Description
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Yves, évêque de Chartres
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Manassès 2, archevêque de Reims
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après 1090 - avant 1106
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n.c.
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Lettre
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Manassae, reverendo Remorum archiepiscopo, Ivo, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, charitatis visceribus abundare(1).
Allatae sunt nobis nuper litterae(2) a vobis per comprovinciales episcopos vestros missae, quibus perlectis intelleximus grave scandalum levi de causa inter Remensem et Suessionensem Ecclesiam nuper exortum. Cum autem in provincia vestra peregrinum sit judicium nostrum(3), peregrinum tamen non putamus esse consilium nostrum, quo charitate suadente reverentiae vestrae et omni religioni, si facultas esset, vellemus bene esse consultum. Videbantur autem illae litterae, ut pace vestra dicam, plus continere invectionis quam correptionis, perturbationis quam reconciliationis, magis percutere robur sanorum quam colligare vulnera infirmorum(4), niti etiam auctoritatibus honestis et firmis, non tamen satis(a) ad id de quo agebatur accommodatis. Nec ista mordendo dico, sed dolendo, fraterno amore desiderans ut scandalum prudenti moderatione sopiatis et his qui curiosi sunt ad cognoscendam vitam alienam, desidiosi autem ad corrigendam suam(5)(b), occasionem disceptandi de vobis quam celerius potestis subtrahatis et caecis offendiculum non ponatis(6).
Legitur enim in Exodo(7) quia si litigaverint duo viri et percusserint mulierem praegnantem, et exierit infans nondum formatus, detrimentum patietur quantum indixerit vir ejus et dabit pro anima sua. Quid est autem haec mulier praegnans, nisi anima infirma, nondum in amore Dei perfecta ? Haec ergo anima, religiosis viris inter se contendentibus(c) et sua contentione scandalum generantibus, percutitur et scandalizatur ita ut amorem Dei, quem tenuiter conceperat, abjiciat et perdat. Qui autem huic infirmiori et muliebri animae abortivum excussit damnum patietur, quia mercede qua fidelis servus pro talento multiplicato donandus est(8) privabitur. Vir vero hujus mulieris est Christus qui poenam huic offensioni debitam inducit ita dicens(9) : « Qui scandalizaverit unum de pusillis istis qui in me credunt, melius est ei ut suspendatur mola asinaria ad collum(d) ejus et demergatur in profundum maris. »
Quae detrimenta ut evitare valeatis, filiam vestram Suessionensem Ecclesiam, quam sacrilegam, licet canonice obedire paratam, prout libuit, appellastis, ad sinum matris paterne revocate et haec amaritudinis verba, quae aeternarum inimicitiarum possunt esse monimentum, mutata in melius mente temperate, ne forte, si pertinaciter vos invicem mordetis et comeditis, ab invicem consumamini(10). Quantum enim intellexi, nisi zelum vestrum temperaveritis, non absque canonica ratione, cavebit se judicio vestro submittere, qui velut in hostem videmini adversus eam exercitum commovere et quasi procinctum belli praeparare(e). Utatur ergo prudentia vestra consilio non iratorum(11), sed eorum qui possint esse discreti mediatores utrarumque partium, ne forte post multas vexationes alienum cogamini subire judicium. Valete.
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satis apte éd. Ju
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cognoscendam suam corrigendam J
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concedentibus J
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in collo JT, in collum AT
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imperare V.
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D'après Phil. 2, 1.
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Voir lettre 83.
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Voir lettres 35, 75, 184.
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Charitas est corripere proximum, Yves,Décret10, 76-77, tandis que l'invective est exagérée. Une métaphore du même genre est utilisée lettre 82.
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Curiosi...ad corrigendam suam, même expression lettre 7 et idée similaire lettre 118.
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D'après Lev. 19, 14.
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D'après Ex. 21, 22-23.
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D'après Matth. 25, 15-30.
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Marc. 9, 42. À la suite de ce texte, le scandale est particulièrement redouté par les Pères et le droit canonique.
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Vos invicem...consumamini, Gal. 5, 15.
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Le terme est choisi à dessein, plusieurs prescriptions bibliques mettent en garde contre la colère, ex. Matth. 5, 22 ; Jac. 1, 20.
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a. Avranches, BM 243, 53v-54
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 35v-36
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J. Jesus College, Q.G.5, 23rv
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 18
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T. Troyes, BM 1924, 64-65
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Au. Auxerre, BM 69, 40v-41
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À Manassès, révérend archevêque des Rémois, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, déborder de charité en son sein.
On vient de nous apporter une lettre que vous avez envoyée à vos évêques comprovinciaux et à sa lecture nous avons compris qu'un grave scandale pour une affaire de peu d'importance venait de s'élever entre l'Église de Reims et celle de Soissons. Or, bien que dans votre province notre jugement soit étranger, nous ne pensons pas cependant que soit étranger notre conseil, dont nous voudrions, soutenus par la charité, que la consultation soit bonne pour votre révérence et pour toute la religion, si c'était possible. Or votre lettre paraissait, permettez-moi de le dire, contenir davantage d'agression que de correction, plus de perturbation que de réconciliation, ébranler plutôt la vigueur des gens sains que cicatriser les blessures des infirmes, s'appuyer même sur des autorités honnêtes et solides mais qui ne sont cependant pas assez adaptées à [suffisantes pour] ce dont il s'agit. Et je ne vous dis pas cela en mordant mais en déplorant, moi qui désire d'un amour fraternel que vous apaisiez le scandale par une prudente modération et qu'à ceux qui sont curieux de connaître la vie d'autrui, mais peu soucieux de corriger la leur, vous enleviez le plus vite possible l'occasion de débattre à votre sujet et ne placiez pas d'obstacle devant des aveugles. Car on lit dans l'Exode que, si deux hommes ont une querelle et renversent un femme enceinte et que naisse un bébé non encore formé, le coupable supportera le châtiment que son mari aura décidé et paiera pour sa vie. Et qu'est-ce que cette femme enceinte, sinon l'âme infirme, pas encore accomplie dans l'amour de Dieu ? Donc cette âme, quand des hommmes religieux se disputent entre eux et génèrent du scandale par leur dispute, est frappée et scandalisée, si bien qu'elle rejette et perd l'amour de Dieu qu'elle avait faiblement conçu. Et celui qui en la frappant a fait avorter cette âme faible et féminine supportera le châtiment, parce qu'il sera privé du salaire qui doit être donné au fidèle serviteur pour avoir fait fructifier le talent. Quant au mari de cette femme, c'est le Christ qui indique le châtiment dû pour cette offense en disant ainsi : « Qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux pour lui se voir passer une meule de moulin à âne autour du cou et être précipité au fond de la mer. »
Pour pouvoir éviter ces malheurs, rappelez paternellement au sein de sa mère votre fille l'Église de Soissons, que vous avez appelée sacrilège alors qu'elle est prête, comme elle y a consenti, à obéir canoniquement et adoucissez, avec un état d'esprit plus favorable, ces mots d'amertume qui peuvent être le tombeau de haines éternelles, de peur que, si vous vous mordez et vous vous dévorez opiniâtrement, vous ne soyez anéantis mutuellement. Car, autant que je l'ai compris, si vous ne tempérez pas votre zèle, elle se gardera, non sans raison canonique, de se soumettre à votre jugement, vous qui semblez susciter une armée contre elle comme contre un ennemi et presque préparer une expédition guerrière. Que votre prudence use donc du conseil non de gens en colère mais de gens qui puissent être de sages médiateurs de l'une et l'autre partie, pour ne pas risquer d'être forcé après de nombreuses vexations de subir le jugement d'autrui. Adieu.