Nom de la loi
Loi (pl.sc.) accordant des récompenses à P. Aebutius et Hispala
Date
186 av. J.-C.
Rogator
Inconnu
Thèmes
- Concessions d'honneurs exceptionnels
- Dispense des lois
- Droit privé
- Mariage
- Droit privé
- Procédures d’affranchissement et statuts des affranchis
- Droit privé
- Tutelle
- Lois concernant les statuts de sénateur et de chevalier
- Service militaire
Sources
Liv., 39, 19, 3-7Bibliographie
- Watson, A., The Law of Persons in the Later Roman Republic, Oxford, 1967, 33
- Treggiari, S., Roman Freedmen during the Late Republic, Oxford, 1969, 84-85
- Watson, A., « Enuptio gentis », Daube noster Oxford, 1974, 331-342
- Watson, A., Law Making, 7-8 ; 29
- Nicolet, C., « Armée et société à Rome sous la République : à propos de l'ordre équestre », dans J. P. Brisson (dir.), Problèmes de la guerre à Rome, Paris, 1969, 117-156, part. 126 ;129
- Nicolet, C., Ordre Équestre, I, 74 ; II, 757-758
- Fabre, G., Libertus, Rome, 1981, 185 ; 284 ; 305
- Humbert, M., « Hispala Faecennia et l’endogamie des affranchis sous la République », Mélanges à la mémoire de Georges Boulvert = Index 15, Naples, 1987, 131-148
- Pailler, J.-M., Bacchanalia. La répression de 186 avant J.-C. à Rome et en Italie, Rome, 1988, 355-385
- Adam, A.M., Tite-Live, Histoire romaine, Livre 39, t. 29, Paris, CUF, 1994, LXXIV-LXXVI ; LXXX-LXXXIII ; 121-122.
- Moreau, P., « La loi Iulia de maritandis ordinibus », (LEPOR, notice°449, 12/3/2020), 5.4
Commentaire
Plusieurs mesures, qui marquent la clôture de l'affaire des Bacchanales pour l’année 186, furent décidées par le sénat pour récompenser les deux dénonciateurs principaux des associations dionysiaques, le jeune P. Aebutius et sa maîtresse la courtisane affranchie Hispala Faecenia, lorsque le consul Sp. Postumius, qui avait conduit la répression en Italie, fut de retour à Rome. Certaines d’entre elles ont été ratifiées par un vote populaire, tandis que les décisions sur les autres dénonciateurs furent laissées aux consuls (Liv., 39, 19, 7Ea omnia lata ad plebem factaque sunt ex senatus consulto ; [et] de ceterorum indicum impunitate praemiisque consulibus permissum est.).
Les dispositions de ce SC, pris sur la relatio du consul, sont, dans l'ordre où Tite-Live les énonce (Liv., 39, 19, 4-64. uti singulis his centena milia aeris quaestores urbani ex aerario darent ; utique consul cum tribunis plebis ageret ut ad plebem primo quoque tempore ferrent ut P. Aebutio emerita stipendia essent, ne inuitus militaret neue censor ei inuito equum publicum adsignaret ; 5. utique Faeceniae Hispalae datio, deminutio, gentis enuptio, tutoris optio item esset, quasi ei uir testamento dedisset ; utique ei ingenuo nubere liceret, neu quid ei qui eam duxisset ob id fraudi ignominiaeue esset ; 6. utique consules praetoresque, qui nunc essent quiue postea futuri essent, curarent, ne quid ei mulieri iniuriae fieret, utique tuto esset. Id senatum uelle et aequum censere, ut ita fieret.) : 1) l'attribution à chacun des deux dénonciateurs principaux, Aebutius et Hispala Faecenia, d'une somme de 100 000 as prise sur le trésor public ; 2) la dispense pour Aebutius de ses obligations militaires ; 3) pour Hispala, un ensemble de droits en matière patrimoniale et matrimoniale ; 4) l'obligation pour les consuls et préteurs et leurs successeurs d'assurer la protection policière et judiciaire d’Hispala.
Bien que la formulation livienne soit ambiguë, il est clair que seules les mesures 2) et 3) furent présentées au peuple ex senatus consulto. La nécessité d'un pl.sc. tient, pour les droits accordés à Hispala, à la règle, mise en évidence par Watson (Law Making), selon laquelle c'est le concilium plebis qui légifère en matière de droit privé, ce pl.sc. en constituant le premier exemple attesté. En revanche, concernant la dispense accordée à Aebutius, la raison du recours à un pl.sc. n’est pas aussi claire : les quelques attestations littéraires de uacatio militiae accordée à titre de récompense évoquent uniquement le Sénat, et le cas d’Aebutius est le seul pour lequel une ratification par le peuple soit spécifiée (Willems, Sénat 635-637 ; Mommsen, Dr. publ. VII, 463, est hésitant). Seule la formulation d’un passage de Tite-Live relatif à la dégradation, par les censeurs de 214, des citoyens qui s’étaient soustraits à l’enrôlement dans les quatre années précédentes, sans bénéficier de uacatio iusta militiae, pourrait suggérer qu’une loi soit nécessaire (Liv., 24, 18, 7Nomina omnium ex iuniorum tabulis excerpserunt qui quadriennio non militassent, quibus neque uacatio iusta militiae neque morbus causa fuisset.).
À Aebutius, dont le père, mort quelques années avant qu’éclate l'affaire des Bacchanales (Liv., 39, 9, 2P. Aebutius, cuius pater publico equo stipendia fecerat, pupillus relictus), était chevalier, sont accordées la dispense des dix campagnes annuelles et la possibilité de refuser l'attribution du cheval public. Comme l'indique avec raison Nicolet (Ordre Équestre, I, 74 ; 89), il ne s'agit sans doute que d'une formule de uacatio militiae, qui comporte cette dernière précision parce les censeurs songeaient naturellement à enrôler comme chevaliers d'abord ceux dont le père avait déjà fait partie de l'ordre équestre. Il faut certainement interpréter cette formulation, probablement très proche de celle du texte législatif lui-même, comme l’ensemble du passage (Pailler, 381-385), comme signifiant qu’Aebutius jouira des mêmes droits que s'il avait effectué ses campagnes équestres, et pourra notamment avoir accès aux magistratures et ainsi au sénat (Pailler, 360 ; Adam, 121). Le jeune homme bénéficiera à la fois de l'exemption du service équestre auquel il était destiné et des droits que comporte son accomplissement normal : il sera fictivement assimilé à un chevalier.
Les droits conférés à Hispala sont énumérés par Tite-Live en une série de formules dont la précision technique fait supposer une simple transcription du texte de la loi, mais dont la signification n'est pas toujours claire, et a été matière à débat, concernant en particulier l'effet de l'octroi de ces droits sur le statut d'affranchie d'Hispala. Il faut, semble-t-il, distinguer les quatre premiers, Datio, deminutio, gentis enuptio, tutoris optio item quasi ei uir testamento dedisset, qui se complètent mutuellement, du dernier qui est une permission (uti liceret) dont sont précisés les effets sur un tiers, son éventuel époux.
Datio désigne le droit de disposer librement de ses biens, ce qui prive la famille de l'ancien patron d'Hispala, mort avant l'affaire (Liv., 39, 9, 7Quin eo processerat consuetudine capta ut post patroni mortem quia in nullius manu erat, tutore ab tribunis et praetore petito cum testamentum faceret, unum Aebutium instituere heredem.), de tout droit sur sa fortune. Deminutio est généralement compris comme une expression elliptique désignant la deminutio capitis minima, celle qui consiste dans le changement de condition familiale, en particulier le passage sous la manus de l’époux (contra Watson, « Enuptio gentis », 334, pour qui il s'agirait du droit d’acquérir ou d’aliéner une propriété même s'il en résulte une perte). Gentis enuptio, dont Humbert a établi qu'il s'agissait du droit de se marier en dehors de la gens de son ancien patron, contrairement à la règle en vigueur pour les affranchis (Watson, « Enuptio gentis », développe une hypothèse beaucoup plus complexe et aventurée), vient compléter le droit précédent. Tous les liens juridiques qui rattachaient encore Hispala à la famille de son ancien patron se trouvent ainsi rompus par ces dispositions nouvelles, ce qui peut se comprendre comme l'expression de la volonté du sénat de sanctionner positivement la « trahison » d'Hispala, qui avait dénoncé son ancienne maîtresse, en la libérant des contraintes liées à sa condition d'affranchie, et de la protéger des pressions éventuelles que pourraient exercer les proches de son ancien patron à titre de représailles (Pailler, 377). Qu’Hispala puisse exercer les droits énoncés ci-dessus en toute liberté (Watson, « Enuptio gentis », 334) ou qu'elle ait besoin de l'accord d'un tuteur n'est pas clairement établi. Le quatrième privilège, le libre choix du tuteur, représente pour Hispala un accroissement de sa liberté par rapport à sa situation antérieure, où son tuteur avait été désigné par le préteur et les tribuns de la plèbe (Liv., 39, 9, 7Quin eo processerat consuetudine capta ut post patroni mortem quia in nullius manu erat, tutore ab tribunis et praetore petito cum testamentum faceret, unum Aebutium instituere heredem. ; Fabre, 284 ; cette situation résultait des dispositions de la récente lex Atilia (voir notice n°56), et l’assimile à une veuve libre ayant reçu ce droit par testament de son époux, comme l'indique le texte lui-même.
Le dernier privilège accordé à Hispala est la permission d’épouser un ingénu sans que celui-ci ait à subir les effets de cette mésalliance, transgression de la norme (fraus) et sanction qui en résulte (ignominia) infligée par les censeurs (Humbert, 132-135 ; 143, n. 7). C'est ce privilège qui a été au centre d’âpres discussions entre juristes sur la légitimité des unions entre affranchis et ingénus sous la République, avant que celle-ci soit reconnue par la législation matrimoniale d’Auguste, si l’on suit Dion Cassius (Dio, 54, 16, 2 ἐπειδή τε πολὺ πλεῖον τὸ ἄρρεν τοῦ θήλεος τοῦ εὐγενοῦς ἦν, ἐπέτρεψε καὶ ἐξελευθέρας τοῖς ἐθέλουσι, πλὴν τῶν βουλευόντων, ἄγεσθαι, ἔννομον τὴν τεκνοποιίαν αὐτῶν εἶναι κελεύσας. ; Dio, 56, 7, 2καίτοι καὶ μνηστεύειν ὑμῖν ἁπαλὰς ἔτι κόρας καὶ μηδέπω γάμων ὡραίας ἐπέτρεψα, ἵνα τὸ ὄνομα τῶν μελλονυμφίων ἔχοντες οἰκωφελῶς βιῴητε, καὶ ἐξελευθέρας τοῖς γε ἔξω τοῦ βουλευτικοῦ οὖσιν ἄγεσθαι συνεχώρησα.). Moreau 2007, 5.2 précise que la lex de maritandis ordinibus n’interdisait pas expressément ces unions, ce qui revenait à les permettre implicitement. Mais rien n’indique que le privilège accordé à Hispala ne vise pas à effacer son ancienne condition de prostituée plutôt que d’affranchie (Moreau 2007, 5.4).
Que cette dernière clause soit destinée à permettre à Aebutius d’épouser sa maîtresse sans encourir d'atteinte à sa dignité de chevalier va de soi si l'on suit Tite-Live : le sénat semble avoir défini les privilèges d'Hispala en fonction de cet aboutissement attendu de leur histoire personnelle. Mais, au-delà de la question de la construction littéraire de cet épisode, ce qu’on appelle le « roman » livien, on peut se demander si ces droits n'ont pas été octroyés pour eux-mêmes : en tout cas, ils confèrent à l'affranchie toutes les libertés dont pouvait bénéficier une ingénue dotée des droits les plus favorables.
Comment citer cette notice
Marianne Coudry. "Loi (pl.sc.) accordant des récompenses à P. Aebutius et Hispala ", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice296/. Date de mise à jour :01/05/20 .