Nom de la loi

Loi Clodia (pl. sc.) interdisant les activités commerciales aux scribes des questeurs

Date

58 av. J.-C.

Rogator

P. Clodius Pulcher (RE 48)

Thèmes

Sources

Suét., Dom., 9, 6
Scribas quaestorios negotiantes, ex consuetudine sed contra Clodiam legem, uenia in praeteritum donauit.

Bibliographie

  • Lange, Römische Alterthümer3, 2, 673
  • Mommsen, Staatsr., 1, 336, n. 3 =( Dr. publ. 1, 385 n. 2
  • Kornemann, E., RE, 2 A 1, 1921, s. u. Scriba, 854
  • Rotondi, LPR, 398
  • Mooney, G. W., C. Suetonii Tranquilli de uita Caesarum l. VII-VIII, Londres, 1930, 552
  • Gruen, Last Generation, 255
  • Bauman, R., « The Resumé of Legislation in Suetonius », ZSS 99, 1982, 118
  • Purcell, N., « The apparitores : a Study in Social Mobility », PBSR 51, 1983, 132
  • Cohen, B., « Some Neglected ordines », dans C. Nicolet (dir.), Des Ordres à Rome, Paris, 1984, 46
  • Benner, H., Die Politik des P. Clodius Pulcher, 1987
  • Thommen, Volkstribunat, 89-90
  • Badian, E., « The scribae of the Roman Republic », Klio 71, 2, 1989, 600
  • Tatum, W. J., The Patrician Tribune. Publius Clodius Pulcher, Univ. Carolina Press, 1999, 249
  • Fezzi, L., « La legislazione tribunizia di Publio Clodio Pulcro », SCO 47, 1, 2001, 313-315
  • Purcell, N., « The ordo scribarum : a Study in the Loss of Memory », MEFRA 113, 2, 2001, 657-658, 667
  • David, J.-M., Au Service de l’honneur. Les appariteurs des magistrats romains, Paris, 2019
  • Berrendonner, C., Le Peuple et l’argent. Administration et représentations du Trésor Public dans la Rome républicaine (509-49 av. J.-C.), Rome, 2022, 222 et n. 583.

Commentaire

Sommaire


1 - L'identification du rogator et la date de la loi

Cette loi n’est connue que par un passage de Suétone (Suét., Dom., 9Scribas quaestorios negotiantes, ex consuetudine sed contra Clodiam legem, uenia in praeteritum donauit.) mentionnant une mesure de grâce prise par Domitien en faveur des scribes des questeurs : il dispensa de peine ceux d’entre eux qui, selon une pratique courante, avaient eu des activités commerciales malgré une loi Clodia l’interdisant (ce qui implique que l’interdiction restait valable à l’avenir, cf. Bauman).

Cette loi a été identifiée par Cohen (hypothèse alternative, cf. infra) au plébiscite Claudien de 218 (voir notice n° 96) interdisant aux sénateurs de posséder un navire de commerce de plus de 300 amphores. Cette hypothèse se heurte à deux objections : la première est la graphie Clodia, puisque Suétone, pour autant qu’on puisse en juger d’après sa tradition manuscrite, distinguait systématiquement les formes Clodius, pour le tr. pl. 58, et Claudius pour d’autres (voir en particulier Suét., Aug., 62, 1 Sponsam habuerat adulescens P. Servili Isaurici filiam, sed reconciliatus post primam discordiam Antonio, expostulantibus utriusque militibus ut et necessitudine aliqua iungerentur, priuignam eius Claudiam, Fuluiae ex P. Clodio filiam, duxit uxorem uixdum nubilem. ; Suét., Tib., 2, 8 Praeterea notatissimum est Claudios omnis, excepto dumtaxat P. Clodio, qui ob expellendum urbe Ciceronem plebeio homini atque etiam natu minori in adoptionem se dedit, optimates adsertoresque unicos dignitatis ac potentiae patriciorum semper fuisse.). La seconde objection est le fait que la loi de 218, était déjà considérée par certains à l’époque de Cicéron (Cic., 2 Verr., 5, 45 Noli metuere, Hortensi, ne quaeram qui licuerit aedificare nauem senatori ; antiquae sunt istae leges et mortuae, quem ad modum tu soles dicere, quae uetant.: Hortensius) comme tombée en désuétude, et devait l’être encore davantage sous Domitien (Mooney) : il y avait au minimum débat sur ce point.

Depuis Lange, la loi est donc presque unanimement considérée comme un plébiscite de P. Clodius Pulcher, tr. pl. 58 av. J.-C. (c’est aussi l’hypothèse principale de Cohen ; Kunkel [-Wittmann], 113 : « vermutlich ») ; on notera cependant l’hésitation de Purcell, 2001, 667, n. 135, qui signale en outre l’idée suggérée par P. A. Brunt qu’il pourrait également s’agir de la loi d’un Clodius inconnu, ce que l’on ne peut exclure a priori. Le fait que Cicéron, source principale de notre connaissance des plébiscites du tribun, sur lesquels il porte un jugement systématiquement négatif, ne mentionne pas cette loi, ne suffit pas à réfuter son attribution à Clodius : la loi pouvait être considérée comme un moyen légitime et utile de contrôler les abus des auxiliaires des magistrats (cf. infra), d’où le silence de Cicéron et celui des sources qui dépendent de lui (sur ce possible biais des sources, voir Gruen).

2 - L’objectif de la loi

La teneur de la source unique ne permet guère que d’avancer des hypothèses quant à l’objectif de la loi. On l’a rapprochée d’une part de la tendance des magistrats, à la fin de la République, à limiter le pouvoir de fait des scribes chargés des comptes publics et de la conservation des lois, illustrée par les mesures prises en 64 par Caton durant sa questure envers les scribes de l’aerarium, donc en contexte urbain (Plut., Cat. min., 16, 3 Μέχρι οὗ Κάτων ἐπιστὰς τοῖς πράγμασι νεανικῶς, οὐκ ὄνομα καὶ τιμὴν ἔχων ἄρχοντος, ἀλλὰ καὶ νοῦν καὶ φρόνημα καὶ λόγον, ὑπηρέταις, ὅπερ ἦσαν, ἠξίου χρῆσθαι τοῖς γραμματεῦσι, τὰ μὲν: ἐξελέγχων κακουργοῦντας αὐτούς, τὰ δὲ ἁμαρτά: νοντας ἀπειρίᾳ διδάσκων, ὡς δὲ ἦσαν ἰταμοὶ καὶ τοὺς ἄλλους ἐθώπευον ὑποτρέχοντες, ἐκείνῳ δὲ ἐπολέμουν, τὸν μὲν πρῶτον αὐτῶν καταγνοὺς περὶ πίστιν ἐν κληρονομίᾳ γεγονέναι πονηρόν ἀπήλασε τοῦ ταμιείου, δευτέρῳ δέ τινὶ ῥᾳδιουργίας προὔθηκε κρίσιν.). La loi aurait donc eu pour finalité d’interdire aux scribes questoriens des activités économiques à Rome (Gruen, Benner, Tatum, David, 64 et 151), par exemple le prêt à intérêt, pour les éloigner de la tentation de prêter les fonds de l’aerarium, et de les empêcher d’entrer dans des sociétés contractant avec le populus, alors qu’ils contrôlaient les paiements faits à ces sociétés ou par elles. En revanche, il est peu vraisemblable qu’outre un souci de bonne administration (Kornemann, Gruen), la loi ait été marquée par une hostilité aux chevaliers, les scribes n’atteignant alors que rarement à cet ordo (Purcell, 2001, 638-639 ; David, 233).

On a d’autre part supposé que l’intention du législateur était parallèle à celle de Pompée qui durant son consulat de 55 essaya en vain de faire accepter par le sénat l’extension de la loi repetundarum portée par César en 59 (voir notice n° 463) aux comites des promagistrats, dont les scribes (Cic., Rab. Post., 13Nam cum optimo et praestantissimo consule, Cn. Pompeio, de hac ipsa quaestione referente existerent non nullae sed perpaucae tamen acerbae sententiae, quae quidem censerent ut tribuni, ut praefecti, ut scribae, ut comites omnes magistratuum lege hac tenerentur, uos, uos inquam, ipsi et senatus frequens restitit. ; texte d’interprétation discutée : voir C. Venturini, Studi sul « crimen repetundarum » nell’età repubblicana, Milan, 1979, 463-469). Ils étaient d’ailleurs déjà soumis à cette époque, comme les magistrats, aux normes de la loi réprimant le peculatus (Cic., Mur., 42, 1Quid tua sors ? Tristis, atrox, quaestio peculatus ex altera parte lacrimarum et squaloris, ex altera plena accusatorum atque indicum ; cogendi iudices inuiti, retinendi contra uoluntatem; scriba damnatus, ordo totus alienus. ; sur la responsabilité pénale des scribes, voir David, 229-230). Le rogator aurait ainsi voulu interdire aux scribes des questeurs accompagnant les promagistrats dans leurs provinces les activités économiques déjà prohibées à ces promagistrats (Lange, Mommsen, Kornemann, Purcell, 1983 et 2001, 667, David, 230-231). Thommen et Fezzi ont voulu préciser cette hypothèse en rapprochant ce plébiscite de Clodius de ses mesures concernant la distribution du blé public : il aurait voulu écarter les scribes, en particulier ceux servant en Sicile (où il avait lui-même été questeur), des contrats concernant la perception du blé public.

Il est peu probable, comme l’envisage Bauman (qui se fonde sur l’énumération de Cic., Rab. Post., 13Nam cum optimo et praestantissimo consule, Cn. Pompeio, de hac ipsa quaestione referente existerent non nullae sed perpaucae tamen acerbae sententiae, quae quidem censerent ut tribuni, ut praefecti, ut scribae, ut comites omnes magistratuum lege hac tenerentur, uos, uos inquam, ipsi et senatus frequens restitit.) : ut tribuni, ut praefecti, ut scribae, ut comites omnes magistratuum), que la loi ait concerné, outre les scribes questoriens, d’autres apparitores, puisque les scribes tenaient un rôle très particulier dans le maniement des fonds publics

Il faut enfin prendre en considération le contexte politique de l’année 58, à une époque où les scribes en tant qu’ordo représentaient un poids politique supérieur au statut individuel de chacun de ses membres (Badian) : Clodius entretenait des relations étroites avec certains scribes, dont Sex. Clodius (RE 11 ; Benner, 156-158), rédacteur de ses plébiscites (Cic., Mil., 33Exhibe, quaeso, Sexte Clodi, exhibe librarium illud legum uestrarum, quod te aiunt eripuisse e domo et ex mediis armis turbaque nocturna tamquam Palladium sustulisse, ut praeclarum uidelicet munus atque instrumentum tribunatus ad aliquem, si nactus esses, qui tuo arbitrio tribunatum gereret, deferre posses.), mais l’ordre était plutôt favorable au sénat, ainsi quand il défendit Cicéron en 63 et en 58 (Cic., Cat., 4, 15 Pari studio defendundae rei publicae convenisse uideo tribunos aerarios, fortissimos viros ; scribas item uniuersos, quos cum casu hic dies ad aerarium frequentasset, uideo ab expectatione sortis ad salutem communem esse conuersos. ; Cic., Dom., 74Scribae, qui nobiscum in rationibus monumentisque publicis uersantur, non obscurum de meis in rem publicam beneficiis suum iudicium decretumque esse uoluerunt.).

3 - Le destin de la loi

Comme on l’a vu, la mesure de dispense de Domitien implique que cette loi républicaine était alors considérée comme encore en vigueur. On notera que la loi municipale flavienne, vers la même époque, interdisait aux scribes et appariteurs des magistrats des municipes ibériques d’entrer dans des sociétés de publicains, sans doute également pour éviter des conflits d’intérêt ou des fraudes (Lex Irnitana, AE, (ch. J), l. 8-18 R(ubrica). Qui ne conducant emantue neve socii sint cum publica locabuntur uenibunt. / Quaecumque publica ultroque tributa aliaeue quae res in mu/nicipio Flauio Irnitano locabuntur uenibun(t)ue ne quis II/uir neue aedilis neue quaestor neue cui{i}us(que) eorum filius <neue> nepos / neve pater <neue> auos neue frater neue scriba neue apparitor ea/rum quam rem conducito emitoue neue in earum qua re soci/us es[t]o neue ex earum qua re ob earum(ue) quam rem eou[e] no/mine [p]artem capito neue aliut quit facito sc(iens) d(olo) m(alo) quo quid ex / earum qua re ob earumue qu[a]m rem eoue nomine p[ost]ea at eum / perueniat. ; voir David, 231, n. 25), et qu’elle reflétait la lex publica de Clodius.

Comment citer cette notice

Philippe Moreau. "Loi Clodia (pl. sc.) interdisant les activités commerciales aux scribes des questeurs", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice110/. Date de mise à jour :13/05/24 .