Nom de la loi

Loi conférant des honneurs à Octavie et à Livie (pl. sc.) [SPVRIA]

Date

35 av. J.-C.

Thèmes

Sources

Dio, 49, 38, 1
τῇ δ᾽ Ὀκταουίᾳ τῇ τε Λιουίᾳ καὶ εἰκόνας καὶ τὸ τὰ σφέτερα ἄνευ κυρίου τινὸς διοικεῖν, τό τε ἀδεὲς καὶ τὸ ἀνύβριστον ἐκ τοῦ ὁμοίου τοῖς δημάρχοις ἔχειν ἔδωκεν

Bibliographie

  • Willrich, H., Livia, Leipzig-Berlin, 1911, 54-55
  • Rotondi, LPR, 439
  • Bauman, R.A., Crimen Maiestatis , 217-220
  • Bauman, R. A., « Tribunician Sacrosanctity in 44, 36 and 35 B.C. », RhM 124, 1981, 166-183
  • Scardigli, B., « La sacrosanctitas tribunicia di Ottavia e Livia », AFLS 3, 1982, 61-64
  • Purcell, N., « Livia and the Womanhood of Rome », PCPhS 212, 1986, 78-105
  • Bauman, R. A., Women and Politics in Ancient Rome, Londres-New York, 1992, 93-98
  • Flory, M. B., « Livia and the History of Public Honorific Statues for Women in Rome », TAPA 123, 1993, 287-308, part. 293-296
  • Perkounig, C. M., Livia Drusilla – Iulia Augusta. Das politische Porträt der ersten Kaiserin Roms, Vienne-Cologne-Weimar, 1995, 54-57
  • Frei-Stolba, R., « Recherches sur la position juridique et sociale de Livie, l’épouse d’Auguste », EL 1, 1998, 65-89, part. 72-76
  • Barrett, A. A., Livia, First Lady of Imperial Rome, New Haven-Londres, 2002, 136-138
  • Scheid, J., « Les rôles religieux des femmes à Rome », in Les femmes antiques entre sphère privée et sphère publique R. Frei-Stolba, A. Bielman, O. Bianchi (éd.), Berne, 2003, 137-151, part. 146-147
  • Hinard, F., « Genèse et légitimation d’une institution nouvelle. La tribunicia potestas d’Auguste », Tradizione romanistica e costituzione, L. Labruna (éd.), Naples, 2006, 815-842, part. 836-838

Commentaire

En 35, alors qu’Antoine, après avoir réorganisé l’Orient en concédant notamment au royaume lagide quelques territoires, confiés aux enfants qu’il avait eus de Cléopâtre, venait de conduire sa première campagne contre les Parthes, Octave, rentrant à Rome après ses victoires de Pannonie, et honoré d’un triomphe, fait octroyer à sa sœur Octavie, mariée à Antoine pour sceller la paix de Brindes en 40, et à Livie, qu’il avait épousée en 38, trois privilèges, mentionnés dans cet ordre :

1 – L’érection de statues. Octavie et Livie sont ainsi, depuis Cornélie, seul précédent républicain connu (F. Coarelli, « La statue de Cornélie, mère des Gracques, et la crise politique à Rome au temps de Saturninus », , in Le dernier siècle de la République romaine et l’époque augustéenne, Strasbourg, 1978, 13-28 = Revixit ars, Rome, 1996, 280-299), les premières femmes à recevoir cette distinction, habituellement accordée par le Sénat. Il s’agit donc d’un honneur exceptionnel (Flory, Frei-Stolba), peut-être destiné à souligner l’octroi des deux autres privilèges (Barrett). La relation entre cette mesure et les statues conservées d’Octavie et de Livie est difficile à établir (Flory, pour Livie ; pour Octavie, cf. N. de Chaisemartin, « Note sur l’iconographie d’Octavie », Ant. Afr., 19, 1983, 35-61) : la mise en œuvre de la mesure ne peut être mise en évidence.

2 – La dispense de tutelle, qui leur permettait notamment de gérer librement leur fortune. Octavie et Livie disposent ainsi d’un privilège dont n’avaient joui auparavant que les Vestales (cf. R. L. Wildfang, Rome’s Vestal Virgins. Vestal Priestesses in the Late Republic and Early Principate, Londres-New York, 2006, 64-67), et qui sera étendu plus tard par Auguste aux femmes qui auront mis au monde trois enfants, puis par Claude à toutes les femmes ingénues.

3 – Une inviolabilité analogue à celle des tribuns. Étendre à des femmes une protection dont ne jouissaient traditionnellement que des magistrats, et donc leur conférer un attribut d’une charge publique, constituait une nouveauté radicale (Purcell, Baumann 1992, Frei-Stolba). Mais la nature et les implications de ce privilège font débat, d’une part à cause de la formulation de Dion Cassius (τό τε ἀδεὲς καὶ τὸ ἀνύβριστον ἐκ τοῦ ὁμοίου τοῖς δημάρχοις ἔχειν), indiquant une situation analogue (mais non identique ?) à celle des tribuns, d’autre part à cause des précédents de César et d’Octave, ce dernier tout récent puisqu’il remontait à l’année 36, qui reçurent eux aussi une inviolabilité tribunicienne dont on ne sait si elle est absolument identique à celle que reçoivent Octavie et Livie. Les expressions employées par Dion dans les passages où il évoque ces précédents ne permettent guère de trancher. À propos de César, il écrit : « en sorte que quiconque lui ferait outrage (ὐβρίσῃ) en acte ou en parole fût sacer (ἱερός) et encourût les peines dues au sacrilège » (Dio, 44, 5, 3ὅπως, ἄν τις ἢ ἔργῳ ἢ καὶ λόγῳ αὐτὸν ὑβρίσῃ, ἱερός τε ᾖ καὶ ἐν τῷ ἄγει ἐνέχηται), alors que le mot ἱερός n’est pas employé pour les deux femmes, ce qui rendrait impossible toute assimilation de leur privilège avec la sacrosanctitas des tribuns (Hinard). À propos d’Octave : « n’être outragé (ὑβρίζεσθαι) ni en actes ni en paroles sous peine d’être exposé aux mêmes châtiments que ceux qui avaient été fixés pour un outrage à un tribun » (Dio, 49, 15, 5-6 τὸ μήτε ἔργῳ μήτε λόγῳ τι ὑβρίζεσθαι· 6. εἰ δὲ μή, τοῖς αὐτοῖς τὸν τοιοῦτό τι δράσαντα ἐνέχεσθαι οἷσπερ ἐπὶ τῷ δημάρχῳ ἐτέτακτο. ), ce qui incite au contraire à assimiler cette inviolabilité à celle qui protège les deux femmes (Bauman 1981). Quoi qu’il en soit, deux anecdotes, l’une relative à Octavie (Val. Max., 9, 15, 2Ne diui quidem Augusti etiam nunc terras re gentis excellentissimum numen intemptatum ab hoc iniuriae genere. Extitit qui clarissimae ac sanctissimae sororis eius Octauiae utero se genitum fingere auderet, propter summam autem inbecillitatem corporis ab eo, cui datus erat, perinde atque ipsius filium retentum, subiecto in locum suum proprio filio, diceret, uidelicet ut eodem tempore sanctissimi penates et ueri sanguinis memoria spoliarentur et falsi sordida contagione inquinarentur. Sed dum plenis inpudentiae uelis ad summum audaciae gradum fertur, imperio Augusti remo publicae triremis adfixus est), l’autre à Livie (Dio, 58, 2, 4καὶ αὐτῆς ἄλλα τε καλῶς εἰρημένα ἀποφθέγματα φέρεται, καὶ ὅτι γυμνούς ποτε ἄνδρας ἀπαντήσαντας αὐτῇ καὶ μέλλοντας διὰ τοῦτο θανατωθήσεσθαι ἔσωσεν, εἰποῦσα ὅτι οὐδὲν ἀνδριάντων ταῖς σωφρονούσαις οἱ τοιοῦτοι διαφέρουσι), évoquent des exécutions pour des outrages à leur personne, signes de la mise en œuvre de ces dispositions protectrices. Certains ont considéré que les atteintes à Octavie et à Livie étaient assimilées au crimen maiestatis (Willrich ; Bauman 1981, 168-171). Mais les incertitudes concernant la lex Iulia de maiestate (notice n° 447), l’absence, dans ces deux textes, de toute allusion à un procès, et le fait que la forme de l’une des exécutions exclut une procédure judiciaire, rendent incertaine toute relation entre ce privilège et les procès de maiestate concernant Livie, attestés seulement dans les premières années du règne de Tibère (Tac., Ann., 2, 50, 1 Adolescebat interea lex maiestatis. Et Appuleiam Varillam, sororis Augusti neptem, quia probrosis sermonibus diuum Augustum ac Tiberium et matrem eius inlusisset Caesarique conexa adulterio teneretur, maiestatis delator arcessebat. ; Tac., Ann., 4, 35, 4 Egressus dein senatu vitam abstinentia finivit. Libros per aedilis cremandos censuere patres : set manserunt, occultati et editi ; Dio, 57, 19, 1 τά τε γὰρ ἄλλα ἀγρίως ἦρξε, καὶ ταῖς τῆς ἀσεβείας δίκαις, εἴ τις οὐχ ὅσον ἐς τὸν Αὔγουστον ἀλλὰ καὶ ἐς αὐτὸν ἐκεῖνον τήν τε μητέρα αὐτοῦ πράξας τι ἢ καὶ εἰπὼν ἀνεπιτήδειον ἐπεκλήθη, δεινῶς ἐπεξῄει). Tout aussi fragile est le rapprochement avec l’inclusion des femmes dans le serment impérial, qui n’est attestée qu’à propos de Caligula, ainsi qu’avec le statut des Vestales, qui ne sont que sanctae, et non sacrosanctae (Frei-Stolba). Cette mesure, unique en son genre, ne se laisse donc pas facilement rapprocher de celles qui ont permis ultérieurement de protéger la dignité des membres de la domus Augusta.

C’est que les raisons pour lesquelles Octave a fait conférer ces différents privilèges à Octavie et à Livie sont sans doute à chercher avant tout dans le contexte de la rupture progressive avec Antoine après Nauloque, et de l’intense guerre de propagande qui prépare l’affrontement final (Bauman 1981 ; Bauman 1992 ; Scardigli ; Flory ; Perkounig) : l’octroi de l’inviolabilité plaçaient la sœur et l’épouse d’Octave à l’abri de toute diffamation. Plutarque évoque ainsi à deux reprises la dénonciation par Octave des outrages qu’Antoine aurait fait subir à Octavie dans cette période, en des termes qui reprennent ceux de la mesure de 35 (Ant. 53,1 : περιυβρισθεῖσα ; 54,1 : ὑβρισθεῖσα), et il faut remarquer que c’est elle qui est citée en premier dans le texte de Dion (Bauman, Flory, Frei-Stolba). La dispense de tutelle agnatique et l’érection de statues répondent sans doute à la même intention de conférer à Livie, et surtout à Octavie, épouse délaissée au profit de Cléopâtre, une dignité qui, en rejaillissant sur Octave lui-même, discréditait la conduite d’Antoine et sa politique orientale. Peut-être s’agissait-il aussi d’inciter les épouses des triumvirs à jouer un rôle public plus affirmé en leur donnant une plus grande liberté d’action et en les mettant à l’abri des risques qu’il comportait (Purcell). Ces raisons circonstancielles confèrent aux mesures de 35, particulièrement l’inviolabilité tribunicienne, un caractère unique. Mais on peut aussi les considérer, d’une part comme la préfiguration d’une définition de la famille impériale (M. Corbier, Maiestas domus Augustae, in Varia Epigraphica, G. Angeli Bertinelli, A. Donati (éd.), Faenza, 2001, 155-198, part. 180), d’autre part, pour celles qui concernent Livie, comme le premier d’une série d’honneurs qui, alignant ses privilèges sur ceux des Vestales, ius trium liberorum, licteur, siège au théâtre, carpentum (sur ces rapprochements et leur signification, Willrich et Bauman 1981, 174-177), dessinent une image de Romana princeps emblématique des matronae dont la réforme morale d’Auguste redéfinit la place dans la société (Frei-Stolba, Purcell).

Cet ensemble de privilèges résultent-ils d’une loi, d’un édit, ou d’un sénatus-consulte ? La nature juridique de la décision ne ressort pas clairement du texte de Dion Cassius, qui mentionne de manière imprécise l’initiative d’Octave (ἔδωκεν). À l’hypothèse d’un édit pris en vertu de ses pouvoirs triumviraux (Mommsen, Staatsr., 2, 819 n. 3), il faut préférer celle d’un s.c., comme le suggère le contexte : c’est sans doute devant le Sénat qu’Octave, après avoir rendu compte de sa campagne et reçu l’honneur du triomphe, propose l’octroi de ces privilèges (Scheid). L’hypothèse d’une loi (Rotondi, 439 ; Bauman 1981 ; Perkounig), qui ne repose que sur le parallèle avec la concession de l’inviolabilité tribunicienne à Octave (August., RGDA, 10, 1[q]uod uiuerem tribunicia potestas mihi e[sset per lege]m, st[atutum est]), nous paraît devoir être écartée.

Comment citer cette notice

Marianne Coudry. "Loi conférant des honneurs à Octavie et à Livie (pl. sc.) [SPVRIA]", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice251/. Date de mise à jour :25/02/19 .