Description
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Yves, évêque de Chartres
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Urbain 2, pape
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après 1093/08 - avant 1093/11
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[entre la libération d'Yves et novembre 1093]
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Lettre
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Urbano, summo pontifici, Ivo, specialis ejus filius, non servilis timoris, sed castae dilectionis obsequium.
Ad visitandum paternitatis vestrae dulcedinem(1), ad relevandas quotidianas cruces meas, praesentiam vestram jam saepe adire proposui. Sed impediente Satana votum meum adhuc implere non valui. Nam ad bestias quotidie pugnans(2), non invenio requiem spiritui meo(3) ; et miserabiles Christianae religionis ruinas, quibus reficiendis vix aliquis aut nullus insudat, cum multa cordis contritione deploro. Unde quia video me praeesse, sed nulli fere prodesse(4), saepe delibero renuntiare curae pastorali et ad pristinam quietem redire, ubi illum exspectem qui salvum me faciat a pusillanimitate spiritus et tempestate(5). Sed pene sola retinet me paternitatis vestrae dilectio, cui quantum debeam nec ipse pensare sufficio. Tamen nisi viderer os meum ponere in coelum(6), injuriam(a) adversus eum agerem qui, septem annis pro Rachel servienti, Liam jussit nocte supponi(7). Quae saltem si fetaret et speciositatem Rachel sua fecunditate compensaret, vix tandem ea conditione toleranda videretur ut ad amplexus Rachel, post alios septem annos, perveniendi copia donaretur. Nunc vero, quia hujus sterilitatem experior et illius delectatione non perfruor, miserabiliorem omni homine me judico et ut tam lamentabile damnum diu toleret animae meae persuadere non valeo. Si placet itaque sanctitati vestrae ut adhuc tolerem, cudite mihi virgam ferream(8) qua vasa lutea conterantur, quae non eo modo parcat uni ut in discrimen adducantur plurimi(9).
Hoc(b) ideo suggero sanctitati vestrae, quia quidam clericus nostrae urbis(10) falsis delationibus(c) aures vestrae pietatis jam secundo pulsavit, dicens se per conjecturas accusatum et de sola suspectione(d) proscriptum(11). Sed causa illa propter quam a clero separatus est tam manifestis indiciis est revelata, tam certa accusatione publicata(12), tam evidenti exitu comprobata(e) ut nemini, non tantum civium, sed etiam comprovincialium, dubium sit quin in domo sua falsam monetam fabricari fecerit, et in quadam ecclesia cujusdam praepositurae quam ei Gaufridus(13) vendiderat contra voluntatem omnium fratrum. Hoc publicum facinus et quaedam ejus horrenda flagitia, Deo volente, vera esse probabo suo tempore in vestra praesentia. Ideo sacramentum quod mihi obtulit intuitu charitatis nolui suscipere, sciens eum peccatum perjurii peccato priori velle superponere(f). Tamen propter reverentiam vestrae paternitatis ad quam confugerat, quamvis dolose, interim volui ei redditus unius praebendae integerrime dare, et cibum mecum in mensa, donec possem de hoc negotio in praesentia vestra agere, et consilio vestro quae restituenda viderentur, misericorditer restituere. Ipse autem uti superbus et arrogans est, tanquam falsa dicendo perditam recuperasset innocentiam, neque mihi, neque amicis suis voluit acquiescere, nisi quaecumque petebat et in manu mea non sunt et ab his qui ea legitime acceperunt invitis auferri non possunt, redderem integerrime. Igitur secundum quod placuerit discretioni vestrae, aliquid tale super hoc parvitati meae rescribite, quod huic stulto et caeteris cornua(14) non addat et vires meas non excedat.
Ipse autem nunc ad vos venire disposueram, sed iste publicavit adventum meum studiosissime per totam Romani itineris viam. Quae damna, quas passiones, quas persecutiones intus et foris hoc anno pro lege Dei pertulerim, nota vobis facere poterit iste frater. Litteras sanctitatis vestrae securus mei periculi metropolitanis et eorum suffraganeis sine mora direxi ; adhuc tamen tacent, tanquam canes muti non valentes latrare(15). Valete.
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injuriarum AMJV
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haec V
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dilationibus JT
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suspicione AMV
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tam...comprobata om. J
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supponere V.
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La lettre 27 apprend qu'Yves y est resté de novembre [1093] à janvier [1094].
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D'après I Cor. 15, 32,
ad bestias pugnavi.
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D'après II Cor. 2, 13,
non habui requiem spiritui meo.
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Ce jeu de mot cher à Yves est emprunté à la
Regula sancti Benedicti, ch. 64, c. 8. La source est sans doute Augustin,Cité de Dieu, l. 19, c. 19 ;Sermo340,PL38, col. 1484.
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Ps. 54, 9.
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Ps. 72, 9.
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Voir lettres 4, 17.
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D'après Ps. 2, 9,
in virga ferrea, vas figuli.
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Voir références lettre 114. Ce
toposse trouve aussi lettres 135, 161, 170, 218, 222, 253.
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Sans doute celui auquel il fait allusion à la fin de la lettre 12.
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Ce qui est contraire au jugement défini en droit canonique,
Décretsde Félix II, c. 15,Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 490. Yves,Panormie, 4, 108 :Judices tales esse debent ut omni suspectione careant, et ex radice charitatis suam desiderent promere sententiam.
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Yves insiste pour montrer que tout a été fait selon les règles,
Décretsde Victor, c. 3-4,Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 128. Yves,Décret, 5, 244 ;Panormie, 4, 113 :...non tamen credenda sunt, nisi quae manifestis indiciis comprobantur, nisi quae manifesto judicio convincuntur, nisi quae judiciario ordine publicantur.
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Le prédécesseur d'Yves, voir lettre 1.
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La corne est dans la bible symbole de la force arrogante et aggressive, ex. I Reg. 22, 11, Ps. 74, 5-6, Zach. 2, 4.
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Is. 56, 10.
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a. Avranches, BM 243, 21rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 12v-13
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J. Jesus College, Q.G.5, 9-10
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 7 rv
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T. Troyes, BM 1924, 42v-43v
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Au. Auxerre, BM 69, 5rv
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À Urbain, souverain pontife, Yves, son fils privilégié, l'empressement non d'une crainte servile, mais d'une chaste dilection.
Je me suis souvent déjà proposé d'aller en votre présence pour visiter la douceur de votre paternité, pour alléger mes croix quotidiennes ; mais empêché par Satan je n'ai jusqu'à maintenant pas pu accomplir mon vœu. Car en combattant chaque jour les bêtes sauvages, je ne trouve pas de repos pour mon esprit et je déplore avec un grand abattement du cœur les ruines lamentables de la religion chrétienne, au redressement desquelles presque personne ou personne ne peine dans la sueur. Aussi, parce que je vois que je commande mais que je ne sers à presque personne, ai-je souvent envie de renoncer à ma charge pastorale et de revenir à ma tranquillité d'autrefois, où j'attendrais celui qui me mettrait à l'abri de la pusillanimité de l'esprit et de la tempête. Mais me retient presque uniquement la dilection de votre paternité, envers qui je n'arrive pas moi-même à m'acquitter autant que je devrais. Cependant, si on ne me voyait pas élever mon visage vers le ciel, je ferais injure à celui qui a ordonné que Lia soit substituée de nuit auprès de celui qui avait servi pendant sept années en vue d'obtenir Rachel. Si du moins elle enfantait et compensait par sa fécondité la beauté de Rachel, elle semblerait peut-être enfin supportable à la condition que soit donnée, après sept autres années, la permission de parvenir aux étreintes de Rachel. Mais maintenant, comme je fais l'expérience de cette stérilité et que je ne jouis pas de sa séduction, je me juge plus malheureux que tout homme et je ne peux pas persuader mon âme d'endurer longtemps un dommage si lamentable. C'est pourquoi, s'il plaît à votre sainteté que je l'endure encore, forgez-moi pour briser les vases de terre une verge de fer qui n'épargne pas un seul homme de manière à ce qu'un plus grand nombre ne soit pas mis en danger.
J'expose ceci à votre sainteté pour la raison qu'un clerc de notre ville a déjà frappé pour la seconde fois les oreilles de votre piété par de fausses délations, disant qu'il avait été accusé sur des conjectures et proscrit sur un simple soupçon. Mais la cause pour laquelle il a été écarté de sa charge de clerc a été révélée par des preuves si manifestes, rendue publique par une accusation si certaine, confirmée par une conclusion si évidente qu'il ne fait de doute pour personne, non seulement parmi les citoyens, mais même parmi les évêques de la province, qu'il a fait fabriquer de la fausse monnaie dans sa maison et dans une église d'une prévôté que lui avait vendue Geoffroy contre la volonté de tous les frères. Ce crime public et certaines de ses infamies horribles, s'il plaît à Dieu, je prouverai en son temps en votre présence qu'ils sont véridiques. C'est pourquoi je n'ai pas voulu, eu égard à la charité, recevoir le serment qu'il m'a proposé, sachant qu'il voulait ajouter ce péché de parjure à son péché antérieur. Cependant à cause du respect dû à votre paternité auprès de qui il s'était réfugié, quoique par fourberie, j'ai voulu entre temps lui donner intégralement les revenus d'une seule prébende et la nourriture avec moi à ma table, jusqu'à ce que je puisse traiter de cette affaire en votre présence et restituer avec miséricorde ce qui, selon votre conseil, doit être restitué. Mais lui-même, en homme orgueilleux et arrogant, comme si en disant des mensonges il avait retrouvé son innocence perdue, n'a voulu donner son consentement ni à moi ni à ses amis, à moins que je ne lui rende dans son intégralité tous les biens qu'il demandait, biens qui ne sont pas en mes mains et ne peuvent être enlevés malgré eux à ceux qui les ont reçus légitimement. Donc, selon ce qu'aura décidé votre discrétion, récrivez à ma petitesse sur ce sujet quelque avis tel qu'il n'ajoute pas de cornes à cet insensé et à d'autres et qu'il n'excède pas mes forces.
Quant à moi j'étais disposé à venir maintenant auprès de vous, mais cet individu a divulgué avec le plus grand zèle ma venue sur tout l'itinéraire du voyage à Rome. Quels dommages, quelles souffrances, quelles persécutions j'ai subis cette année au-dedans et au-dehors, ce frère pourra vous le faire savoir. J'ai adressé sans délai, sûr du danger que j'encourais, la lettre de votre sainteté aux métropolitains et à leurs suffragants ; ils se taisent cependant encore, comme des chiens muets qui n'ont pas la force d'aboyer. Adieu.