Nom de la loi

Loi Cornelia (pl. sc.) sur la solutio legibus

Date

67 av. J.-C.

Thèmes

Sources

Ascon., 47, l. 17 – 48, l. 16 St.
47. (Cornelius) promulgauitque legem, qua auctoritatem senatus minuebat, ne quis nisi per populum legibus solueretur. Quod antiquo quoque iure erat cautum ; itaque in omnibus S.C. quibus aliquem legibus solui placebat adici erat solitum 48. ut de ea re ad populum ferretur : sed paulatim ferri erat desitum, resque iam in eam consuetudinem uenerat, ut postremo ne adiceretur quidem in senatus consultis de rogatione ad populum ferenda ; eaque ipsa S.C. per pauculos admodum fiebant. Indigne eam Corneli rogationem tulerant potentissimi quique in senatu, quorum gratia magnopere minuebatur; itaque P. Seruilius Globulus tr. pl. inuentus erat qui C. Cornelio obsisteret. Is, ubi legis ferundae dies uenit et praeco subiciente scriba uerba legis recitare populo coepit, et scribam subicere et praeconem pronuntiare passus non est. Tum Cornelius ipse codicem recitauit. Quod cum improbe fieri C. Piso consul uehementer quereretur tollique tribuniciam intercessionem diceret, graui conuicio a populo exceptus est ; et cum ille eos qui sibi intentabant manus prendi a lictore iussisset, fracti eius fasces sunt lapidesque etiam ex ultima contione in consulem iacti ; quo tumultu Cornelius perturbatus concilium dimisit statim. Actum deinde eadem de re in senatu est magnis contentionibus. Tum Cornelius ita ferre rursus coepit, ne quis in senatu legibus solueretur nisi CC adfuissent, neue quis, cum solutus esset, intercederet, cum de ea re ad populum ferretur. Haec sine tumultu res acta est.
 - Dio, 36, 39, 2 – 36, 40, 1
39.2. ὁ Κορνήλιος γνώμην ἐποιήσατο μὴ ἐξεῖναι τοῖς βουλευταῖς μήτε ἀρχήν τινι ἔξω τῶν νόμων αἰτήσαντι διδόναι μήτ᾽ ἄλλο μηδὲν τῶν τῷ δήμῳ προσηκόντων ψηφίζεσθαι τοῦτο γὰρ ἐνενομοθέτητο μὲν ἐκ τοῦ πάνυ ἀρχαίου, οὐ μέντοι καὶ τῷ ἔργῳ ἐτηρεῖτο. 3. θορύβου τε ἐπ᾽ αὐτῷ 1 πολλοῦ συμβάντος ῾καὶ 2 γὰρ ἀντέπρασσον τῶν τε ἄλλων τῶν ἐκ τῆς γερουσίας συχνοὶ καὶ ὁ Πίσων᾽ τάς τε ῥάβδους αὐτοῦ ὁ ὄχλος συνέτριψε καὶ αὐτὸν διασπάσασθαι ἐπεχείρησεν.4. ἰδὼν οὖν τὴν ὁρμὴν αὐτῶν ὁ Κορνήλιος τότε μέν, πρὶν ἐπιψηφίσαι τι, διαφῆκε τὸν σύλλογον, ὕστερον δὲ προσέγραψε τῷ νόμῳ τήν τε βουλὴν πάντως περὶ αὐτῶν προβουλεύειν καὶ τὸν δῆμον ἐπάναγκες ἐπικυροῦν τὸ προβούλευμα. 40.1. Καὶ οὕτως ἐκεῖνόν τε διενομοθέτησε

Bibliographie

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Commentaire

Cette loi présente deux spécificités : les circonstances de son élaboration et de son vote sont connues avec une précision inhabituelle, ce qui lui confère un intérêt particulier pour l’histoire des pratiques politiques de la fin de la République, et son objet en fait un élément important dans l’analyse institutionnelle des rapports entre pouvoirs du peuple et pouvoirs du sénat.

Le rogator, le tribun C. Cornelius, avait été questeur de Pompée (Ascon., 47, l. 6-7 St. C. Cornelius homo non improbus uita habitus est. Fuerat quaestor Cn. Pompei, dein tr. pl. C. Pisone M’. Glabrione coss.), probablement en Hispanie pendant la guerre contre Sertorius (Broughton, MRR, II, 122), ce qui a fait supposer que ses initiatives comme tribun en 67 étaient inspirées par la politique menée par Pompée lors de son consulat de 70, et coordonnées avec celles de son collègue A. Gabinius, ouvertement dévoué à Pompée (McDonald, Griffin, Gruen ; D’Aiola, 142-143 suggère au contraire que le récit d’Asconius dément cette interprétation, et insiste sur le caractère autonome de ses initiatives).

L’origine de la rogatio est présentée de la même façon chez les deux auteurs qui décrivent son contexte immédiat, Asconius et Dion Cassius : ce serait une loi de circonstance, une riposte du tribun à l’opposition qu’il rencontrait au sénat sur une proposition antérieure. Mais leurs exposés sont différents quant à cette première proposition, source du conflit. Asconius, dans l’argumentum du pro Cornelio prononcé par Cicéron en 65 pour défendre Cornelius accusé de maiestate en raison de ces événements, évoque l’échec d’une relatio faite par Cornelius pour obtenir du sénat qu’il interdise les prêts d’argent aux ambassadeurs venant à Rome, en raison des profits scandaleux qu’ils occasionnaient (Ascon., 47, l. 8-13 St. Alienatus autem a senatu ex hac causa. Rettulerat ad senatum ut, quoniam exterarum nationum legatis pecunia magna daretur usura turpiaque et famosa ex eo lucra fierent, ne quis legatis exterarum nationum pecuniam expensam ferret. Cuius relationem repudiauit senatus et decreuit satis cautum uideri eo S.C. quod ante annos septem et XX L. Domitio C. Caelio coss. factum erat.), et l’indignation qu’il aurait éprouvée et exprimée devant le peuple, à la suite de quoi « il promulgua une loi amoindrissant l’autorité du sénat » en prescrivant « que nul ne soit dispensé des lois sinon par le peuple » (Ascon., 47, l. 15-18 St. Cornelius ea re offensus senatui questus est de ea re in contione: exhauriri prouincias usuris, propter id unum ut haberent legati unde praesentia munera darent ; promulgauitque legem, qua auctoritatem senatus minuebat : ne quis nisi per populum legibus solueretur.). Mais Dion Cassius, qui évoque la rogatio de Cornelius à propos des ravages de la corruption électorale ces années-là, la met en relation directe avec la proposition du tribun de durcir les peines prévues par les lois existantes (voir notice n°127), et les entraves mises par le sénat à cette rogatio de ambitu, qu’il estimait trop sévère, et contre laquelle il suscita une rogatio consulaire (Dio, 36, 38, 4-5 4. αἴτιον δὲ ὅτι Γάιός τις Κορνήλιος δημαρχῶν πικρότατα ἐπιτίμια τάξαι κατ᾽ αὐτῶν ἐπεχείρησε καὶ αὐτὰ καὶ ὁ ὅμιλος ᾑρεῖτο. ἡ γὰρ βουλὴ συνιδοῦσα ὅτι τὸ μὲν ὑπερβάλλον τῶν τιμωρημάτων ἐν μὲν ταῖς ἀπειλαῖς ἔκπληξίν τινα ἔχει, οὔτε δὲ τοὺς κατηγορήσοντας οὔτε τοὺς καταψηφιουμένους τῶν ὑπαιτίων, ἅτε καὶ ἀνηκέστων αὐτῶν ὄντων, ῥᾳδίως εὑρίσκει, 5. τὸ δὲ δὴ μέτριον ἔς τε τὰς κατηγορίας συχνοὺς προάγει καὶ τὰς καταψηφίσεις οὐκ ἀποτρέπει, μεταρρυθμίσαι πῃ τὴν ἐσήγησιν αὐτοῦ καὶ τοῖς ὑπάτοις νομοθετῆσαι αὐτὴν ἐκέλευσεν.). C’est en décidant que celle-ci serait soumise d’urgence au peuple avant les élections consulaires, en violation de la règle qui l’interdisait pendant la période comprise entre l’annonce des élections et les élections elles-mêmes (en vertu de la lex Aelia et de la lex Fufia : on considère en général, en suivant Cic., qu’il y avait deux lois distinctes sur le même thème, bien qu’elles soient souvent associées dans les sources sous l’appellation lex Aelia Fufia), que le sénat aurait provoqué l’indignation de Cornelius. Celui-ci aurait alors « fait une proposition interdisant aux sénateurs d’accorder une magistrature à quiconque la postulerait en dehors des lois, et de prendre toute autre décision qui revenait au peuple » (Dio, 36, 39, 1-2 1. Ἐπεὶ δὲ αἳ τε ἀρχαιρεσίαι προεπηγγελμέναι ἦσαν,καὶ κατὰ τοῦτ´οὐδὲν προνομοθετηθῆναι πρὸ αὐτῶν ἐξῆν, καὶ οἱ σπουδαρχιῶντες πολλὰ καὶ κακὰ ἐν τῷ διακένῳ τούτῳ χρόνῳ ἐποίουν ὥστε καὶ σφαγὰς γίγνεσθαι τον τε νόμον ἐψηφίσαντο καὶ πρὸ ἐκείνων ἐσενεχθῆναι καὶ φρουρὰν τοῖς ὑπάτοις δοθῆναι. 2. ἀγανακτήσας οὖν ἐπὶ τούτοις ὁ Κορνήλιος γνώμην ἐποιήσατο μὴ ἐξεῖναι τοῖς βουλευταῖς μήτε ἀρχήν τινι ἔξω τῶν νόμων αἰτήσαντι διδόναι μήτ᾽ ἄλλο μηδὲν τῶν τῷ δήμῳ προσηκόντων ψηφίζεσθαι.). Cette divergence entre Asconius et Dion est souvent négligée, et la version d’Asconius a parfois été préférée (par Griffin, contra McDonald), à tort car celle de Dion présente un enchaînement des faits plus cohérent (Nicolet, 264 ; Marino, 111-112), et s’accorde avec ce que l’on sait des dispenses de lois accordées auparavant (voir plus loin) par le sénat : elles concernaient surtout l’accès aux magistratures. Le lien que suggère en revanche Asconius entre la question des prêts aux ambassadeurs étrangers (que son collègue Gabinius reprend à son compte avec succès en faisant voter une loi pour les interdire : notice n°410) et la dispense des lois est moins plausible, et par ailleurs il paraît ignorer l’existence d’une rogatio de ambitu émanant de Cornelius (plus loin il ne mentionne que la rogatio consulaire : Ascon., 59, l. 22-23 St. C. Piso, qui consul eodem anno fuit quo Cornelius tr. pl. erat, cum legem de ambitu ex S.C. grauiorem quam fuerat antea ferret.). L’élément important sur lequel les deux auteurs insistent, cependant, est l’enjeu politique de la rogatio de Cornelius : l’affirmation des pouvoirs du peuple par rapport à ceux du sénat, y compris dans l’élaboration de la proposition. Leurs récits mettent bien en évidence le passage d’une collaboration du tribun avec le sénat, que ce dernier fait échouer, à une rupture, Cornelius présentant sa rogatio sur la dispense des lois directement au peuple.

Les récits des deux auteurs concordent ensuite dans la description des péripéties du vote, provoquées par la contre-attaque d’une partie des sénateurs. Elle est plus détaillée chez Asconius : « Les sénateurs les plus puissants, dont l’influence se trouvait gravement entamée, s’indignaient de la proposition de Cornelius » et ils suscitèrent – pratique banale (voir pour cette époque De Libero, L., Obstruktion. Politische Praktiken im Senat und in der Volksversammlung der ausgehenden römischen Republik, Stuttgart, 1992, 29-49) - l’intercession d’un autre tribun, P. Servilius Globulus, qui n’est pas autrement connu. Le jour du vote, celui-ci empêcha les appariteurs, hérault et scribe (voir David 2019, 63 pour leur rôle respectif), de donner lecture du texte, ce que Cornelius décida alors de faire lui-même (David 2019, 52). Mais le consul C. Calpurnius Piso s’insurgea contre ce qu’il présenta comme une atteinte au droit d’intercession, provoquant la colère du peuple et des violences auxquelles Cornelius mit fin en levant l’assemblée (Ascon., 48, l. 4-13 St. Indigne eam Corneli rogationem tulerant potentissimi quique ex senatu, quorum gratia magnopere minuebatur ; itaque P. Seruilius Globulus tr. pl. inuentus erat qui C. Cornelio obsisteret. Is, ubi legis ferundae dies uenit et praeco subiciente scriba uerba legis recitare populo coepit, et scribam subicere et praeconem pronuntiare passus non est. Tum Cornelius ipse codicem recitauit. Quod cum improbe fieri C. Piso consul uehementer quereretur tollique tribuniciam intercessionem diceret, graui conuicio a populo exceptus est ; et cum ille eos qui sibi intentabant manus prendi a lictore iussisset, fracti eius fasces sunt lapidesque etiam ex ultima contione in consulem iacti : quo tumultu Cornelius perturbatus concilium dimisit statim.). Le fait que Cornelius soit passé outre au veto de son collègue en effectuant lui-même la lecture du texte fut le motif de l’accusation de maiestate portée contre lui en 66 et 65 (Ascon., 49, l. 20-25 St. Vidisse se cum Cornelius in tribunatu codicem pro rostris ipse recitaret, quod ante Cornelium nemo fecisse existimaretur. Volebant uideri se iudicare eam rem magnopere ad crimen imminutae maiestatis tribuniciae pertinere ; etenim prope tollebatur intercessio, si id tribunis permitteretur. Non poterat orator negare id factum esse : confugit is eo ut diceret non ideo, quod lectus sit codex a tribuno, imminutam esse tribuniciam potestatem. ; Cic., Vat., 5Codicem legisse dicebatur. ; Quint., Inst., 10, 5, 13 Omnes enim (sc. causae) generalibus quaestionibus constant. Nam quid interest Cornelius tribunus plebis quod codicem legerit reus sit, an quaeramus « uioleturne maiestas si magistratus rogationem suam populo ipse recitarit ? »), premier exemple d’application de la loi syllanienne (voir notice n°139). Sans le commentaire d’Asconius au pro Cornelio que Cicéron prononça avec succès pour sa défense, nous ne connaîtrions pas ce détail de la procédure législative (voir les cas analogues, mais moins précis, cités par Mommsen, Dr. Publ., 6, 1, 450-451 ; les commentaires de Crawford, 70-71, et de Bleicken, 446-449). Les violences qui marquèrent cette contio répondaient cependant à un schéma de comportement des magistrats usuel (David, 2013).

Bien plus inhabituelle est la suite du processus : le vote n’ayant pu commencer, « et l’affaire donnant lieu à de violentes discussions au Sénat », écrit Asconius, Cornelius amende sa proposition initiale. « Il entreprit de la soumettre à nouveau au vote, sous cette forme : que nul ne soit délié des lois au Sénat sans qu’au moins 200 sénateurs soient présents et sans qu’une fois la dispense accordée personne n’intercède quand la décision serait soumise au peuple » (Ascon., 48, l. 13-16 St. Actum deinde eadem de re in senatu est magnis contentionibus. Tum Cornelius ita ferre rursus coepit, ne quis in senatu legibus solueretur nisi CC adfuissent, neue quis, cum solutus esset, intercederet, cum de ea re ad populum ferretur.). Pour désigner cette modification du texte initial de la rogatio, Cicéron emploie le verbe corrigere (Cic., Corn., fr. 1, 32 P At enim de corrigenda lege rettulerunt.), et Asconius, dans son commentaire, en précise la signification (Ascon., 57, l. 24-26 St. Diximus iam in principio Cornelium primo legem promulgasse ne quis per senatum legibus solueretur, dein tulisse ut tum denique de ea re S. C. fieret, cum adessent in senatu non minus CC. Haec est illa quam appellat correctio.). Dion Cassius, lui, emploie le verbe προσγράφειν, « ajouter au texte » (Dio, 36, 39, 4 ὕστερον δὲ προσέγραψε τῷ νόμῳ τήν τε βουλὴν πάντως περὶ αὐτῶν προβουλεύειν καὶ τὸν δῆμον ἐπάναγκες ἐπικυροῦν τὸ προβούλευμα.), et ce vocabulaire se retrouve dans les quelques cas connus, à la fin de la République, de cette procédure d’amendement des projets de lois, rarement évoquée dans la documentation (Moreau ; voir aussi Ferrary, J.-L., « L’iter legis, de la rédaction de la rogatio à la publication de la lex rogata », dans J.-L. Ferrary (éd.), Leges publicae. La legge nell’esperienza giuridica romana, Pavie, 2012, 3-37, part. 13, n. 42)

Modifiée ainsi, la rogatio passa sans incidents (Ascon., 48, l. 16-17 St. Haec sine tumultu res acta est. Nemo enim negare poterat pro senatus auctoritate esse eam legem. ; Dio, 36, 40, 1 Καὶ οὕτως ἐκεῖνόν τε διενομοθέτησε.). Asconius, en ajoutant « car personne ne pouvait nier que la loi était en faveur de l’autorité du sénat », fait implicitement l’éloge de la capacité de Cornelius à trouver un compromis, et présente l’opposition persistante des optimates comme la raison de la radicalisation des propositions suivantes de Cornelius, et des conflits qui marquèrent le reste de son tribunat (Ascon., 48, l. 17 ; 21-23 St. Sed tamen eam tulit inuitis optimatibus (…) Alias quoque complures leges Cornelius promulgauit, quibus plerique collegae intercesserunt : per quas contentiones totius tribunatus eius tempus peractum est.).

Les dispositions de la rogatio ainsi « corrigée » consistaient à soumettre l’octroi d’une dispense d’observer les lois à une procédure associant s. c. et loi comitiale, ce qui reprenait la substance de la rogatio primitive, dont Asconius explique qu’elle prescrivait de revenir à la règle ancienne (antiquum ius) selon laquelle les s. c. qui accordaient une dispense des lois devaient être soumis à ratification comitiale (ut de ea re ad populum ferretur), règle que l’usage (consuetudo) avait fait peu à peu disparaître (Ascon., 47, l. 17 – 48, l. 3 St. Promulgauitque legem qua auctoritatem senatus minuebat : ne quis nisi per populum legibus solueretur. Quod antiquo quoque iure erat cautum ; itaque in omnibus S.C. quibus aliquem legibus solui placebat adici erat solitum ut de ea re ad populum ferretur : sed paulatim ferri erat desitum, resque iam in eam consuetudinem uenerat, ut postremo ne adiceretur quidem in senatus consultis de rogatione ad populum ferenda.). Le principe de la confirmation de tels s.c. par un vote populaire se trouvait donc rétabli, ce qui a conduit Dion Cassius à présenter le s.c. comme un προβούλευμα, un terme qu’il utilise rarement (Dio, 36, 39, 4. ὕστερον δὲ προσέγραψε τῷ νόμῳ τήν τε βουλὴν πάντως περὶ αὐτῶν προβουλεύειν καὶ τὸν δῆμον ἐπάναγκες ἐπικυροῦν τὸ προβούλευμα Voir M. Coudry, « Institutions et procédures politiques de la République romaine : les choix lexicaux de Cassius Dion », dans V. Fromentin et al., Cassius Dion : nouvelles lectures, Bordeaux, 2016, 485-518, part . 497, 518), et à présenter la loi, et non le s.c. qui la précède, comme l’acte juridique essentiel – une interprétation que l’on trouve chez Bleicken (133), qui s’appuie, de façon discutable, sur le texte d’Asconius. La nouveauté consistait à assortir l’application de ce principe – validation du s. c. par une loi comitiale – de conditions spécifiques : pour la séance dont serait issu un tel s. c., un nombre minimal de présents – en d’autres termes un quorum –, et pour le vote comitial qui suivrait, l’impossibilité d’une intercession.

L’obligation d’un quorum de 200 sénateurs apparaît comme une garantie que les dispenses ne seraient pas votées, comme c’était devenu courant, dit Asconius, « par une poignée de sénateurs », qui utilisaient ainsi leur puissance (Ascon., 48, l. 3-5 ; 16-18 St. Eaque ipse S.C. per pauculos admodum fiebant. Indigne eam Corneli rogationem tulerant potentissimi quique in senatu, quorum gratia magnopere minuebatur (…) Nemo enim negare poterat pro senatus auctoritate esse eam legem ; sed tamen eam tulit inuitis optimatibus, qui uel per paucos talia S.C. gratificari solebant). Ce nombre de 200, qui correspond très probablement à un tiers de l’effectif complet du sénat post-syllanien, est comparable au nombre de 100 imposé par le s. c. de Bacchanalibus pour un sénat qui comptait à cette époque 300 membres (CIL, X, 104, l. 2-6 Neiquis eorum [B]acanal habuise uelet ; seiques | esent, quei sibei deicerent necesus ese Bacanal habere, eeis utei ad pr(aitorem) urbanum || Romam uenirent, deque eeis rebus, ubei eorum u[e]r[b]a audita essent, utei senatus | noster decerneret, dum ne minus senator<i>bus C adesent <quom e>a res consoleretur.). La loi de Cornelius ajoutait ainsi une catégorie de s. c. à celles pour lesquelles un quorum existait déjà (Bonnefond).

Quant à l’interdiction d’intercéder contre la loi qui serait ensuite soumise au vote du peuple, elle constitue un mode de protection fréquemment attesté pour des actions judiciaires ou des s. c. (Bleicken, 450-451), mais dont on n’a pas d’autre exemple pour des rogationes, hormis les dispositions de la lex Clodia qui modifiaient les conditions de tenue des assemblées législatives, et dont on ne connaît pas les clauses précises concernant l’intercession (Cic., Sest., 33 Isdemque consulibus sedentibus atque inspectantibus lata lex est, ne auspicia ualerent, ne quis obnuntiaret, ne quis legi intercederet, ut omnibus fastis diebus legem ferri liceret, ut lex Aelia, lex Fufia ne ualeret. ; Cic., Red. Sen., 11 Legem tribunus plebis tulit, ne auspiciis obtemperaretur, ne obnuntiare concilio aut comitiis, ne legi intercedere liceret, ut lex Aelia et Fufia ne ualeret.).

Ici, cette interdiction est manifestement à comprendre comme une compensation à la contrainte de quorum pour le s. c. : elle constitue une garantie que la ratification ne serait pas victime d’une manœuvre d’obstruction – identique à celle qui avait fait échouer la première rogatio de Cornelius.

Ce compromis peut s’interpréter de deux manières : en termes de stratégie immédiate, comme le moyen pour Cornelius de remettre en vigueur une compétence de l’assemblée populaire tombée dans l’oubli et effacée par la législation syllanienne sur les assemblées, et de réaffirmer le rôle institutionnel du populus sans affaiblir l’auctoritas du sénat, comme l’écrit Asconius, ou en termes d’assainissement des pratiques politiques (McDonald, 205 ; D’Aiola 141-143), comme une prévention des abus auxquels pouvaient donner lieu d’un côté l’infrequentia des séances du sénat, de l’autre l’intercession tribunicienne, et à cet égard la loi de Cornelius est à rapprocher de celle de Clodius évoquée ci-dessus (Gruen, 257).

Le champ d’application de la loi a fait l’objet d’interprétations différentes. Le récit d’Asconius laisse penser qu’elle avait une visée générale, et portait sur la dispense des lois quelles qu’elles soient (voir Bleicken, 129, 198-217, pour la distinction entre solutio legibus et priuilegium). Mais le récit de Dion, qui met en relation l’initiative de Cornelius avec la dispense accordée aux consuls de 67 pour leur permettre de porter leur rogatio de ambitu avant les élections consulaires (voir plus haut), et l’octroi par le sénat, en 61, d’une dispense analogue pour permettre au tribun (M. Aufidius ?) Lurco de porter une nouvelle loi de ambitu (notice n°62), également avant les élections consulaires ( Cic., Att., 1, 16, 13 Lurco autem tribunus pl., qui magistratum insimul cum lege alia iniit, solutus est et Aelia et Fufia, ut legem de ambitu ferret, quam ille bono auspicio claudus homo promulgauit. Ita comitia in a. d. VI Kal. Sext. dilata sunt.), ont fait envisager que l’objet de la rogatio de Cornelius ait été beaucoup plus limité et ait concerné seulement les dispenses vis-à-vis de la lex Aelia Fufia qui imposait un délai entre la promulgation d’une loi et son vote (McDonald, 200). Une telle interprétation permet difficilement d’expliquer, cependant, la violence du conflit qui oppose ensuite Cornelius et les sénateurs les plus hostiles.

Une autre hypothèse, plus plausible, est que sa proposition ait visé spécifiquement les dispenses de lois concernant l’accès aux magistratures et leur exercice (Marino, 127). Elle repose sur un constat : si l’on s’en tient strictement aux textes qui comportent l’expression legibus soluere ou son équivalent grec λῦσαι τὸν νόμον (la recension des cas de solutio legibus effectuée par Bleicken, 129-137, est beaucoup plus large), les cas de dispense votées ou envisagées explicitement attestés avant 67 sont tous en rapport avec les règles du cursus honorum : accès au consulat pour Q. Fabius Maximus Rullianus, en 298 (Liv., 10, 13, 8-10 8. Quae uerecundia legum restinguenda ratus, legem recitari iussit, qua intra decem annos eundem consulem refici non liceret. 9. Vix prae strepitu audita lex est tribunique plebis nihil id impedimenti futurum aiebant ; se ad populum laturos uti legibus solueretur. 10. Et ille quidem in recusando perstabat : quid ergo attineret leges ferri, quibus per eosdem qui tulissent fraus fieret ?), pour Scipion Émilien en 148 (App., Lib., 112 ἐνειστήκει δ᾽ ἀρχαιρέσια, καὶ ὁ Σκιπίων οὐ γάρ πω δι᾽ ἡλικίαν αὐτῷ συνεχώρουν ὑπατεύειν οἱ νόμοἰ ἀγορανομίαν μετῄει, καὶ ὁ δῆμος αὐτὸν ὕπατον ᾑρεῖτο. (…) καὶ ἡ βουλὴ τοῖς δημάρχοις ἐπείθετο λῦσαι τὸν νόμον τόνδε καὶ μετὰ ἔτος ἓν αὖθις ἀναγράψαι ; Per. Liv., 50 P. Scipio Aemilianus cum aedilitatem peteret, consul a populo dictus. Quoniam per annos consuli fieri non licebat, cum magno certamine suffragantis plebis et repugnantibus ei aliquamdiu patribus, legibus solutus et consul creatus.) et en 134 (App., Iber., 84 ὁ δὲ καὶ τότε ἦν ἔτι νεώτερος τῆς νενομισμένης τοῖς ὑπατεύουσιν ἡλικίας: ἡ οὖν βουλὴ πάλιν, ὥσπερ ἐπὶ Καρχηδονίοις αὐτοῦ χειροτονουμένου Σκιπίωνος, ἐψηφίσατο τοὺς δημάρχους λῦσαι τὸν περὶ τῆς ἡλικίας νόμον, καὶ τοῦ ἐπιόντος ἔτους αὖθις θέσθαι. ; Per. Liv., 56 Delatus est ultro Scipioni Africano a senatu populoque R. consulatus ; quem cum illi capere ob legem, quae uetabat quemquam iterum consulem fieri, non liceret, sicut priori consulatu legibus solutus est.. Dans ces deux cas, qu’il rapproche explicitement, Appien décrit une procédure qui, à la différence de ce que suggère l’abréviateur de Tite-Live, ne consiste pas en une dispense conjoncturelle et personnelle d’une loi qui continue d’exister, mais en une suspension temporaire de la loi, abrogée puis rétablie), pour Pompée en 70 (Cic., Imp. Pomp., 62 Quid tam singulare quam ut ex senatus consulto legibus solutus consul ante fieret, quam ullum alium magistratum per leges capere licuisset ?) ; serment d’entrée en charge pour l’édile curule en 200 (Liv., 31, 50, 8-9 C. Valerius Flaccus, quem praesentem creauerant, quia flamen Dialis erat iurare in leges non poterat ; magistratum autem plus quinque dies, nisi qui iurasset in leges, non licebat gerere. petente Flacco ut legibus solueretur, senatus decreuit ut si aedilis qui pro se iuraret arbitratu consulum daret, consules si iis uideretur cum tribunis plebis agerent uti ad plebem ferrent. ; voir la notice n°274) ; cumul de magistratures curules en 184 (Liv., 39, 39, 4 Pars tribunorum plebis negare rationem eius habendam esse, quod duos simul unus magistratus, praesertim curules, neque capere posset nec gerere; pars legibus eum solui aequum censere, ut quem uellet praetorem creandi populo potestas fieret.). Sur cette base, Reduzzi Merola (2011) a avancé l’hypothèse, assez convaincante, que dans les années qui ont précédé le tribunat de Cornelius le sénat a dû accorder seul, sans la confirmation habituelle par un pl. sc., des dispenses à des candidats qui ne remplissaient pas les conditions définies par la récente loi syllanienne sur les magistratures, et que ces demandes ont pu se multiplier quand les sénateurs radiés lors de la sévère lectio senatus de 70 ont cherché à retrouver leur rang au sénat par l’élection à une magistrature. On sait que cette période est caractérisée par une brigue intense qu’une série de rogationes et leges vise à endiguer, et, si l’on suit le récit de Dion Cassius, c’est bien à propos de la rogatio de ambitu de Cornelius que survient le conflit qui le pousse à proposer de rétablir le vote populaire pour les dispenses de lois. De fait, dans tous les cas de solutio legibus cités ci-dessus, sauf pour Pompée en 70, un pl. sc. est mentionné. Il est donc possible que le champ d’application de la proposition de Cornelius ait été limité aux lois qui encadraient l’accès aux magistratures.

Le fait qu’Asconius ne spécifie pas cette limitation incite toutefois à la prudence. Quant à Dion Cassius, sa formulation est ambiguë : « une proposition interdisant aux sénateurs d’accorder une magistrature à quiconque la postulerait en dehors des lois, et de prendre toute autre décision qui revenait au peuple » (Dio, 36, 39, 1-2 ὁ Κορνήλιος γνώμην ἐποιήσατο μὴ ἐξεῖναι τοῖς βουλευταῖς μήτε ἀρχήν τινι ἔξω τῶν νόμων αἰτήσαντι διδόναι μήτ᾽ ἄλλο μηδὲν τῶν τῷ δήμῳ προσηκόντων ψηφίζεσθαι.). De fait, cette affaire a sans doute marqué la tradition par son enjeu, le rôle respectif du sénat et de l’assemblée populaire en matière de dispense des lois, ce qui pourrait expliquer ces incertitudes. Il se peut d’ailleurs que le récit donné par Tite-Live de l’épisode de 298 évoqué ci-dessus porte les traces de débats de la fin de la République sur le rôle du peuple dans la dispense des lois (Reduzzi Merola, 2007, 122-125).

La loi ne semble pas avoir été appliquée. Les cas de dispense des lois explicitement attestés, qui concernent la préture urbaine de Brutus, en 44 (Cic., Phil., 2, 31 Cur M. Brutus referente te legibus est solutus, si ab urbe plus quam decem dies afuisset ?), et l’accès d’Octavien aux magistratures, en 43 (Cic., Phil., 5, 46 Ob eas causas senatui placere C. Caesarem C. f., pontificem, pro praetore, senatorem esse sententiamque loco quaestorio dicere, eiusque rationem, quemcumque magistratum petet, ita haberi, ut haberi per leges liceret, si anno superiore quaestor fuisset.), évoquent une décision du Sénat, mais ne mentionnent pas de pl. sc. Quant aux sarcasmes de Cicéron visant la même année L. Calpurnius Bestia, qualifié de « second Caesar Vopiscus » pour sa prétention à candidater au consulat alors qu’il n’avait exercé que l’édilité curule, ils sont formulés de façon trop vague pour qu’on puisse trancher (Cic., Phil., 11, 11 Alter Caesar Vopiscus ille summo ingenio, summa potentia, qui ex aedilitate consulatum petit, soluatur legibus.). Et ni la rogatio du tribun Metellus Nepos pour permettre l’élection de Pompée comme consul in absentia en 62, ni les dispositions qui ont permis à César en 52 d’être candidat au consulat in absentia, si elles résultent d’un pl. sc. (la loi dite des dix tribuns), ne sont présentées dans les textes comme une forme de solutio legibus. La tentative de Cornelius de restaurer les pouvoirs du peuple en la matière paraît être restée sans effet.

Peut-être, si l’on admet que l’objet de sa loi était général, et non circonscrit aux règles concernant les magistratures, pourrait-on voir un autre exemple de son échec dans l’affaire du prêt de Brutus à la cité de Salamine de Chypre : une lex Gabinia, sans doute de 67 (notice n°410), interdisait ce type de prêt, mais Brutus put réaliser l’opération en faisant voter, grâce à son influence au sénat, dit explicitement Cicéron, deux s. c. successifs qui permirent de passer outre (Cic., Att., 5, 21, 12 Reperio duo senatus consulta isdem consulibus de eadem syngrapha. Salaminii cum Romae uersuram facere uellent, non poterant, quod lex Gabinia uetabat. Tum iis Bruti familiares freti gratia Bruti dare uolebant quaternis, si sibi senatus consulto caueretur. Fit gratia Bruti senatus consultum, VT NEVE SALAMINIS NEVE QVI EIS DEDISSET FRAVDI ESSET. Pecuniam numerarunt. At postea uenit in mentem faeneratoribus nihil se iuuare illud senatus consultum, quod ex syngrapha ius dici lex Gabinia uetaret. Tum fit senatus consultum, VT EX EA SYNGRAPHA IVS DICERETUR, (non ut alio iure ea syngrapha) esset quam ceterae sed ut eodem.).

Comment citer cette notice

Marianne Coudry. "Loi Cornelia (pl. sc.) sur la solutio legibus", dans Lepor. Leges Populi Romani, sous la dir. de Jean-Louis Ferrary et de Philippe Moreau. [En ligne]. Paris:IRHT-TELMA, 2007. URL : http://www.cn-telma.fr/lepor/notice136/. Date de mise à jour :02/05/24 .