Livre des Assises
Ceux qui peuvent témoigner au sujet des droits de propriété.
Si dit coment l’on deit requerre devise de terre, et coment le seignor deit commander a faire, et coment ciaus a qui il la comande la deivent faire et dedens quell termine. […]Les deviseors deivent venir en la marche de la devise, et la deivent assembler les plus anciens de la contree et totes manieres de genz par cui il cuident estre assenés[…] Et c'il treuvent home de la lei de Rome qui dit qu'il seit la devise et fu au faire, et il est tel que les deviseors li doignent fei, et lor semble par son dit et par les leus qu'il mostre qu'il face a croire, il le deivent sivre et porchauchier la devise et boner la. Et c'il ne treuvent Franc de la lei de Rome, et il treuvent Suriens a cui il doignent fei, si come ile est dit dessus, il le deivent sivre. Et c'il ne treuvent Surien, et il treveunt Grec ; et c'il ne treuvent Grec, et il treuvent aucun autre crestien de quelque generacion que il seit ; ou c'il ne treuvent crestien, et il treuvent Sarrazin qui jure selonc sa lei ; et ce il li donent fei, si come il est dit dessuz, sivre le deivent et porchauchier et boner la devise[…]
John of Ibelin, Livre des Assises, ed. P. W. Edbury (Leiden, 2003).
Ici il est dit comment l'on doit demander la devise1, et comment le seigneur doit ordonner qu'elle soit faite, et comment ceux auxquels il l'ordonne doivent la faire et sous quels termes. [...]Les devisors doivent venir à la frontière de la devise et doivent y rassembler les plus anciens hommes du pays et toutes sortes de gens qu'ils croient être fiables[...] Et s'ils trouvent un homme de la loi de Rome2 qui dit qu'il sait la devise et qu'il est compétent, et s'il semble crédible aux yeux des devisors et qu'il leur semble dire la vérité en faisant son compte-rendu et en leur montrant les lieux, ils doivent le suivre, encadrer la devise et la borner. Et s'ils ne trouvent pas un Franc de la loi de Rome et qu'ils trouvent un Syrien qu'ils considèrent comme crédible, comme il est dit ci-dessus, ils doivent le suivre. Et s'ils ne trouvent pas un Syrien et qu'ils trouvent un Grec, et s'ils ne trouvent pas un Grec et qu'ils trouvent un autre chrétien de n'importe quelle dénomination, ou s'ils ne trouvent pas un chrétien et qu'ils trouvent un sarrasin qui jure selon sa loi et s'ils le croient, comme il est dit ci-dessus, ils doivent le suivre, encadrer et borner la devise[...]
1 . , c'est-à-dire le bornage déterminant juridiquement les limites entre deux propriétés, en cas, notamment, de litige entre voisins ou de contestation d’un héritage,
2 . , c'est-à-dire un catholique,
A. Bishop
L'essentiel de cette assise traite de la procédure consistant à demander le bornage d'une propriété. La demande est soumise au roi qui désigne quatre devisors pour réaliser la devise et mettre fin aux disputes entre voisins ou entre héritiers. Les devisors reçoivent ici instruction de s'entourer des anciens du pays qui sont censés avoir connaissance des limites du bien. Les témoins sont supposés être catholiques, mais, ce qui nous importe le plus ici, est le fait qu'on envisage aussi le témoignage de non-catholiques, à condition que les devisors les jugent crédibles. Ceci constitue une exception, car le témoignage des non-catholiques devant la Haute Cour était prohibé. Cette assise n’apparaît pas dans les premiers manuscrits du traité de Jean, mais elle fut copiée presque mot pour mot à partir du traité de Philippe de Novare, dans une édition du XIVe siècle. Une version abrégée, qui ne fait pas mention de témoins non-catholiques, se trouve également dans le chapitre 58 du traité de Jacques d'Ibelin.
Dans une société multiculturelle comme celle du royaume de Jérusalem, il était important de préciser qui était autorisé à témoigner contre qui. En règle générale, les non-chrétiens n'étaient autorisés à témoigner que contre leurs coreligionnaires et seulement dans les cours "basses". Cette règle empêchait "la très grande majorité de la population" de participer à la Haute Cour.1 En pratique, comme il est souligné dans cette assise, le témoignage des non-catholiques était accepté si aucun témoin catholique ne pouvait se trouver là, mais, juridiquement, un tel témoignage avait une valeur moindre que celui d’un catholique. La question du bornage de propriété n’aurait pas été importante au treizième siècle sur le continent, où écrivait Jean d’Ibelin, et où, on peut le supposer, il n’y avait pas beaucoup de propriétaires catholiques au Royaume de Jérusalem finissant. Cependant, elle était assez importante au quatorzième siècle sur Chypre, où cette assise était copié au livre de Jean du traité de Philippe de Novare, qui, lui-même, l’avait écrit en ce lieu au treizième siècle. Cette assise signifie qu’il y avait des musulmans sur Chypre au quatorzième siècle, même si la très grande majorité de la population ait été grecque. Il est probable que ces musulmans étaient des marchands qui habitaient aux villes, ou peut-être des esclaves,C. Schabel, "Religion", in A. Nikolaou-Konnare & C. David Schabel, eds., Cyprus: Society and Culture, 1191-1374 (Leiden, 2005), 162. bien que les esclaves n’aient pas du tout pu témoigner, selon beaucoup d’autres assises. Les marchands musulmans qui habitaient aux villes jouissaient de quelques droits civils, selon les assises de la cour des bourgeois.2
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. P. W. Edbury (Nicosia, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . M. Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 255-258.
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°70976, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait70976/.