Nom de la loi

Loi interdisant aux fils d’un ancien magistrat curule encore vivant d’exercer les magistratures plébéiennes (pl. sc.)

Date

entre 364 et 209 av. J.-C.

Sources

Liv., 30, 19, 9
Latum ad populum est ne C. Seruilio fraudi esset quod patre qui sella curuli sedisset uiuo, cum id ignoraret, tribunus plebis atque aedilis plebis fuisset contra quam sanctum legibus erat. Hac rogatione perlata in prouinciam rediit

Bibliographie

  • Aymard, A., « Liviana. À propos des Servilii Gemini. I Une loi méconnue sur les magistratures de la plèbe », REA 45, 1943, 201-224
  • Develin, R., « A Peculiar Restriction on Candidacy for Plebeian Office », Antichthon 15, 1981, 111-117
  • Elster, GMRR, 267-268
  • Lange, RA, I3, 850
  • Mitchell, R. E., Patricians and Plebeians. The Origin of the Roman State, Ithaca,1990, 214-217
  • Mommsen, Staatsr., I, 487, n. 2 Dr. publ., II, 487, n. 2
  • Münzer, RA, 137-139
  • Ranouil, P.-Ch., Recherches sur le patriciat (509-366 av. J.-C.), Paris, 1975, 147-149
  • Rotondi, LPR, 264
  • De Sanctis, St. Rom., IV,1 (1923), 538 (524 de la 2ème éd.)
  • Scullard, RP, 276-277
  • Siber, H., RE, 21, 1, 1951, s.u. plebs, col. 1256-1257
  • Ungern-Sternberg, J. v., « The End of the Conflict of the Orders », Social Struggles in Archaic Rome, dans (K. A. Raaflaub éd.), Berkeley, 1986, 353-377, part. 358

Commentaire

Ancien magistrat curule, le père de C. Servilius Geminus passa pour mort lorsqu’il fut capturé par les Boïens en 218 alors qu’il était membre d’une commission agraire. Geminus exerça le tribunat de la plèbe, puis l’édilité plébéienne en 209. Consul en 203, il libéra son père et le ramena à Rome, mais une loi d’amnistie dut être votée en sa faveur, ne C. Seruilio fraudi esset quod, patre qui sella curuli sedisset uiuo, cum id ignoraret, tribunus plebis atque aedilis plebis fuisset, contra quam sanctum legibus erat. Mommsen a supposé que Liv. n’avait rien compris : Geminus et son frère seraient devenus plébéiens alors que leur père passait pour mort, et cet acte se serait trouvé annulé puisque les enfants restent sous la puissance du père malgré sa captivité, et que le père n’aurait pu au moment voulu autoriser ses fils à devenir plébéiens. Münzer a montré depuis que la transitio ad plebem avait été un acte du père lui-même plus probablement que de ses fils (en ce sens également E. Badian, « The House of the Servilii Gemini », PBSR 52, 1984, 50), et Aymard a justement observé que Marcus, le frère cadet du consul, occupant depuis 211 une place plébéienne dans le collège des augures et ayant été en 204 édile curule dans un collège plébéien, aurait dû lui aussi être amnistié par la loi si la faute commise avait été celle que pensait Mommsen. La même objection vaut pour l’ hypothèse de Münzer (fait prisonnier de guerre, le père aurait perdu la citoyenneté, ce qui aurait privé ses fils du droit d’exercer des magistratures) ; celle de Siber reprise par Ranouil (les fils seraient devenus plébéiens du fait de la capitis deminutio maxima de leur père fait prisonnier de guerre, mais auraient retrouvé leur statut de patricien par le postliminium du père ; le père les aurait immédiatement émancipés pour leur permettre de conserver sacerdoces et magistratures acquis au titre de plébéiens) n’est pas non plus recevable, puisque Geminus aurait bien été plébéien au moment où il exerçait le tribunat et l’édilité de la plèbe. Il n’y a en fait aucune raison de contester les indications fournies par Liv. : C. Servilius avait seul exercé les magistratures plébéiennes, et c’est la raison pour laquelle il était le seul à devoir bénéficier d’une loi d’amnistie. Il faut donc admettre qu’une ou plusieurs loi(s) contenaient l’interdiction pour le fils d’un ancien magistrat curule encore vivant d’exercer le tribunat ou l’édilité de la plèbe. Mais deux interprétations restent encore possibles.

Pour Develin, il se serait agi d’une mesure non partisane, liée à la volonté de maintenir la distinction entre magistratures patriciennes et plébéiennes, à l’idée qu’il ne convenait pas aux héritiers de familles honorées par une fonction curule d’exercer une charge qui n’était pas vraiment une magistrature du peuple jouissant de l’auspicium. Votée peu après que les plébéiens furent parvenus au consulat, cette mesure non controversée serait restée en usage jusqu’aux derniers temps de la République : le premier exemple incontestable de tr. pl. ayant pour père un ancien magistrat curule encore vivant est L. Marcius Philippus en 49 av. J.-C. L’inconvénient de cette interprétation est qu’elle n’explique guère en quoi la mort du père autorisait le fils à devenir tribun ou édile de la plèbe, puisqu’elle ne cessait pas de faire de lui le descendant d’un magistrat curule, et un nobilis si l’on admet avec Afzelius qu’à cette époque toute magistrature curule conférait la nobilitas ( « Zur Definition der römischen Nobilität vor der Zeit Ciceros », C&M 1945, 150-200 ; en faveur d’un retour à la définition gelzérienne limitant la nobilitas aux descendants de consuls, voir D. R. Shackleton-Bailey, « Nobiles and Novi Reconsidered », AJPh 107, 1986, 255-260).

L’hypothèse d’Aymard, que la mesure ait eu pour but d’empêcher un conflit entre patria potestas et puissance d’un magistrat plébéien, d’empêcher qu’un magistrat de la plèbe puisse être entravé dans son action par la puissance paternelle d’un membre de la nobilitas, a le mérite d’expliquer l’importance du fait que le père soit ou non vivant. Une tradition selon laquelle C. Flaminius, tr. pl. 232 aurait été arraché de la tribune par son père alors qu’il défendait sa loi agraire (Cic., Inu., 2, 17, 52Cum est nominis controuersia, quia uis uocabuli definienda uerbis est, constitutio definitiua dicitur. Eius generis exemplo nobis posita sit haec causa : C. Flaminius, is qui consul rem male gessit bello Punico secundo, cum tribunus plebis esset, invito senatu et omnino contra uoluntatem omnium optimatium per seditionem ad populum legem agrariam ferebat. Hunc pater suus concilium plebis habentem de templo deduxit ; arcessitur maiestatis ; Val. Max., 5, 4, 5Apud C. quoque Flaminium auctoritas patria aeque potens fuit : nam cum tribunus pl. legem de Gallico agro uiritim diuidendo inuito et repugnante senatu promulgasset, precibus minisque eius acerrime resistens ac ne exercitu quidem aduersum se conscripto, si in eadem sententia perseueraret, absterritus, postquam pro rostris ei legem iam referenti pater manum iniecit, priuato fractus imperio descendit e rostris, ne minimo quidem murmure destitutae contionis reprehensus ; cf. Dion. Hal., 2, 26, 5κατὰ τοῦτόν γέ τοι τὸν νόμον ἄνδρες ἐπιφανεῖς δημηγορίας διεξιόντες ἐπὶ τῶν ἐμβόλων ἐναντίας μὲν τῇ βουλῇ, κεχαρισμένας δὲ τοῖς δημοτικοῖς, καὶ σφόδρα εὐδοκιμοῦντες ἐπὶ ταύταις κατασπασθέντες ἀπὸ τοῦ βήματος ἀπήχθησαν ὑπὸ τῶν πατέρων, ἣν ἂν ἐκείνοις φανῇ τιμωρίαν ὑφέξοντες· οὓς ἀπαγομένους διὰ τῆς ἀγορᾶς οὐδεὶς τῶν παρόντων ἐξελέσθαι δυνατὸς ἦν οὔτε ὕπατος οὔτε δήμαρχος οὔτε ὁ κολακευόμενος ὑπ᾽ αὐτῶν καὶ πᾶσαν ἐξουσίαν ἐλάττω τῆς ἰδίας εἶναι νομίζων ὄχλος, généralisant l’anecdote sans donner de noms) montre que les Romains étaient conscients de la possibilité d’un tel conflit entre potestates. En déduire que la loi à laquelle Liv. fait allusion fut précisément votée du temps de Flaminius et en réaction à cet épisode (Aymard et Ungern-Sternberg ; déjà Lange et De Sanctis) est peut-être imprudent : l’historicité de l’anecdote n’est nullement certaine, et nos sources ne précisent pas que le père de Flaminius avait exercé une magistrature curule. On notera d’ailleurs que Liv. parle de « lois », au pluriel, ce qui ne s’accorde guère avec une mesure unique et relativement récente. L’interdiction put être plusieurs fois formulée, dans des textes qui, en tout cas, étaient postérieurs à la constitution d’une nouvelle nobilitas patricio-plébéienne. Une datation plus haute que celle d’Aymard permet peut-être aussi d’affaiblir l’objection la plus solide qu’ait formulée Develin : le fait que l’interdiction ne concerne pas le seul tribunat, mais aussi l’édilité plébéienne. La loi (ou du moins la première des lois) aurait eu pour but de préserver l’indépendance des magistratures plébéiennes dans leur ensemble alors qu’elle paraissait affaiblie par l’accès des plébéiens aux magistratures patriciennes ; mais, loin d’être une mesure consensuelle comme le voudrait Develin, elle serait une trace des tensions créées au sein de la plèbe par l’ascension d’un nombre restreint de familles plébéiennes au sein d’une nouvelle nobilitas. De même qu’il paraît difficile de dater la loi (ou la plus ancienne des lois) en dehors du terminus post quem de 364, on ne peut prouver qu’elle fut formellement abrogée à telle ou telle date. Aymard pensait qu’elle l’avait été dès avant 177, dans l’intérêt des familles plébéiennes de la nobilitas, mais le Q. Aelius tr. pl. cette année-là n’est pas nécessairement un fils du consul de 201, mort en 174 seulement (voir Broughton, I, 398). Il y a trop peu de magistrats curules dont nous connaissions la date de mort pour pouvoir vérifier des variations dans l’application de la règle connue par Liv. - On notera enfin que cette mesure n’est pas éclairée par la clause de la loi osque de Bantia (remontant peut-être à la charte de la colonie latine de Venusia) qui interdisait à quiconque avait été censor, préteur ou questeur de devenir tribun de la plèbe, et qui reflète plus probablement une réaction au cas de M. Fulvius Flaccus, cos. 125 et tr. pl. 122 (RS, n° 13, fr. de Naples, l. 28-29pr(aetor) censtur Bansae | [ni pis fu]id nei suae q(uaestor) fust nep censtur fuid nei suae pr(aetor) fust in(im) suae pis pr(aetor) in(im) suae | [pis censt]ur [a]luti q(uaestor) [a]u[ti tr]ium nerum fust izic post eizuc tr(ibunus) pl(ebis) ni fuid, cf. M. Crawford, p. 274 et 276).

Comment citer cette notice

Jean-Louis Ferrary. "Loi interdisant aux fils d’un ancien magistrat curule encore vivant d’exercer les magistratures plébéiennes (pl. sc.)", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice351/. Date de mise à jour :23/05/14 .