Le Livre de Forme de Plait
Comment l'on peut se dispenser de comparaître devant la cour
Ici orrés de ceaus qui sont ajornés à cor et ne pevent venir pour aucun essoing que il ont de leur cors. Se aucuns est ajornés par cort et il a essoine de son cors por quei il ne peut venir a son jor, il peut faire saver son essoine et contremander son jor par .i. home de la loi de Rome, s’il y est ; et s’il n’est la ou l’essoine li vient, il peut ce faire par autre home de quelque loi crestiene qu’il soit ; et, se il n’a crestien, l’on dit que par sarasin le peut faire. Et pour quei ? Por ce que en teil leu li porroit venir l’essoine en chemin, venant au jor, ou aillors, que crestien ne se troveret la, et por ce dit l’om que par tout home le peut l’on faire…
Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. P. W. Edbury (Nicosia, 2009).
Maintenant écoutez ce qui concerne ceux qui sont tenus de comparaître devant la cour et qui ne peuvent pas venir à cause d'un problème 1 physique. Si quelqu'un est tenu de comparaître devant la cour et a un problème physique qui fait qu'il ne peut pas venir, il peut faire savoir son problème et annuler sa comparution via un homme appartenant à la "loi de Rome" 2 s'il s'en trouve un ; et s'il n'y en a pas à l'endroit où le retard se passe, il peut le faire savoir par un autre homme chrétien de n'importe quelle sorte ; et s'il n'y a pas de chrétien, on dit qu'il peut le faire savoir par un Sarrasin. Et pourquoi ? Parce que le retard pourrait se passer en cours de route alors qu'il se rend à la cour [de justice], ou ailleurs, dans un endroit où il ne se trouverait aucun chrétien, et donc on dit que tous les hommes peuvent faire savoir le retard...
1 . "Essoing" a le sens de motif pour lequel quelqu'un peut manquer sa comparution au tribunal.
2 . i. e. un catholique romain.
A. Bishop
Cette assise explique comment un homme peut justifier un défaut de comparution devant la Cour en alléguant un retard. Philippe estime que l'homme doit envoyer un catholique pour témoigner de son retard, mais l'assise lui permet également d'envoyer, à défaut, un chrétien non-catholique, ou un musulman. Geoffroy le Tor, Jean d'Ibelin, et les assises de la Cour des Bourgeois contiennent des assises similaires. Contrairement à Geoffroy, Jean, Philippe et les assises des bourgeois développent également les circonstances exceptionnelles permettant à des non-catholiques de témoigner devant les cours. Selon le traité de Jean d'Ibelin, un juif peut aussi prendre la place d'un chrétien. Philippe continue en détaillant les serments et les paroles que doivent prononcer les parties.
Il était important de noter qui pourrait témoigner contre qui dans une société aussi multiculturelle que celle des royaumes de Jérusalem et Chypre. En général, il était uniquement permis aux non-chrétiens de témoigner contre les membres de la même religion qu'eux, et seulement dans les cours "basses". Cette règle empêchait "la très grande majorité de la population" de participer à la Haute Cour.1 En pratique, comme cela est souligné dans cette assise, leur témoignage pouvait être accepté devant la Haute Cour si aucun témoin catholique ne pouvait être trouvé, mais, juridiquement, un tel témoignage valait moins que celui d’un catholique. Les habitants du royaume non-catholiques avaient leur propre cour, la Cour des Syriens (c’est-à-dire une cour destinée à tous les habitants autochtones, pas seulement aux seuls les chrétiens syriens), bien que les cas les plus graves, et les disputes avec les catholiques, soient jugés à la Cour des Bourgeois. Les autochtones ne pouvaient pas porter une question devant la Haute Cour. 2
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. P. W. Edbury (Nicosia: Cyprus Research Centre, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . M. Nader, “Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem,” Medieval Encounters 13 (2007), 249-251.
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°87444, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait87444/.