Nom de la loi
Loi Gabinia (pl.sc. ?) sur les audiences des ambassades
Date
67 av. J.-C. ?
Rogator
A. Gabinius (RE 11)
Thèmes
Sources
Cic., Ad Q. fr., 2, 12 [11], 3Bibliographie
- Botsford, G. W., The Roman assemblies, from their origin to the end of the Republic, New York, 1909, 429-430
- Rotondi, LPR, 373
- Williams, R. S., Aulus Gabinius, a political biography, PhD Mich. St. Univ., 1973, 76-78
- Griffin, M., « The tribune C. Cornelius », JRS 63, 1973, 196-213
- Gruen, Last Generation, 250-253 (1e éd. 1974, mais éd. revue et commentée, 1995)
- Bonnefond, M., « La lex Gabinia sur les ambassades », dans C. Nicolet (éd.), Des ordres à Rome, Paris, 1984, 61-100
- Bonnefond-Coudry, M., Le Sénat de la République romaine, de la guerre d’Hannibal à Auguste. Pratiques délibératives et prise de décision, Rome, 1989, 333-346
- Pina Polo, F., The Consul at Rome. The Civil Functions of the Consuls in the Roman Republic, Cambridge, 2011, 261-264
- Battistoni, F., « Une diplomatie informelle ? Quelques remarques sur les affaires des ambassadeurs grecs à Rome », dans B. Grass, G. Stouder (éd.), La diplomatie romaine sous la République : réflexions sur une pratique, Besançon, 2015, 175-188
- Todisco, E., « Il contributo di Varrone alla conoscenza delle procedure di funzionamento del senato », dans P. Buongiorno, S. Lohsse, F. Verrico (éd.), Miscellanea senatoria, Stuttgart, 2019, 157-188
Commentaire
L’attribution de la loi à A. Gabinius, le contemporain de Cicéron, plutôt qu’au tribun de la plèbe homonyme de 139 av. J.-C., ne fait guère de doute (Broughton, MRR, III, 97-98), et l’incertitude qui demeure concerne la magistrature dont il était titulaire quand il fit voter la loi : soit le tribunat de la plèbe, en 67, comme on l’admet quasi unanimement, soit la préture, en 61 (Todisco), soit le consulat, en 58 (Gruen).
Les informations dont nous disposons sur cette loi proviennent toutes de la correspondance de Cicéron, mais une seule de ses lettres, du 13 février 54, la cite nommément, en même temps qu’une autre, la lex Pupia (notice n°634). Elle indique que leurs dispositions pouvaient apparaître comme incompatibles (Bonnefond-Coudry, 234-240 ; Todisco, 167-169) : le consul Ap. Claudius, qui voulait empêcher le plus longtemps possible les tribuns de réunir les comices, prétexte qu’« il était obligé, aux termes de la loi Gabinia, de donner audience aux ambassadeurs tous les jours (cottidie), des kalendes de février aux kalendes de mars » (Cic., Ad Q. fr., 2, 12 [11], 3 Comitialibus diebus, qui Quirinalia sequuntur, Appius interpretatur non impediri se lege Pupia, quo minus habeat senatum, et, quod Gabinia sanctum sit, etiam cogi ex Kal. Febr. usque ad Kal. Martias legatis senatum quotidie dare : ita putantur detrudi comitia in mensem Martium ; sed tamen his comitialibus tribuni pl. de Gabinio se acturos esse dicunt.), c’est-à-dire même les jours comitiaux voués aux réunions des comices et pour lesquels le loi Pupia interdisait d’assembler le Sénat. Appius interprète donc la loi Gabinia comme l’obligeant, en tant que consul à qui il revient de convoquer et de consulter les sénateurs, à consacrer tous les jours du mois de février, comitiaux ou non, à ces audiences. Mais Cicéron ajoute que les tribuns annoncent qu’ils réuniront tout de même les comices, ce qui signifie qu’ils récusent cette interprétation.
Trois autres lettres, sans citer la loi, évoquent l’obligation de consacrer février aux audiences des ambassadeurs. Deux, assez précises, décrivent la situation en 56. Rendant compte de la séance du 15 janvier à Lentulus, alors proconsul de Cilicie et impatient de connaître l’issue du débat sénatorial sur la restauration de Ptolémée Aulète, Cicéron annonce que celui-ci est retardé, et ne pourra avoir lieu « pendant tout le mois de février, à moins que les audiences des ambassades n’aient été achevées ou repoussées à plus tard » (Cic., Fam., 1, 4, 1Senatus haberi ante Kalendas Februarias per legem Pupiam, id quod scis, non potest, neque mense Februario toto nisi perfectis aut reiectis legationibus.). Et effectivement, le 1er février le Sénat tente de les reporter au 15, ce qui est décidé quelques jours plus tard (Cic., Ad Q. fr., 2, 3, 1 [A] Kal. Febr. legationes in Idus Febr. reiiciebantur ; eo die res confecta non est. A. d. IIII. Non. Febr. Milo affuit ; ei Pompeius aduocatus uenit ; dixit Marcellus a me rogatus ; honeste discessimus ; prodicta dies est in VIII. Idus Febr. Interim reiectis legationibus in Idus referebatur de prouinciis quaestorum et de ornandis praetoribus ; sed res multis querelis de re publica interponendis nulla transacta est.). Une troisième lettre évoque la situation de janvier 60 : l’obstruction méthodique de Caton, qui s’oppose à la révision des contrats des publicains d’Asie en bloquant les autres débats, obligera, pense Cicéron, à reporter les audiences des ambassadeurs (Cic., Att., 1, 18, 7Vnus est, qui curet constantia magis et integritate quam, ut mihi uidetur, consilio aut ingenio, Cato ; qui miseros publicanos, quos habuit amantissimos sui, tertium iam mensem uexat neque iis a senatu responsum dari patitur. Ita nos cogimur reliquis de rebus nihil decernere, ante quam publicanis responsum sit. Quare etiam legationes reiectum iri puto.).
Sur ces bases on peut tenter de préciser les dispositions de la loi :
1) Obligation de consacrer chaque année, entre le 1er février et le 1er mars – donc pendant un mois, et davantage lorsqu’un mois intercalaire était ajouté au calendrier, puisque celui-ci était inséré après les Terminalia du 24 ou 25 février (Battistoni, 184-187) - toutes les séances du Sénat à l’accueil des ambassades (sur l’expression senatum dare, Mommsen, Dr. Publ. VII, 129, n. 5 ; Todisco, 161, qui l’oppose, un peu excessivement, à senatum habere). Il faut sans doute supposer non pas que les ambassades devenaient pendant cette période le sujet exclusif des séances, mais seulement qu’elles bénéficiaient d’une priorité : en 61, lors d’une séance tenue entre le 25 janvier et le 13 février, le Sénat, pour hâter la création du tribunal qui doit juger Clodius après le scandale de Bona Dea, décide que « tant que la rogatio n’aura pas été présentée au peuple, il ne délibèrera ni sur les provinces prétoriennes, ni sur les ambassades, ni sur les autres questions » (Cic., Fam., 1, 14, 5Senatus et de prouinciis praetorum et de legationibus et de ceteris rebus decernebat, ut, antequam rogatio lata esset, ne quid ageretur.). D’autre part, rien n’indique que la loi empêchait de donner audience à des ambassadeurs à d’autres moments de l’année : plusieurs cas sont attestés après 67 (Bonnefond-Coudry, 304).
2) Possibilité cependant de reporter (reiecere) ces audiences pour traiter d’autres sujets, comme cela se produit en 56 : « Aux kalendes de février on essaya de reporter l’audience des ambassades aux ides, mais on n’a pas abouti ce jour-là ; (peu après) les audiences ont été reportées aux ides, et on a traité la question des provinces questoriennes et celle de l’ornatio des préteurs » (Cic., Ad Q. fr., 2, 3, 1[A] Kal. Febr. legationes in Idus Febr. reiiciebantur ; eo die res confecta non est. A. d. IIII. Non. Febr. Milo affuit ; ei Pompeius aduocatus uenit ; dixit Marcellus a me rogatus ; honeste discessimus ; prodicta dies est in VIII. Idus Febr. Interim reiectis legationibus in Idus referebatur de prouinciis quaestorum et de ornandis praetoribus ; sed res multis querelis de re publica interponendis nulla transacta est.). Ce passage pourrait sous-entendre que la loi imposait des reports de quelques jours seulement, et obligeait à fixer une nouvelle date.
L’analyse sur la longue durée du rythme saisonnier de l’accueil des ambassades par le Sénat montre que les dispositions de la loi Gabinia étaient en réalité conformes à un usage qui remontait au moins à la deuxième guerre punique. Une proportion très importante des ambassades étaient, depuis le début du IIe siècle, reçues au début de l’année, en lien avec l’entrée en charge des consuls (Bonnefond-Coudry, 294-320), et l’habitude de leur donner audience en février est attestée par deux passages des Verrines (Cic., 2 Verr., 1, 90Sunt Romae legati Milesii, homines nobilissimi ac principes ciuitatis, qui tametsi mensem Februarium et consulum designatorum nomen exspectant ; Cic., 2 Verr., 2, 76Tametsi minus id quidem nobis, minus populo Romano laborandum est, qualis istius in senatu sententia futura sit. Quae enim eius auctoritas erit ? Quando iste sententiam dicere audebit aut poterit ? Quando autem homo tantae luxuriae atque desidiae nisi Februario mense aspirabit in curiam?), dont le premier, qui évoque des ambassadeurs de Milet attendant le mois de février, est assorti d’un commentaire très explicite du Pseudo-Asconius : « C’est le mois où un Sénat nombreux devait donner audience aux ambassadeurs des provinces qui exposaient leurs demandes » (Ps. Ascon., In Verr., 244 St.Hic est mensis quo frequens senatus postulatis prouinciarum legationibus audiendis datur.). Comment, dans ces conditions, expliquer qu’à un certain moment une loi ait été considérée comme nécessaire, et quelles pouvaient être les intentions de son rogator ? S’agissait-il seulement d’organiser rationnellement l’activité diplomatique du Sénat (Pina Polo) ?
L’obtention d’une audience au Sénat, pour des ambassadeurs venus à Rome, était soumise à une condition bien documentée par des textes variés : se rendre auprès des consuls afin de se faire attribuer une place sur une liste d’attente, en bénéficiant parfois d’un tour privilégié officiellement accordé, comme c’est attesté pour les Rhodiens dans la loi sur les provinces prétoriennes de 100 (notice n°320 : RS, 1, n°12, Delphi B, l. 17-18ὅπως οὗτος ταῖς πρεσβε[ίαις σύγκλητον διδώι, τοῖς πρεσβευταῖς τοῖς ἀπὸ τοῦ δή]μου τοῦ Ῥοδίων, οἵτινες ἄ<v> ἐν Ῥώμηι ὦσιν, σύγκλητο<v> ἐκτὸ[ς τῆς ] συντάξεως δότω. τούτους [τε τοὺς πρεσβευτάς … ἐκτ]ὸς τῆς συν[τ]άξεως εἰς τὴν σύγκλητον εἰσαγέτω [τ]ής τε συγκλήτου] δόγμα φροντισάτω ἵνα γένητ[αι].) ou pour les Stratonicéens dans le SC voté en leur faveur en 81 (RDGE, n°18, l. 65-66ὅπως τε πρεσβευταῖς τoῖς παρά Στρατονικέων εἰς Ῥώμην / παρεσoμένoις έκ τοῦ στίχου οἱ ἄρχoντες σύγκλητον διδώσ[ ιν·]). Certains consuls ou préteurs urbains profitaient de leur position pour retarder l’introduction des ambassades au Sénat (celle du roi Prusias en 149 : App., Mithr., 6ὁ δὲ Ῥωμαίων στρατηγὸς ἐν ἄστει οὔτε αὐτίκα ἐπῆγεν ἐπὶ τὴν βουλὴν τοὺς τοῦ Προυσίου πρέσβεις, χαριζόμενος Ἀττάλῳ.) ou pour la monnayer, comme l’indique une scholie à un passage du pro Plancio où Cicéron cite l’apostrophe adressée par un crieur public au consul de 111 : « Les ambassadeurs des peuples étrangers envoyés au Sénat avaient coutume de recevoir un tour selon le bon vouloir des consuls. Le plus souvent les consuls leur attribuaient un tour pour être introduits au Sénat à raison de leur influence ou de l’argent qu’elles versaient » (Schol. Bob., p. 158 St.Nam legationes ab externis populis missae ad senatum solebant ordinari pro uoluntate consulum. Quas plerumque gratia, nonnumquam et accepta pecunia consules ordinabant, ut introduci ad senatum possent.). Dans ces conditions, l’un des objectifs de la loi Gabinia est probablement de poser des limites au trafic d’influence que pouvaient pratiquer les consuls, en garantissant aux ambassades étrangères un accès libre au Sénat au moment de l’année où elles se trouvaient en grand nombre à Rome.
Le contexte politique de l’année 67, avec notamment les initiatives du tribun C. Cornelius, collègue de Gabinius, sur lesquelles Asconius (47-48 St.) et Dion Cassius (36, 38, 4-40, 2) apportent d’amples informations, éclaire l’objectif probable de la loi Gabinia. Asconius indique que le Sénat rejeta la proposition que lui soumit Cornelius d’interdire les prêts aux ambassadeurs étrangers, « dont il résultait des bénéfices bien connus et scandaleux », et « dont les intérêts épuisaient les provinces, et cela uniquement pour que les ambassadeurs aient à leur disposition de l’argent à donner » (Ascon., 47 St.Rettulerat ad senatum ut, quoniam exterarum nationum legatis pecunia magna daretur usura turpiaque et famosa ex eo lucra fierent, ne quis legatis exterarum nationum pecuniam expensam ferret. Cuius relationem repudiauit senatus et decreuit satis cautum videri eo S.C. quod aliquot ante annos L. Domitio C. Caelio coss. factum erat, cum senatus ante pauculos annos ex eodem illo S.C. decreuisset ne quis Cretensibus pecuniam mutuam daret.). Comme on connaît par ailleurs, grâce à ce qu’en dit Cicéron quand il se trouve aux prises avec l’affaire de la créance de Brutus sur la cité de Salamine de Chypre, une loi Gabinia qui interdisait de prêter aux étrangers à Rome (notice n°410), et était en vigueur en 56, on a mis en relation depuis longtemps (Botsford) la proposition inaboutie de Cornelius, la loi Gabinia sur les audiences des ambassadeurs, et cette loi Gabinia sur les prêts. La cohérence entre ces trois initiatives réside dans leur apparente intention commune de protéger les cités des provinces des prêts usuraires que consentaient les aristocrates romains à leurs envoyés lorsqu’ils venaient à Rome solliciter le Sénat, et devaient acheter au prix fort une place sur la liste d’attente, ainsi que, très probablement, un SC favorable aux intérêts de leur cité. Tout se passe comme si Gabinius avait repris la proposition de Cornelius sous la forme d’une loi, soit en 67 (Williams, Griffin, Bonnefond), soit plus tard (Gruen, Todisco), auquel cas il n’est pas impossible que cette loi Gabinia sur les prêts soit simplement une clause de la loi Gabinia sur les audiences des ambassades. Ces mesures peuvent s’interpréter aussi comme une tentative pour mettre un frein à l’arbitraire des magistrats (les consuls établissant l’ordre de passage des ambassades) et à l’autorité du Sénat, dans un contexte de réaffirmation de celle des tribuns (Bonnefond, 97 ; Todisco, 175).
Le devenir de la loi Gabinia sur les audiences des ambassades nous échappe, mis à part les exemples de reports des audiences survenus en 61, 60 et 56, évoqués plus haut, qui paraissent indiquer qu’elle était appliquée ; inversement les plaintes des ambassadeurs allobroges en 63 laissent supposer que les magistrats continuaient de monnayer l’accès au Sénat (Sall., Catil., 40, 3Postquam illos uidet queri de avaritia magistratuum, accusare senatum, quod in eo auxili nihil esset, miseriis suis remedium mortem exspectare.).
Comment citer cette notice
Marianne Coudry. "Loi Gabinia (pl.sc. ?) sur les audiences des ambassades", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice409/. Date de mise à jour :01/05/20 .