« yves-de-chartres-240 »


Description

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    Yves, évêque de Chartres

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    Geoffroy => ancien abbé de etc ??

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    après 1090 - avant 1116


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    n.c.

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    Lettre

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    Ivo, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, Gaufrido, anachoretae, frui mentis tranquillitate.

    Cum omnis castae religionis professor visceribus charitatis abundare debeat ut tam saluti proximorum quam suae providere studeat, necesse est ut haec duo principaliter appetat, puram conscientiam et bonam famam, conscientiam(a) propter se, famam propter proximum. Qui enim negligit famam suam crudelis est(1), occidit enim proximum quantum in se est. Qui ergo vult famam suam conservare non tantum debet quae bona sunt facere, sed etiam quae probabiliter fingi possunt mala evitare. Haec Paulus in se considerans confidenter dicebat(2) : « Pro minimo est ut a vobis judicer aut ab humano die, sed neque me ipsum judico, nihil enim mihi conscius sum ». Nos itaque, quamvis sanctitati Pauli longe impares simus, tamen, quantum Dei gratia donante possumus, cum bona conscientia famam nostram conservare studeamus, ne caeco et infirmo fratri offendiculum aut scandalum ponamus(3) et pereat, secundum Apostolum, infirmus in conscientia nostra frater(4). Quod evenire aliquando solet cum vicini curiosi corrosores(5) vitae nostrae, desidiosi autem correctores vitae suae, simplicia facta nostra inspiciunt quae in utramque partem verti possunt, adhibitis conjecturis quibus aliquando credi oportet, aliquando non oportet. Unde infirmitati fraternae consulentes ea facere non debemus in oculis infirmorum quibus tanquam argumento utantur ad velandam suam perversitatem, vel ad infuscandam mentis nostrae serenam simplicitatem. Quod quia periculosum est, vitanda est a nobis omnis occasio maledicti, ut is qui ex adverso stat(6) occasionem quaerens non inveniat, sed bono exemplo informatus correctus ad se redeat.

    Haec tibi, dilectissime, ex amore fraterno direxi, non docens, sed commonefaciens prudentiam tuam, ut sicut es custos vitae tuae, ita sis famae tuae. Habes enim fratres infirmos quos scandalizas frequenti et familiari collocutione cujusdam devotae mulieris quae, incompetentibus horis et locis, aspectibus eorum frequenter occurrit(7), cum quibus vult curiose et otiose verba miscet. Quae res tibi et illis apud aemulos occasio est detrahendi et tibi interruptio sabbati tui(8). Praeterea si tu tibi in teipso construxisti castra pudicitiae(9), non debet ista tua securitas his qui extra ista castra sunt causa esse ruinae. Quod enim sancta animalia ante et retro oculos habere describuntur(10), sicut nosti, hoc intelligitur quia sanctorum vita debet esse circumspecta, quatenus sic quisque se diligat ut amorem ejus qui supra se est non postponat ; sic eum qui supra se est diligat ut eum qui juxta se est non contemnat. Haec est vera et ordinata charitas, sine qua quantalibet corporalis exercitatio non est vera religio, sed sub velamine religionis vana superstitio(11) ; quam a nobis avertat omnipotens misericordia et misericors omnipotentia ! Vale.


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    scientiam A.


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    Augustin, Sermo 355, De vita et moribus clericorum, c. 1, 1, éd. Mauristes,PL 39, col. 1569, à qui la distinction précédente conscientia/fama est aussi empruntée, sans être une citation littérale (Gratien, 12, 1, 10). Voir lettre 168.

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    I Cor. 4, 3-4.

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    Rom. 14, 13.

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    D'après I Cor. 8, 11. Même argument et même citation dans la lettre de Marbode de Rennes à Robert d'Arbrissel, § 5, Les deux vies de Robert d'Arbrissel, éd. citée, p. 530 : Vide ergo, fili dilectissime, ne, dum nimium de tua sanctitate confidis, infirmioribus membris offendiculum fias aut scandalum et pereat infirmus in tua conscientia frater propter quem Christus mortuus est. À la place de conscientia nostra ou tua on attendrait sua ou bien tua scientia comme dans la phrase de Paul.

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    Mot rare, employé aussi par saint Bernard en opposition avec corrector, lettre 78, 7.

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    II Chron. 13, 13.

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    Sur la fréquentation des femmes et la peur du scandale, voir Yves, lettre 208 ; Marbode, ibid., § 7, p. 530-533 ; Geoffroy de Vendôme, lettre 79, éd. citée, p. 150.

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    Expression similaire lettre 192, sabbatum cordis.

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    Castra pudicitiae, l'expression est dans Venance Fortunat, livre 8, ch. 6, PL 88, col. 269B.

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    Apoc. 4, 6, d'après Ez. 1 ; Marbode, lettre à Robert, op. cit. supra, § 4, p. 528. Cette phrase est aussi appliquée aux saints par Ps.-Grégoire (Alulfe), Expositio super apocalypsim, c. 16 : Omnes sancti foris se intusque circumspiciunt, et vel reprehendendos se exterius vel iniquos se interius videri invisibiliter timent. Haymon de Halberstatd, Homélie 121, PL 79, col. 1402 et PL 118, col. 662 : Quoniam sanctorum actio undique circumspecta, undique debet esse munita.

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    Expression similaire, vanum et superstitiosum, lettre 192.


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    a. Avranches, BM 243, 125v-126


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    M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 89v-90



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    Yves, par la grâce de Dieu ministre de l'Église de Chartres, à Geoffroy, anachorète, jouir de l'esprit de tranquillité.

    Comme tout professeur d'une chaste religion doit abonder en sentiments de charité pour s'appliquer à veiller autant au salut de ses proches qu'au sien propre, il est nécessaire qu'il recherche principalement ces deux choses, une conscience pure et une bonne renommée, conscience pour lui, renommée pour le prochain. En effet celui qui néglige sa renommée est cruel, car il tue son prochain autant qu'il est en lui. Celui donc qui veut conserver sa renommée doit non seulement faire ce qui est bon, mais aussi éviter ce qui peut vraisemblablement se transformer en mal. Considérant ceci en lui-même, Paul disait avec confiance : « Je tiens pour très peu de chose d'être jugé par vous ou par un jugement humain, mais je ne me juge pas moi-même car je n'ai en moi conscience d'aucune faute. » C'est pourquoi nous, bien que nous soyons de loin inférieurs à la sainteté de Paul, appliquons-nous cependant, autant que nous le pouvons par le don de la grâce de Dieu, à conserver avec une bonne conscience notre renommée, de peur de placer devant notre frère aveugle et infirme un obstacle ou une pierre d'achoppement et de peur que, selon l'Apôtre, ne périsse en notre conscience le frère faible. Ce qui a coutume d'arriver parfois quand des voisins, curieux dénigreurs de notre vie, mais correcteurs paresseux de la leur, inspectent nos actions simples qui peuvent être interprétées en deux sens, faisant des conjectures auxquelles il faut parfois croire, parfois non. Ainsi, consultant la faiblesse de nos frères, nous ne devons pas faire sous les yeux des faibles des choses dont ils pourraient user comme argument pour voiler leur perversité ou pour noircir la sereine simplicité de notre esprit. Parce que c'est dangereux, il nous faut éviter toute occasion de médisance, de sorte que celui qui se dresse en adversaire à la recherche d'une occasion ne la trouve pas mais, instruit par le bon exemple, revienne à lui-même corrigé.

    Je t'ai adressé ces mots, très cher, par amour fraternel, non pas en enseignant mais en avertissant ta prudence, pour que de même que tu es gardien de ta vie, tu le sois aussi de ta renommée. Car tu as des frères faibles que tu scandalises par la fréquentation régulière et familière d'une femme dévote qui, à des heures et dans des lieux inconvenants, se présente fréquemment à leurs yeux, qui engage des conversations indiscrètes et oiseuses avec qui elle veut. Ce fait est pour les jaloux une occasion de vous dénigrer, toi et eux, et pour toi une interruption de ton saint repos. En outre, si toi tu as construit pour toi en toi une citadelle de pudeur, ta sécurité ne doit pas être cause de ruine pour ceux qui sont hors de cette citadelle. Car le fait que les animaux saints soient décrits avec des yeux devant et derrière, comme tu le sais, se comprend ainsi : la vie des saints doit être circonspecte, pour que chacun s'aime de manière à ne pas placer en arrière l'amour de celui qui est au-dessus de lui ; pour que chacun aime celui qui est au-dessus de lui de manière à ne pas mépriser celui est à côté de lui. Voici la charité vraie et bien ordonnée, sans laquelle toute ascèse corporelle quelle qu'elle soit n'est pas vraie religion, mais sous le voile de la religion vaine superstition ; que nous en éloigne la miséricorde toute-puissante et la toute-puissance miséricordieuse ! Adieu.

Informations

Document

admin ydc (IRHT), dans  Yves de Chartres

Lettres d'Yves de Chartres, éd. G. Giordanengo (agrégée de l'Université), éd. électronique TELMA (IRHT), Orléans, 2017 [en ligne], acte n. 21178 (yves-de-chartres-240), http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/en/yves-de-chartres/notice/21178 (mise à jour : 21/09/2017).