-87
- Venturini, C., « Quaestiones perpetuae constitutae : per una ri- considerazione della lex Calpurnia repetundarum », Iura , 48, 1997 [2002], 1-76
- Zumpt, Criminalrecht , II, 1, 6-54
Commentaire
La date consulaire est fournie par Cic., Brut., 106Hic optimus illis temporibus est patronus habitus eoque forum tenente plura fieri iudicia coeperunt. Nam et quaestiones perpetuae hoc adulescente constitutae sunt, quae antea nullae fuerunt ; L. enim Piso tribunus plebis legem primus de pecuniis repetundis Censorino et Manilio consulibus tulit — ipse etiam Piso et causas egit et multarum legum aut auctor aut dissuasor fuit., et on a souvent, de Ferguson à Forsythe, considéré le vote de cette loi comme une réponse inspirée par le Sénat à l’échec, la même année, de la rogatio Scribonia (notice 653) : on doit toutefois prendre garde qu’aucune source ancienne n’établit le moindre rapprochement entre les deux mesures tribunitiennes, que nous ignorons la chronologie relative des deux votes, et que les crimes imputés à Galba ne relevaient guère des res repetundae (Richardson, 2) ; le principe d’une quaestio perpetua, d’autre part, s’il peut en effet apparaître comme une précaution contre les procédés par lesquels Galba était parvenu à faire rejeter une rogatio créant une quaestio extraordinaire, mettait également fin aux manœuvres dilatoires permettant à un préteur de ne pas mener des procès à leur terme (comme en 172, dans le cas de la quaestio Marcia [notice 543], ou en 171, dans une procédure récupératoriale mise en place pour répondre à des accusations de repetundis [Liv., 43, 2]) ; enfin la loi Calpurnia s’inscrit dans un contexte plus général d’exactions aux dépens des alliés-sujets de Rome, qui avaient conduit à la mise en place de procédures judiciaires en 171 et, plus récemment, vers 153 (Per. Liv., 47, 16Aliquot praetores a prouinciis auaritiae nomine accusati damnati sunt. ; on prendra garde que ce texte peut tout simplement signifier que les accusés préférèrent s’exiler dans une cité du Latium avant la fin du procès : cf. Per. Liv., 43, 1Praetores aliquot eo quod auare et crudeliter prouincias administrauerant, damnati sunt et Per. Liv., 43, 2P. Licinius Crassus procos. Complures in Graecia urbes expugnauit et crudeliter corripuit).
La loi Calpurnia fut la première loi de pecuniis repetundis (Cic., Off., 2, 75Nondum centum et decem anni sunt, cum de pecuniis repetundis a L. Pisone lata lex est nulla antea cum fuisset. At uero postea tot leges et proxumae quaeque duriores, tot rei, tot damnati, tantum bellum propter iudiciorum metum excitatum, tanta sublatis legibus et iudiciis expilatio direptioque sociorum, ut inbecillitate aliorum, non nostra uirtute ualeamus. et Cic., Brut., 106Hic optimus illis temporibus est patronus habitus eoque forum tenente plura fieri iudicia coeperunt. Nam et quaestiones perpetuae hoc adulescente constitutae sunt, quae antea nullae fuerunt ; L. enim Piso tribunus plebis legem primus de pecuniis repetundis Censorino et Manilio consulibus tulit — ipse etiam Piso et causas egit et multarum legum aut auctor aut dissuasor fuit.) mais aussi, d’après le second de ces textes, la première loi instituant une quaestio perpetua (on peut supposer une erreur ou un anachronisme de la part de Cicéron, mais on ne saurait contester que ce soit bien ce qu’il a voulu dire dans le Brutus ; on notera aussi que ce texte est l’unique occurrence de cette locution dans les sources anciennes). La loi de repetundis gracchienne nous apprend d’autre part que la procédure d’accusation était une legis actio sacramento (RS, n° 1, l. 23neiue amplius de una familia unum, neiue eum [legat adatue, quei pecuniae captae condemnatus est erit, aut quod cum eo lege Calpu]rnia aut lege Iunia sacramento actum siet, aut quod h. l. nomen [delatum sie]t)
(la restitution [Calpu]rnia est certaine) , et permet d’affirmer que la condamnation était la restitution simple des sommes extorquées (cf. RS, n° 1, l. 59de pequnia ex aerario soluenda - on ne saurait [avec Venturini 1969, 84-85 n. 253] déduire de RS, n° 1, l. 22-23neiue eum [quei condemnatus siet, quod cum eo lege Calpu]rnia aut lege Iunia sacramento actum siet aut quod h(ace) l(ege) nomen [delatum sie]t que la loi prévoyait également l’expulsion du Sénat en cas de condamnation : voir la restitution et l’interprétation de Crawford, RS, 101). Aucune mesure ne devait limiter les ajournements (ampliationes) si les juges ne s’estimaient pas suffisamment informés (Val. Max., 8, 1 abs., 11P. Scipio Aemilianus Cottam apud populum accusauit. Cuius causa, quamquam grauissimis criminibus erat confossa, septies ampliata et ad ultimum octauo iudicio absoluta est, quia homines uerebantur ne praecipuae accusatoris amplitudini damnatio eius donata existimaretur., à propos du procès de L. Aurelius Cotta en 138 [cf. Richardson, p. 12 ; Alexander, Trials, 7, n° 9]). Tout ce que nous savons de la réforme gracchienne implique enfin que les juges de la loi Calpurnia étaient des sénateurs. Ces maigres données laissent place à beaucoup d’incertitudes.
A) – La rédaction d’une loi de repetundis impliquait une définition des crimes poursuivis, mais elle devait être assez élémentaire, comme elle le sera encore dans la loi gracchienne. Aussi bien le pl. sc. anonyme de Modestin, Mod., 5 reg., D., 1, 18, 18Modestinus 5 reg. Plebi scito continetur ut ne quis praesidum munus donum caperet nisi esculentum potulentumue, quod intra dies proximos prodigatur. contenant une interdiction plus précise n’est-il certainement pas la loi Calpurnia (hypothèse encore prise en considération par Eder, 72-73 et Lintott, 1981, 176 n. 63 et 195 n. 130), mais une loi sensiblement plus tardive : voir Crawford, 1990, 116.
B) – Pour ce qui est de la nature de la procédure, les hypothèses les plus diverses ont été proposées (irrecevable étant en tout cas celle de Zumpt, selon qui la procédure n’aurait pas été définie par la loi, mais par un s.c. inconnu). Les principaux problèmes sont de concilier avec la mise en place d’une quaestio (Cic., Brut., 106Hic optimus illis temporibus est patronus habitus eoque forum tenente plura fieri iudicia coeperunt. Nam et quaestiones perpetuae hoc adulescente constitutae sunt, quae antea nullae fuerunt ; L. enim Piso tribunus plebis legem primus de pecuniis repetundis Censorino et Manilio consulibus tulit — ipse etiam Piso et causas egit et multarum legum aut auctor aut dissuasor fuit.) le fait que la procédure d’accusation était une l.a.s. relevant de la tradition du droit privé, et de déterminer l’importance de la réforme introduite par rapport à l’affaire de 171 déjà évoquée.
1) – Sur le second point, une thèse minimaliste (Eder, 90-101) veut que le Sénat soit resté maître de la décision d’accepter ou de rejeter les plaintes des alliés et que, dans la première hypothèse, l’affaire ait continué d’être confiée à des récupérateurs : la seule nouveauté aurait été la constitution d’un album annuel de sénateurs parmi lesquels le préteur pérégrin aurait été chargé de désigner des récupérateurs pour toutes les affaires retenues par le Sénat. Cette théorie se fonde essentiellement sur deux textes Val. Max., 5, 8, 3[Torquatus] a patribus conscriptis petiit ne quid ante de ea re statuerent quam ipse Macedonum filiique sui causam inspexisset et Per. Liv., 54, 5Cum Macedonum legati questum de D. Iunio Silano praetore uenissent, quod acceptis pecuniis prouinciam spoliasset, et senatus de querellis eorum uellet cognoscere, T. Manlius Torquatus, pater Silani, petiit impetrauitque ut sibi cognitio mandaretur ; et domi causa cognita filium condemnauit abdicauitque. : en 140, les Macédoniens seraient venus se plaindre auprès du Sénat des exactions commises par D. Iunius Silanus, et le père de l’intéressé, T. Manlius Torquatus, aurait obtenu de pouvoir examiner l’affaire avant qu’elle soit officiellement instruite par le Sénat ; Junius se suicida après que son père lui eut interdit de reparaître devant lui. On peut, avec Mommsen (Strafr., 708 n. 2), supposer qu’une procédure administrative instruite par le Sénat coexistait avec le nouveau tribunal créé par la loi Calpurnia. Il est au moins aussi simple de supposer une erreur de nos sources : écrivant alors que la juridiction du Sénat sur ses membres se mettait en place ou était bien établie, les deux auteurs auraient abusivement déduit une compétence judiciaire du Sénat du fait que les Macédoniens avaient commencé par exprimer leurs plaintes devant lui (selon une pratique traditionnelle que la loi Calpurnia ne pouvait abolir du jour au lendemain). On notera que les trois seuls procès de repetundis qui nous soient connus pour la période 149-123/2 se conclurent par un acquittement : ces sentences seraient inexplicables (et non pas seulement scandaleuses) si le Sénat avait gardé le pouvoir de juger en première instance du bien-fondé des plaintes des alliés.
2) – Une position plus mesurée, représentée par Lintott (1976, 210, 1981, 174), élimine ce praeiudicium sénatorial, mais conclut au maintien du recours à des récupérateurs après la phase in iure se déroulant devant le préteur pérégrin. Une critique de Kunkel (Staatsordnung, 385) vaut autant contre l’hypothèse de Lintott que contre celle de Eder qu’elle vise expressément : s’il est vrai que l’on peut difficilement supposer sous les lois Calpurnia et Junia un nombre de iudices aussi important que sous la loi gracchienne, cela n’implique pas le recours à des récupérateurs, car l’existence d’une quaestio ne dépend pas du nombre des iudices ; la mise en place de « ständige Rekuperatorenkollegien », d’autre part, serait sans parallèle. On peut ajouter aussi que le lien entre procédure récupératoriale et l.a.s. n’est pas évident (cf. M. Talamanca, BIDR, 1989/1990, 805). Enfin, il serait fort imprudent de faire remonter au s.c. de 171 puis à la loi Calpurnia une procédure comparable à celle du s.c. Calvisianum de 4 av. J.-C. (FIRA, I, n° 68, l. 137-139Αρέσκειν δὲ τῆι βουλῆι τὸν ἄρχοντα τὸν τὴν κλήρωσιν | τῶν δικαστῶν ποιήσαντα ἤ, εἰ μὴ οὗτος δύναιτο, τῶν ὑπάταν τόν τε προηγοροῦν|τα ταύτης τῆς διαίτης προΐστασθαι), qui instituait un tribunal de cinq récupérateurs (κριταί : l. 123, 125, 130, 134, 142 ; δικασταί : l. 138 : peut-être déjà iudices en latin : A. von Premerstein, ZRG, 1928, 503) mais en assignait la présidence au magistrat qui avait procédé à leur tirage au sort avant récusation par les parties, ou à défaut au consul détenteur des faisceaux : on y verra plutôt une trace de la procédure des quaestiones alors même que des récupérateurs étaient réintroduits en matière d’exactions n’impliquant pas un risque de peine capitale (cf. A. von Premerstein, ZRG 1928, 524 ; F. De Visscher, Les édits d’Auguste découverts à Cyrène, Louvain, 1940, 151).
3) – En faisant l’hypothèse d’une forme ancienne de procédure criminelle privée introduite par une legis actio sacramento, et en interprétant la formule de Prob., Not., 4, 5S(i) N(egat), S(acramento) Q(uærito) comme se rapportant à cette procédure (praetor étant le sujet sous-entendu de quaerito), Kunkel (Untersuchungen) a ouvert une perspective nouvelle quant à la nature et à l’origine de la procédure de la loi Calpurnia. Mais cette partie de sa recherche en matière de droit pénal présullanien reste parmi les plus controversées, et la signification de la formule de Probus, en particulier, est très discutée (voir G. Sacconi, « Si negat, sacramento quaerito », SDHI, 29, 1963, 310-315 ; S. Tondo, « La semantica di « sacramentum » nella sfera giudiziale », SDHI 35, 1969, 249-339, part. 320-326 ; A. Magdelain, « Un aspect négligé de l’interpretatio », Sodalitas. Scritti in onore di A. Guarino, 6, Naples, 1984, 2783-2789 = Ius, imperium, auctoritas, Rome, 1990, 95-101, part. 98-99). La force du rapprochement fait par Kunkel entre la loi Calpurnia et la formule de Probus dépend en fait de la légitimité de faire remonter à la loi Calpurnia la formule praetoris quaestio esto attestée par la loi gracchienne (cf. W. Selb, « Vom geschichtlichen Wandel der Aufgabe des iudex in der legis actio », Gedächtnisschrifte für Wolfgang Kunkel, [hrsg. von D. Nörr und D. Simon], Francfort, 1984, 410-414). On retrouve donc en dernière analyse le problème du crédit que l’on est disposé à accorder à la phrase du Brutus sur l’institution par la loi Calpurnia d’une quaestio perpetua.
C) – Quelles étaient les personnes habilitées à introduire l’accusation ? On admet généralement que seuls pouvaient agir des citoyens romains, puisque la procédure de l.a. leur était en principe réservée, mais qu’ils pouvaient le faire au nom d’alliés, et on souligne le rôle décisif et le contrôle de la procédure qui seraient ainsi conférés à des patroni choisis parmi les sénateurs (ainsi Serrao, très largement suivi). L’action alieno nomine, toutefois, était en principe très limitée dans la l.a.s. (Gaius, Inst., 4, 82Nunc admonendi sumus age<re> nos aut nostro nomine aut alieno, ueluti cognitorio, procuratorio, tutorio, curatorio, cum olim, quo tempore legis actiones in usu fuissent, alieno nomine agere non liceret, praeterquam ex ce<r>tis causis ; Gaius, Inst., 4, 10, pr.Nunc admonendi sumus agere posse quemlibet aut suo nomine aut alieno), et Richardson a émis l’hypothèse que la loi Calpurnia, en fait, ait essentiellement, sinon exclusivement, visé des exactions commises aux dépens de citoyens. Cette conclusion paraît excessive : elle ne se heurte pas seulement au témoignage de Cic., Off., 2, 75Nondum centum et decem anni sunt, cum de pecuniis repetundis a L. Pisone lata lex est nulla antea cum fuisset. At uero postea tot leges et proxumae quaeque duriores, tot rei, tot damnati, tantum bellum propter iudiciorum metum excitatum, tanta sublatis legibus et iudiciis expilatio direptioque sociorum, ut inbecillitate aliorum, non nostra uirtute ualeamus., dont il faudrait supposer là encore qu’il résulte d’une réinterprétation anachronique de la loi Calpurnia, mais aussi et surtout à la loi gracchienne épigraphique, qui ne permet pas de supposer une aussi radicale solution de continuité avec les lois de repetundis antérieures, Calpurnia et Junia. Il ne reste donc que deux solutions, dont on doit d’ailleurs souligner qu’elles ne sont pas nécessairement exclusives l’une de l’autre.
1) – L’une consiste à admettre que la loi Calpurnia a formellement ajouté la défense des alliés au nombre des certae causae (Gaius, Inst., 4, 82Nunc admonendi sumus age<re> nos aut nostro nomine aut alieno, ueluti cognitorio, procuratorio, tutorio, curatorio, cum olim, quo tempore legis actiones in usu fuissent, alieno nomine agere non liceret, praeterquam ex ce<r>tis causis) permettant une accusation alieno nomine dans une procédure de l.a.s. (solution préférée, en dernier lieu, par Crawford, 1990, 101).
2) – Une autre solution est que l’accusation ait (également) été accessible aux pérégrins eux-mêmes, à la faveur d’une fictio ciuitatis : elle avait été adoptée par Mommsen (de la façon la plus nette dans « Iudicium legitimum », ZRG, 1891, 267-284, part. 278 n. 1 [mais cette partie de l’article n’est pas reprise dans GS, III, 356-374]), et elle a été proposée de nouveau par Y. Thomas, dans le cadre d’une étude sur l’importance de la fictio dans le développement du système juridique romain.
Le problème du droit à l’accusation ouvert par la loi Calpurnia est en fait indissociable du rôle que la loi accordait aux patroni, mais il n’y a sur ce point de comparaison possible qu’entre la procédure de 171 et celle de la loi gracchienne : c’est ce qu’a fait Serrao, dont les conclusions sont très généralement adoptées, mais peuvent toutefois être nuancées sur plusieurs points : on a introduit une certaine confusion en parlant d’accusations introduites par des patroni, alors que nos sources permettraient plutôt d’établir une distinction constante entre l’accusation introduite par un pérégrin assisté d’un patronus et l’accusation introduite par un citoyen romain, que ce soit dans le cadre de l’accusation populaire ou dans celui d’une accusation alieno nomine au nom d’une victime pérégrine (Ferrary, 1998).
Alors qu’en 171 les socii doivent choisir des patroni (Liv., 43, 2, 4 iussique nominare patronos) qu’ils ne semblent pas avoir la possibilité de récuser ensuite, la loi gracchienne n’intervient que pour leur permettre de demander au préteur de leur en désigner un, et les autoriser à le récuser s’il fait obstruction à la procédure, avec obligation pour le préteur d’en désigner un autre. Cela n’implique pas qu’elle ait voulu exclure la possibilité pour les socii de proposer eux-mêmes leur patronus, ni d’ailleurs qu’en 171 les patroni proposés (nominati) par les socii n’aient pas été officiellement désignés (dati) par le Sénat (cf. IGR, IV, 968Ὁ δῆμος ὁ Σαμίων Γναῖον Δομέτιον Γναίου υἱόν, τοῦ δοθέντος ὑπὸ τῆς / συγχλήτου πάτρωνος τωὶ δήμωι, / ὑπέρ τε τῶν κατὰ τὸ ἱερὸν τῆς Ἀρτέμιδος / τῆς Ταυροπόλου, ἀρετῆς ἕνεκεν / τῆς εἰς ἑαυτὸν, Ἥρηι. / Φιλότεχνος Ἡρώιδου ἐποίει. , à l’occasion peut-être d’un procès de repetundis : C. P. Eilers, « Cn. Domitius and Samos : A New Extortion Trial », ZPE, 89, 1991, 167-178) : il n’y a pas incompatibilité entre nominatio et datio (comme le confirme le s.c. Calvisianum, FIRA, I, n° 68, l. 101-103: le magistrat doit introduire les alliés devant le Sénat, καὶ συνήγορον ὃ(ϛ) ὑπὲρ αὐτῶν ἐρεῖ ἐπὶ τῆϛ συνκλήτου, ὃν ἂ[ν] αὐτοὶ αἰτήσωσιν, διδόναι). Une différence plus significative est, sans aucun doute, que les patroni de 171 sont nommés avant qu’aucune accusation soit intentée, alors que ceux de la loi gracchienne le sont après ; mais doit-on pour cela radicaliser l’opposition en affirmant que les premiers auraient eu le monopole d’une accusation qui aurait échappé totalement aux seconds ? Le texte livien sur les procès de 171 parle d’un bruit selon lequel les alliés auraient été empêchés par leurs patroni d’introduire de nouvelles accusations, mais ajoute que le préteur aurait accru ce soupçon en décidant brusquement de procéder à une levée de troupes et de partir pour sa province, (Liv., 43, 2, 11Fama erat prohiberi a patronis nobiles ac potentes conpellare ; auxitque eam suspicionem Canuleius praetor, quod omissa ea re dilectum habere instituit, dein repente in prouinciam abiit, ne plures ab Hispanis uexarentur.). On pense généralement que les patroni étaient seuls habilités à introduire une accusation, mais une autre interprétation peut être envisagée : que les deux premières accusations aient été introduites par les socii eux-mêmes (Liv., 43, 2, 8ad recuperatores adducti a citerioribus populis P. Furius Philus, ab ulterioribus M. Matienus) ; que les patroni aient ensuite, non pas refusé d’introduire de nouvelles accusations, mais fait pression en ce sens sur leurs clients (Liv., 43, 2, 11Fama erat prohiberi a patronis nobiles ac potentes conpellare ; auxitque eam suspicionem Canuleius praetor, quod omissa ea re dilectum habere instituit, dein repente in prouinciam abiit, ne plures ab Hispanis uexarentur.) ; qu’enfin le départ du préteur ait été l’unique solution pour prévenir de nouvelles accusations au cas où les pressions des patroni seraient insuffisantes. On serait dans une situation comparable à celle que devait instituer sous Auguste le s.c. Calvisianum déjà mentionné, où des patroni sont nommés devant le Sénat pour y parler au nom des plaignants, mais où l’accusation proprement dite reste le privilège de ces derniers (FIRA, I, n° 68, l. 105ἂν ἐν τῇ συνκλήτωι αἰ|τίας ἐπιφέρουσιν ὅπως ἀκουσθῶσιν, ἄρχων ὅς ἂν αὐτοῖς πρόσοδον εἰς τὴν | σύνκλητον δῶι). Même dans la perspective de cette seconde interprétation de la procédure de 171, et même si, avec l’institution par la loi Calpurnia d’une quaestio perpetua, ce qui s’était passé en 171 ne pouvait plus se reproduire exactement, la loi gracchienne aurait constitué un net progrès en permettant la récusation du patronus, sei is mora[m fecerit] (RS, n°1, l. 11, avec la restitution de Lintott reprise par Crawford dans Roman Statutes). Il y a donc des différences incontestables entre les patroni de 171 et ceux de la loi gracchienne, mais il reste des incertitudes qui tiennent à notre ignorance, d’une part de ce qui se serait passé en 171 si le départ précipité du préteur n’avait tout arrêté, et d’autre part des conséquences que put avoir en ce domaine la création d’une quaestio perpetua : sans doute faudrait-il admettre que l’évolution du rôle des patroni entre 171 et 123/2 et (indissociablement) le problème du droit des pérégrins à l’accusation ne peuvent être considérés comme résolus avec autant de certitude qu’on le fait généralement.
Scipion Émilien et P. Lentulus sont qualifiés d’accusateurs dans des procès de repetundis datables de 138 et de 125/4 (Cic., Diu. Caec., 69Cuius consuetudinis atque instituti patres maioresque nostros non paenitebat tum cum P. Lentulus, is qui princeps senatus fuit, accusabat M'. Aquilium subscriptore C. Rutilio Rufo, aut cum P. Africanus, homo uirtute, fortuna, gloria, rebus gestis amplissimus, posteaquam bis consul et censor fuerat, L. Cottam in iudicium uocabat. Iure tum florebat populi Romani nomen, iure auctoritas huius imperi ciuitatisque maiestas grauis habebatur. Nemo mirabatur in Africano illo, quod in me nunc, homine paruis opibus ac facultatibus praedito, simulant sese mirari, cum moleste ferunt ; Cic., Mur., 58Venio nunc ad M. Catonem, quod est fundamentum ac robur totius accusationis ; qui tamen ita grauis est accusator et uehemens ut multo magis eius auctoritatem quam criminationem pertimescam. In quo ego accusatore, iudices, primum illud deprecabor ne quid L. Murenae dignitas illius, ne quid exspectatio tribunatus, ne quid totius uitae splendor et grauitas noceat, denique ne ea soli huic obsint bona M. Catonis quae ille adeptus est ut multis prodesse possit. Bis consul fuerat P. Africanus et duos terrores huius imperi, Carthaginem Numantiamque, deleuerat cum accusauit L. Cottam. Erat in <eo> summa eloquentia, summa fides, summa integritas, auctoritas tanta quanta in imperio populi Romani quod illius opera tenebatur. Saepe hoc maiores natu dicere audiui, hanc accusatoris eximiam uim <et> dignitatem plurimum L. Cottae profuisse. Noluerunt sapientissimi homines qui tum rem illam iudicabant ita quemquam cadere in iudicio ut nimiis aduersarii uiribus abiectus uideretur ; Cic., Brut., 81Nam et A. Albinus, is qui Graece scripsit historiam, qui consul cum L. Lucullo fuit, et litteratus et disertus fuit ; et tenuit cum hoc locum quendam etiam Ser. Fulvius et Numerius Fabius Pictor et iuris et litterarum et antiquitatis bene peritus ; Quinctusque Fabius Labeo fuit ornatus isdem fere laudibus. Nam Q. Metellus, is cuius quattuor filii consulares fuerunt, in primis est habitus eloquens, qui pro L. Cotta dixit accusante Africano ; cuius et aliae sunt orationes et contra Ti. Gracchum exposita est in C. Fanni annalibus ; Val. Max., 8, 1 abs., 11Sed quem ad modum splendor amplissimorum uirorum in protegendis reis plurimum ualuit, ita <in> opprimendis non sane multum potuit : quin etiam euidenter noxiis, dum eos acrius inpugnat, profuit. P. Scipio Aemilianus Cottam apud populum accusauit. Cuius causa, quamquam grauissimis criminibus erat confossa, septies ampliata et ad ultimum octauo iudicio absoluta est, quia homines uerebantur ne praecipuae accusatoris amplitudini damnatio eius donata existimaretur. Quos haec secum locutos crediderim : « nolumus caput alterius petentem in iudicium triumphos et tropaea spoliaque et deuictarum nauium rostra deferre : terribilis sit his aduersus hostem, ciuis uero salutem tanto fragore gloriae subnixus ne insequatur » ; Tac., Ann., 3, 66, 1C. Silanum pro consule Asiae repetundarum a sociis postulatum Mamercus Scaurus e consularibus, Iunius Otho praetor, Bruttedius Niger aedilis simul corripiunt obiectantque uiolatum Augusti numen, spretam Tiberii maiestatem, Mamercus antiqua exempla iaciens, L. Cottam a Scipione Africano, Seruium Galbam a Catone censorio, P. Rutilium a M. Scauro accusatos. Videlicet Scipio et Cato talia ulciscebantur aut ille Scaurus, quem proauum suum obprobrium maiorum Mamercus infami opera dehonestabat. ; Per. Oxy. Liv., 55P. Africanus cum L. Cottam [accu]sar[et] magnitudinem nom[inis eum] cad[ere noluerunt]). Mais le même vocabulaire est utilisé pour des procès de repetundis datables des années 123-107, entre la loi gracchienne et celle de Caepio (Cic., Font., 38M. Aemilium Scaurum, summum nostrae ciuitatis uirum, scimus accusatum a M. Bruto. Exstant orationes, ex quibus intellegi potest multa in illum ipsum Scaurum esse dicta, falso ; quis negat ? Verum tamen ab inimico dicta et obiecta. Quam multa M'. Aquilius audiuit in suo iudicio, quam multa L. Cotta, denique P. Rutilius ! Qui, etsi damnatus est, mihi uidetur tamen inter uiros optimos atque innocentissimos esse numerandus. Ille igitur ipse homo sanctissimus ac temperantissimus multa audiuit in sua causa quae ad suspicionem stuprorum ac libidinum pertinerent ; Cic., Fam., 9, 21, 3Deinde Carbones et Turdi insequuntur. Hi plebeii fuerunt, quos contemnas censeo ; nam praeter hunc C. Carbonem quem Damasippus occidit ciuis e re publica Carbonum nemo fuit. Cognouimus Cn. Carbonem et eius fratrem scurram ; quid iis improbius ? De hoc amico meo, Rubriae filio, nihil dico. Tres illi fratres fuerunt, C., Cn., M. Carbones. Marcus P. Flacco accusante condemnatus, fur magnus, ex Sicilia. Gaius accusante L. Crasso cantharidas sumpsisse dicitur. Is et tribunus pl. seditiosus et P. Africano uim attulisse existimatus est. Hoc uero qui Lilybaei a Pompeio nostro est interfectus improbior nemo meo iudicio fuit. Iam pater eius accusatus a M. Antonio sutorio atramento absolutus putatur. Qua re ad patres censeo revertare ; plebeii quam fuerint importuni uides ; Gell., 15, 14, 1Aput Q. Metellum Numidicum in libro accusationis in Valerium Messalam tertio noue dictum esse adnotauimus ; Apul., Apol., 66, 4Quod si nunc quoque frequens esset, tamen ab hoc procul abfuisset ; nam neque facundiae ostentatio rudi et indocto neque gloriae cupido rustico et barbaro neque inceptio patrociniorum capulari seni congruisset ; nisi forte Aemilianus pro sua seueritate exemplum dedit et ipsis maleficiis infensus accusationem istam pro morum integritate suscepit. At hoc ego Aemiliano, non huic Afro, sed illi Africano et Numantino et praeterea Censorio uix credidissem : ne huic frutici credam non modo odium peccatorum, sed saltem), et si nous n’avions le texte épigraphique, nous n’aurions pu deviner que la loi gracchienne permettait aux alliés d’introduire eux-mêmes une accusation avant même de recevoir un patronus. Les mêmes problèmes se posent donc avant comme après la réforme gracchienne : même pour une période où nous avons la certitude que le droit à l’accusation était reconnu aux pérégrins, nous n’avons connaissance que d’accusateurs romains dans le cadre de la quaestio de repetundis. Peut-être a-t-on, en fait, accordé trop d’importance au problème de l’ouverture à des pérégrins du droit à l’accusation, en ce qui concerne du moins les alliés provinciaux : à la différence des Italiens et surtout des Latins, ils ne pouvaient qu’être fortement dépendants de protecteurs romains dans le cadre de toute procédure judiciaire contre d’anciens magistrats, et le droit d’introduire eux-mêmes une accusation, voire de récuser un patronus pratiquant l’obstruction, n’y pouvait pas changer grand chose sur le fond.
Tant de points discutés rendent nécessairement incertaine la finalité même de la loi : visait-elle essentiellement à protéger les intérêts de sujets ou de citoyens ? A mieux réprimer les exactions ou avant tout à renforcer le mainmise du Sénat sur les procédures de sanction ? Peut-être est-ce mal poser le problème que de recourir à de telles oppositions, de même qu’il n’est pas nécessairement légitime d’induire l’esprit de la loi de la façon dont elle fut appliquée. Que la loi n’ait pas été hostile au Sénat est presque une évidence, mais cela n’exclut pas une volonté réelle de réprimer plus efficacement les comportement délictueux des magistrats dans les provinces ou en Italie. L’établissement d’une quaestio perpetua était de ce point de vue un réel progrès, et les précédents de 171 ou de 154 ne laissaient pas nécessairement deviner que les sénateurs siégeant dans la nouvelle quaestio se conduiraient de façon aussi partiale en faveur de leurs pairs.
Un dernier problème concerne l’abrogation ou la survie de la loi Calpurnia. Des lignes RS, n°1, l. 73-75[deque ea re eiei] praetori quaestorique omnium rerum, quod ex hace lege factum non erit, siremps lex esto qua[sei sei apud eum ea res acta esset ….. De rebus ex lege Calpurnia Iuniaue iudicatis. Quibusquom] || fuit fueritue ex lege quam L. Calpurnius, L. f. tr. pl. rogauit, exue lege, quam M. Iunius D. f. tr. pl. rogauit, quei eorum eo [ioudicio … apsolutus uel condemnatus est eritue, quo] magis de ea re ius nomen hace lege deferatur quoue magis de ea re quom [eo ex h. l. adatur, eius h. l. nihilum rogato. Queique contra h. l. fecisse dicentur, … nisei lex rogata erit ante quam ea res facta] || erit, quom eis hace lege actio nei esto (= l. 80-82) de la loi gracchienne, on déduit généralement qu’elle était encore en vigueur en 123/2, à côté de la loi Junia, et qu’elle put le rester après cette date : en ce sens, en dernier lieu, Crawford, RS, 110. Une autre interprétation est toutefois possible, si l’on admet que, dans la formule de quibus iudicium fuit fueritue ex lege quam L. Calpurnius L. f. tr. pl. rogauit exue lege quam M. Iunius D. f. tr. pl. rogauit, quei eorum eo ioudicio condemnatus est eritue, on est dans le cas de « lists, where not everything in the list necessarily applies and one needs to understand ’as appropriate’ » (Crawford, RS, 19, et 435 ad Lex Coloniae Genetivae RS, n° 25, c. 65, l. 12-13), et que les futurs antérieurs fueritue et eritue se rapportent en fait à la seule loi Junia : la loi prescrirait seulement l’impossibilité d’introduire une nouvelle accusation pour un crime qui a déjà fait l’objet d’une condamnation en vertu de la loi Calpurnia, qui a ou aura déjà fait l’objet d’une condamnation en vertu de la loi Junia. Si l’on rejette cette interprétation, on doit admettre qu’il restait possible d’introduire des actions en vertu des lois précédentes : il paraît en effet difficile de croire que des actions engagées en vertu de la loi Calpurnia n’auraient pas encore fait l’objet d’un verdict au moment du vote de la loi gracchienne (sauf à admettre l’hypothèse improbable que la loi Junia ait été une première loi d’inspiration gracchienne, ne précédant que d’une année la loi épigraphique : voir notice 486). On a pensé que la vieille procédure de legis actio sacramento était conservée à l’usage des citoyens romains (en ce sens J. Richardson, 8-9 : la loi Calpurnia aurait même survécu en 70, et Cicéron y ferait implicitement allusion en parlant d’une ciuilis fere actio ouverte aux citoyens romains Cic., Diu. Caec., 18Nam ciuibus cum sunt ereptae pecuniae, ciuili fere actione et priuato iure repetuntur.), ou que les lois Calpurnia et Junia contenaient un certain nombre de réglements et d’interdictions qui n’entraient pas dans la compétence de la nouvelle quæstio (Lintott 1981, 176). Peut-être faudrait-il seulement admettre que la nouvelle loi, qui de toute façon ne semble pas avoir contenu de clause formelle d’abrogation des lois précédentes, laissait aux futurs plaignants le soin de préférer la nouvelle procédure qui leur était offerte, mais précisait toutefois qu’il leur faudrait faire un choix entre l’une et l’autre : une condamnation obtenue en vertu de la loi Calpurnia ou de la loi Junia ne saurait être utilisée comme praeiudicium pour obtenir une seconde condamnation, plus grave dans ses conséquences, en vertu de la nouvelle loi.
Comment citer cette notice
Jean-Louis Ferrary. "Loi Calpurnia de pecuniis repetundis (pl. sc.)", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice83/. Date de mise à jour :17/11/19 .