Description
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Yves, prévôt de Saint-Quentin de Beauvais (futur évêque de Chartres)
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Renaud 1er, archevêque de Reims
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après 1083 - avant 1090
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[avant 1090]
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Lettre
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Egregio patri R[ainaldo], Dei gratia Remorum archiepiscopo(1), Ivo, humilis pater ecclesiae sancti Quintini, et pauperes Christi Deo inibi servientes, salutem aeternam et puram oboedientiam.
Sicut est humilitatis perfectae filios parentibus sine contentione oboedire, ita consummatae discretionis parentes filiis utilia praecipere. Unde cum prudentia vestra fratrem nostrum, dominum Gualonem(2), ut praeesset ecclesiae sancti Dionisii(3) benigne requiret, nimis verecundum rati sumus si vestrae auctoritati et praedictae ecclesiae necessitati, ut videbatur, contrairemus. Sed quoniam fratres illi, desidiosa segnitie impliciti, nec quicquam honestatis et propriae salutis conveniens pristinae perversitatis consuetudine, sicut promiserant, curaverunt addere, frater quem in magistrum sibi praeelegerant iterum iterumque eos curavit admonere, arguere, cum patientia increpare. Rursus cum per seipsum nec per me, quem sibi cooperatorem assumpsit, aliquid valeret promovere, reverentiam vestram quasi patrocinantem adhibuit sibi, ut saltem numero personarumque auctoritate confutarentur qui nec Deum timebant nec hominem reverebantur(4). Illis denique in praeceps ruentibus(5) et obdurata cervice oboedientiae jugum(6) rejicientibus, cum nuper in reditu meo tantae indisciplinationis commonerem, obstinate satis proclamaverunt se quasi ad oculum(7) cuncta promittere, sed tamen ad ingenium et mores inolitos velit nolit redire.
Nunc igitur precamur et obsecramus, per illam oboediantiam qua sanctitati vestrae paruimus, quod, non temporalibus commodis hominum intendendo sed animarum saluti utrobique, fratrem absolvatis illa pastorali sarcina, ne, supra modum gravatus, tedio compulsus, inordinate discedat et sic demum ecclesia amborum careat. Decentius videtur et minoris infamiae illam ecclesiam vel ex ipsis fratribus vel aliunde praelatum sibi concordantem et congruum habere, quam istum sibimet illisque inofficiosum illic remanere et ex duritia illorum diutius cruciari et a proposito suo impediri et retardari. Ut est hodie fragilitas humana, patre Augustino teste, proclivius multo videmus « colloquia mala mores bonos corrumpere(8) » quam mores bonos colloquia mala compescere.
Sciat mansuetudo vestra ecclesiam sancti Quintini in omni oratione sua vobis desservire et de tali servitute apus Deum et homines multam retributionemexpectare. Valete, pater egregie.
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Voir lettre 13.
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Voir lettre 102.
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Abbaye bénédictine de Saint-Denis, Seine-Saint-Denis.
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Luc. 18, 4,
etsi Deum non timeo nec hominem revereor.
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Deut. 22, 8.
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Métaphore biblique, sans citation précise.
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Expression paulinienne, Eph. 6, 6 ; Col. 3, 22.
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I Cor. 15, 33. Augustin cite fréquemment ce texte.
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À son éminent père Renaud, par la grâce de Dieu archevêque des Rémois, Yves, humble père de l’Église de Saint Quentin, et les pauvres qui y servent Dieu, salut éternel et pure obéissance.
De même que c’est le fait d’une humilité parfaite que les fils onéissent à leurs parents sans réticence, de même c’est le fait d’un discernement accompli que les parents prescrivent à leurs fils des choses utiles. Aussi comme votre prudence demande avec bienveillance que notre frère, le seigneur Galon, gouverne l’Église de Saint Denis, nous avons pensé qu’il était bien inconvenant si nous allions, semblait-il, à l’encontre de votre autorité et des besoins de ladite Église. Mais puisque ces frères, plongés dans une oisive indolence, n’ont pris soin, comme ils l’avaient promis, d’ajouter à leur habitude d’ancienne perversité rien d’honnête ni de conforme à leur propre salut, le frère qu’ils avaient d’abord élu pour être leur maître a pris soin encore et encore de les admonester, de les convaincre, de les réprimander avec patience. Comme il voulait à nouveau, par lui-même et non par moi qu’il s’est adjoint pour l’assister, obtenir quelque chose, il se tourna vers votre révérence comme vers un protecteur, pour que soient confondus, au moins par le nombre et l’autorité des personnes, ceux qui ne craignaient pas Dieu et ne révéraient pas l’homme. À ceux-ci qui se ruaient vers l’abîme et rejetaient de leur nuque endurcie le joug de l’obéissance, alors qu’à mon retour je venais de les avertir d’une telle indiscipline, ils proclamèrent avec une grande obstination qu’ils avaient tout promis comme pour l’apparence mais qu’ils revenaient cependant, bon gré mal gré, à leur naturel et leurs mœurs invétérées.
Maintenant donc, nous prions et supplions, selon cette obéissance que nous avons manifestée à votre sainteté, en considérant dans les deux cas non pas les avantages temporels des hommes mais le salut des âmes, de délier ce frère de cette charge pastorale, de peur que, accablé au-delà de la mesure, poussé par le découragement, il ne s’écarte de la règle et qu’ainsi l’Église ne soit en définitive privée des deux. Il semble plus convenable et moins deshonorant que cette Église ait un prélat qui lui convienne et lui soit adapté, issu des frères mêmes ou d’ailleurs, plutôt que celui-ci ne reste là, manquant à ses devoirs envers lui-même et envers eux et qu’il ne soit crucifié plus longtemps par leur dureté et empêché et arrêté dans son propos. Telle qu’est aujourd’hui la fragilité humaine, comme en témoigne notre père Augustin, nous voyons que « les mauvaises fréquentations corrompent les bonnes mœurs » beaucoup plus facilement que les bonnes mœurs ne retiennent des mauvaise fréquentations.
Que votre mansuétude sache que l’Église de Saint-Quentin vous sert en toutes ses prières et attend d’une telle servitude auprès de Dieu et des hommes une grande rétribution. Portez-vous bien, père éminent.