Nom de la loi
[Loi confiant à P. Cornelius Scipio le commandement de la guerre en Afrique (pl. sc.)
Date
202 av. J.-C.
Sources
Liv., 30, 27, 3-4Bibliographie
- Bleicken, Volkstribunat, 50-1
- Elster, GMRR, 268-269
- Ferrary, Festschrift Bleicken, 111 et n. 14
- Kloft, Prorogation, 54 et n. 30, 60 n. 59, 74-5
- Kunkel(-Wittmann), Staasordnung, 618-9
- Mommsen, Staatsr., I, 368 n. 2 et III, 1091 n. 2
- Rotondi, LPR, 264
- De Sanctis, St. Rom., III, 22, 530-1 n. 157
- Scullard, RP, 79-80 (= Scipio Africanus, Soldier and Politician, Ithaca, 1970, 171)
- Willems, Sénat, II, 540-1
Commentaire
Selon Liv., qui suit une source annalistique, les deux consuls de 202, M. Servilius Geminus et Ti. Claudius Nero, demandèrent au Sénat de désigner comme provinces consulaires l'Italie et l'Afrique. Mais Q. Caecilius Metellus obtint un s.c. ordonnant aux consuls de s'accorder avec les tribuns pour l'organisation d'un pl. sc., quem uellet in Africa bellum gerere. Toutes les tribus choisirent Scipion, mais l'Afrique fut pourtant une des provinces consulaires tirées au sort : ita enim senatus decreuerat. L'Afrique échut à Nero avec une flotte de 50 navires et un imperium égal à celui de Scipion. Ce pl. sc. est rappelé dans le c. 40, lorsque le consul de 201 Cn. Lentulus veut à son tour se voir attribuer la province d'Afrique, sous la forme : cuius uellent imperium in Africa esse. L'historicité en a été acceptée par Mommsen, Rotondi (LPR, 264), Bleicken, Kloft et Wittmann malgré les réserves émises, à juste titre, par Willems et surtout par De Sanctis, suivi par Scullard.
D’une part, les indications fournies par Liv. manquent de cohérence : le recours à un pareil pl. sc. ex s.c. ne pourrait que traduire le refus du Sénat de faire de l'Afrique une province consulaire (en recourant à une consultation du peuple pour ne pas provoquer une confrontation directe avec les consuls), mais l'on apprend aussitôt après, non seulement qu'une telle décision aurait pourtant été prise, mais encore qu'elle n'aurait pas été annulée par le pl. sc. ; le résultat est que l'Afrique aurait été la province tant du consul Nero que du proconsul Scipio, pari imperio [cette dernière précision serait contraire à la théorie mommsénienne d'une "höhere Amstgewalt" du consul sur le proconsul : Mommsen, Staatsr., I, 25 et III, 1091 ; Giovannini, Consulare imperium, , 70-1, avec des indications inexactes sur Liv. 30, 27, 4 ; mais cette théorie paraît devoir être rejetée : E. S. Staveley, « The fasces and imperium maius », Historia 12, 1963, 458-484, 472-8 ; Kloft, 72-6 ; E. Badian, Gnomon 1979, 792-4]. Cela n'est pas satisfaisant, car un pl. sc. confiant à Scipion le commandement de la guerre en Afrique aurait dû avoir pour résultat, que les provinces consulaires aient ou non été préalablement désignées par le Sénat, d'empêcher que l'Afrique fût la province d'un des consuls ; et le pl. sc. aurait dû être formulé autrement si, l'Afrique ayant déjà été désignée comme province consulaire, le Sénat avait seulement voulu confirmer la décision prise en 203 de proroger l'imperium de Scipion donec debellatum in Africa foret (Liv., 30, 1, 10et Lucretio prorogatum imperium ut Genuam oppidum a Magone Poeno dirutum exaedificaret. P. Scipioni non temporis, sed rei gerendae fine, donec debellatum in Africa foret, prorogatum imperium est;), et créer deux commandements totalement distincts en interdisant au consul de prétendre donner des ordres au proconsul.
D’autre part, la formulation du pl. sc. n'envisage que la poursuite de la guerre en Afrique. Cela est cohérent avec la tradition selon laquelle les ambassadeurs carthaginois auraient été peu auparavant congédiés par le Sénat (Liv., 30, 21, 11-23, 821.11 iam dimisso Laelio legatisque Masinissae cum Carthaginiensium legatos de pace ad senatum uenientes Puteolis uisos inde terra uenturos allatum esset, reuocari C. Laelium placuit ut coram eo de pace ageretur. 21.12 Q. Fuluius Gillo legatus Scipionis Carthaginienses Romam adduxit; quibus uetitis ingredi urbem hospitium in uilla publica, senatus ad aedem Bellonae datus est. 22.1 orationem eandem ferme quam apud Scipionem habuerunt, culpam omnem belli a publico consilio in Hannibalem uertentes: 22.2 eum iniussu senatus non Alpes modo sed Hiberum quoque transgressum, nec Romanis solum sed ante etiam Saguntinis priuato consilio bellum intulisse; 22.3 senatui ac populo Carthaginiensi, si quis uere aestimet, foedus ad eam diem inuiolatum esse cum Romanis; 22.4 itaque nihil aliud sibi mandatum esse uti peterent quam ut in ea pace quae postremo cum C. Lutatio facta esset manere liceret. 22.5 cum more tradito [a] patribus potestatem interrogandi, si quis quid uellet, legatos praetor fecisset, senioresque qui foederibus interfuerant alia alii interrogarent, nec meminisse se per aetatem – etenim omnes ferme iuuenes erant – dicerent legati, 22.6 conclamatum ex omni parte curiae est Punica fraude electos qui ueterem pacem repeterent cuius ipsi non meminissent. 23.1 emotis deinde curia legatis sententiae interrogari coeptae. M. Liuius C. Seruilium consulem qui propior esset arcessendum ut coram eo de pace ageretur censebat; 23.2 cum de re maiore quam quanta ea esset consultatio incidere non posset, non uideri sibi absente consulum altero ambobusue eam rem agi satis ex dignitate populi Romani esse. 23.3 Q. Metellus, qui triennio ante consul dictatorque fuerat: cum P. Scipio caedendo exercitus agros populando in eam necessitatem hostes compulisset ut supplices pacem peterent, 23.4 et nemo omnium uerius existimare posset qua mente ea pax peteretur quam qui ante portas Carthaginis bellum gereret, nullius alterius consilio quam Scipionis accipiendam abnuendamue pacem esse. 23.5 M. Valerius Laeuinus, qui bis consul fuerat, speculatores non legatos uenisse arguebat, iubendosque Italia excedere et custodes cum iis usque ad naues mittendos, Scipionique scribendum ne bellum remitteret. 23.6 Laelius Fuluiusque adiecerunt et Scipionem in eo positam habuisse spem pacis si Hannibal et Mago ex Italia non reuocarentur; 23.7 ceterum omnia simulaturos Carthaginienses, duces eos exercitusque exspectantes; deinde quamuis recentium foederum et deorum omnium oblitos bellum gesturos. 23.8 eo magis in Laeuini sententiam discessum. legati pace infecta ac prope sine responso dimissi. ), mais il s'agit-là très probablement d'une falsification annalistique, les préliminaires de paix négociés par Scipion ayant en réalité été ratifiés par le Sénat et par le peuple (notice n° 760). On imagine mal qu'un autre pl. sc., alors que rien ne permettait encore de douter que la paix serait bientôt signée, ait demandé au peuple de choisir celui qui conduirait la guerre en Afrique. On accordera plus de crédit à Liv. lorsqu'il signale un peu plus loin qu'à la nouvelle de la rupture de la trêve par les Carthaginois le consul Nero fut chargé de conduire une flotte en Sicile puis en Afrique, mais qu'il fit traîner les choses quod patres de pace P. Scipionis potius arbitrium esse, quibus legibus daretur, quam consulis censuerant (Liv., 30, 38, 7segniter omnia in comparanda deducendaque classe ab Ti. Claudio consule facta erant quod patres de pace Scipionis potius arbitrium esse quibus legibus daretur quam consulis censuerant. , mal interprété par De Sanctis) ; la lenteur avec laquelle Nero accomplit sa mission, les tempêtes qu'il essuya et l'étrange itinéraire qu'il adopta si l'on en croit Liv. (Liv., 30, 39, 1-339.1 Claudium consulem profectum tandem ab urbe inter portus Cosanum Loretanumque atrox uis tempestatis adorta in metum ingentem adduxit. 39.2 Populonium inde cum peruenisset stetissetque ibi dum reliquum tempestatis exsaeuiret, Iluam insulam et ab Ilua Corsicam, a Corsica in Sardiniam traiecit. ibi superantem Insanos montes multo et saeuior et infestioribus locis tempestas adorta disiecit classem. 39.3 multae quassatae armamentisque spoliatae naues, quaedam fractae; ita uexata ac lacerata classis Carales tenuit. ubi dum subductae reficiuntur naues, hiemps oppressit circumactumque anni tempus, et nullo prorogante imperium priuatus Ti. Claudius classem Romam reduxit.), firent d'ailleurs qu'il ne parvint jamais en Afrique. Le s.c. approuvant les préliminaires de paix avait donc probablement confié à Scipion le soin de conclure le traité, et le peuple avait peut-être été consulté sur ce point aussi (cf. notice n° 760). Ce serait en ce cas le noyau historique à partir duquel fut forgée la tradition suivie par Liv. en 30, 27, une fois substituée à la ratification des préliminaires de paix un prétendu rejet par le Sénat des propositions carthaginoises.
Comment citer cette notice
Jean-Louis Ferrary. "[Loi confiant à P. Cornelius Scipio le commandement de la guerre en Afrique (pl. sc.)", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice256/. Date de mise à jour :09/10/19 .