Nom de la loi
Loi Pupia interdisant de réunir le Sénat les jours comitiaux
Date
61 av. J.-C. ?
Rogator
M. Pupius Piso (RE 10)
Thèmes
Sources
Cic., Fam., 1, 4, 1Bibliographie
- Lange, L., « Die lex Pupia und die an den dies comitiales gehaltenen Senatssitzungen der späteren Republik », RhM , 29, 1874, 321-336
- Lange, L., « Die promulgatio trinum nundinum, die lex Caecilia Didia und nochmal die lex Pupia », RhM , 30, 1875, 350-397
- Botsford, G. W., The Roman assemblies, from their origin to the end of the Republic, New York, 1909, 425
- Rotondi, LPR, 399-400
- Michels, A. K., The Calendar of the Roman Republic, Princeton, 1967, 42-45
- Gruen, Last Generation, 250-253
- Bonnefond-Coudry, M., Le Sénat de la République romaine, de la guerre d’Hannibal à Auguste. Pratiques délibératives et prise de décision, Rome, 1989, 229-256
- Moatti, C., La raison de Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la République, Paris, 1997, 323-324
- Moatti, C., Res publica. Histoire romaine de la chose publique, Paris, 2018, 179-180
- Todisco, E., « Il contributo di Varrone alla conoscenza delle procedure di funzionamento del senato », dans P. Buongiorno, S. Lohsse, F. Verrico (éd.), Miscellanea senatoria, Stuttgart, 2019, 157-188, partic. 160-169
Commentaire
Les deux passages de la correspondance de Cicéron qui citent la loi nommément se placent en 56 et 54. Son attribution à M. Pupius Piso, le seul magistrat porteur de ce gentilice connu pour la fin de la République, protégé de Pompée qu’il avait accompagné comme légat pendant la guerre des pirates puis pendant la guerre mithridatique, et qui avait appuyé son élection au consulat pour 61, est à présent unanimement admise, et c’est en général cette année-là que l’on retient pour le vote de la loi.
Le texte le plus explicite est le passage de la lettre de 56 dans laquelle Cicéron rend compte à Lentulus, alors proconsul de Cilicie et impatient de connaître l’issue du débat sénatorial sur la restauration de Ptolémée Aulète, de la séance du 15 janvier, restée sans résultat : « Il ne peut y avoir de séance avant le 1er février à cause de la loi Pupia, comme tu sais » (Cic., Fam., 1, 4, 1Senatus haberi ante Kalendas Februarias per legem Pupiam, id quod scis, non potest, neque mense Februario toto nisi perfectis aut reiectis legationibus.). Indication qui se comprend à la lecture de la lettre à Quintus dans laquelle Cicéron évoque le même échec et la même impossibilité : « Ensuite sont venus des jours comitiaux, pendant lesquels le Sénat ne pouvait être réuni » (Cic., Ad Q. fr., 2, 2, 3Consecuti sunt dies comitiales, per quos senatus haberi non poterat.). En 56, donc, on n’a pas pu réunir le Sénat entre le 16 janvier et le 1er février, à cause de loi Pupia, parce que ces jours sont « comitiaux », c’est-à-dire par définition réservés aux comices (le calendrier romain en comptait 195 sur un total de 355).
Deux autres textes qui se rapportent à la même période, sans citer la loi, font état de cette impossibilité de réunir le Sénat les jours comitiaux. L’un est un passage du Pro Sestio détaillant la séance du 1er janvier 57, qui s’achève sur ces mots : « Il restait peu de jours dans tout le mois de janvier pendant lesquels le Sénat pût se réunir » (Cic., Sest., 74Consecuti dies pauci omnino Ianuario mense per quos senatum haberi liceret.) – le mois de janvier comptait en effet, passé le 1er, 19 jours comitiaux sur 29. L’autre se trouve au tout début du Bellum ciuile où César, décrivant la séance du début de l’année 49 qui s’achève sur le vote de plusieurs SC qui à ses yeux l’ont poussé à la guerre, écrit : « Ces SC ont été rédigés le 7 janvier. Ainsi, pendant les cinq premiers jours où le Sénat put se réunir, à compter de l’entrée en charge de Lentulus (l’un des consuls), et mis à part les jours comitiaux, on a pris (…) les décisions les plus rigoureuses » (Caes., Ciu., 1, 5, 4Haec senatusconsulto perscribuntur a.d. VII Id. Ian. Itaque V primis diebus, quibus haberi senatus potuit, qua ex die consulatum iniit Lentulus, biduo excepto comitiali et de imperio Caesaris et de amplissimis uiris, tribunis plebis, grauissime acerbissimeque decernitur.). Les 3 et 4 janvier sont effectivement des jours comitiaux ; mais le 7, qui devient ainsi le cinquième jour dont parle César, l’est aussi, ce qui oblige à supposer, comme l’a fait Mommsen, que cette année-là il était un jour de nundinae, qui modifiaient le caractère des jours comitiaux (Dr. Publ. VII, 102, n. 3). On aurait donc deux exemples d’application de la loi Pupia.
D’autres passages de la correspondance de Cicéron donnent en revanche des exemples de ce qui apparaît comme une dérogation à cette loi. L’un se trouve dans la lettre d’octobre 51 dans laquelle Caelius informe Cicéron, alors en Cilicie, et très concerné par la question de la détermination des provinces consulaires et du rappel de César, de la teneur du récent SC prévoyant que les consuls de 50 « feront un rapport sur la question à partir du 1er mars, en priorité, et que pour cette raison ils réuniront le Sénat les jours comitiaux » (Cic., Fam., 8, 8, 5V[erba] f[ecit] de prouinciis consularibus, d. e. r. i. c., uti L. Paullus C. Marcellus coss., cum magistratum inissent, ex Kal. Mart., quae in suo magistratu futurae essent, de consularibus prouinciis ad senatum referrent, neuve quid prius ex Kal. Mart. ad senatum referrent, neue quid coniunctim de ea re referretur a consulibus, utique eius rei causa per dies comitiales senatum haberent senatusque cons. facerent.). Un autre évoque les manœuvres qu’envisage le consul de 54 Ap. Claudius Pulcher, soucieux d’empêcher le plus longtemps possible les tribuns de réunir les comices : « Quant aux jours comitiaux qui suivent les Quirinalia, Appius estime que la loi Pupia ne l’empêche pas de réunir le Sénat, et que même, comme il est prescrit par la loi Gabinia, il est obligé de donner audience aux ambassadeurs tous les jours du 1er février au 1er mars » (Cic., Ad Q. fr., 2, 12 [11], 3Comitialibus diebus, qui Quirinalia sequuntur, Appius interpretatur non impediri se lege Pupia, quo minus habeat senatum, et, quod Gabinia sanctum sit, etiam cogi ex Kal. Febr. usque ad Kal. Martias legatis senatum quotidie dare : ita putantur detrudi comitia in mensem Martium ; sed tamen his comitialibus tribuni pl. de Gabinio se acturos esse dicunt.). La loi Gabinia (notice n°409) est invoquée ici par le consul, à qui revient ordinairement de convoquer les sénateurs, comme justifiant de ne pas appliquer la loi Pupia et de réunir le Sénat même les jours comitiaux, une interprétation radicale que les tribuns récusent, en énonçant que « pendant ces jours comitiaux justement ils feront des propositions au sujet de Gabinius (Quiride Gabinio se acturosnalia) » (ibid.) - ils envisagent probablement de proposer une rogatio (Bonnefond-Coudry, 233-240). Le conflit qui se dévoile ici montre que l’utilisation des jours comitiaux est un enjeu politique d’importance, et que déroger à la loi Pupia au nom d’une priorité des réunions du Sénat ne va pas de soi.
C’est que la loi reprend manifestement un usage ancien, qui paraît moins respecté à l’époque de Cicéron, où l’utilisation des jours comitiaux pour réunir le Sénat devient plus fréquent (pour le détail des cas, cf. Bonnefond-Coudry, 200-218, 221, 229, 240-244, à compléter par S. Mazzarino, Discussione sur M. Bonnefond, « Calendrier des séances et lieux de réunion du Sénat républicain : la contribution de l’épigraphie », dans S. Panciera (éd.), Epigrafia e ordine senatorio I, Tituli IV, Rome, 1982, p. 55-71.). On a parfois cherché à expliquer cette évolution en supposant que la loi Pupia énonçait un principe général – pas de réunion du Sénat les jours comitiaux – et prévoyait des restrictions à ce principe : elle ne s’appliquerait qu’à certains mois dans l’année (Michels), ou que pour les jours ou des comices étaient effectivement annoncés (Lange, 1874, 327 ; Botsford). Le conflit de normes avec la loi Gabinia sur les audiences des ambassades, révélé par les tentatives du consul de 54, complique encore la question, certains considérant qu’elle était postérieure à la loi Pupia et en avait modifié les dispositions, et cherchant à les dater l’une et l’autre en conséquence (Botsford, 425, 429 ; Gruen, 252 ; Todisco).
Il est plus vraisemblable que la loi Pupia ne comportait pas de restrictions mais n’a pas été respectée. Le contexte politique de son vote pourrait l’expliquer, s’il se place effectivement en 61 : elle visait probablement à garantir les conditions d’exercice de l’initiative législative des tribuns, après la restauration de leurs pouvoirs par Pompée, et plus largement à affaiblir l’autorité du Sénat et des magistrats (Todisco) en rétablissant les conditions d’un fonctionnement équilibré des institutions (Gruen ; Moatti, 1997 et 2018). Mais, dans les années qui suivent, les efforts des optimates pour bloquer la législation tribunicienne prennent des formes diverses, dont la manipulation des auspices et surtout du calendrier sont les plus visibles. Elles atteignent un paroxysme avec l’obstruction de Bibulus en 59, puis la loi Clodia sur l’obnuntiatio et l’utilisation des jours fastes pour les comices, et s’exacerbent en 56 avec les conflits à propos de la restauration de Ptolémée Aulète, puis en 54 avec les procès de Gabinius. Ces conditions pourraient suffire à expliquer que les dérogations à la loi Pupia se soient multipliées, et qu’elle ait échoué à préserver les jours comitiaux pour l’activité à laquelle ils étaient naturellement destinés.
Comment citer cette notice
Marianne Coudry. "Loi Pupia interdisant de réunir le Sénat les jours comitiaux", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice634/. Date de mise à jour :22/04/20 .