Livre des Assises
Ceux qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour.
Ques gens ne pevent porter garantie en la haute cort. Ces sont ceaus qui ne pevent porter garantie en la haute court et qui n’ont vois ne respons en court : parjurs, foy menties, traytors, bastars, avoutres, ceaus de qui le chanpion a esté vencu en chanp, ceaus qui ont esté reneés ou qui ont servi an et jor sarrasins contre crestiens ou gres, ou gens de tel nacion qui ne sont obeissans a Rome : gres ne suriens ne ermins ne jacopins. Ne gens de nassion qui ne sont obeissans a Rome ne pevent porter garantie en la haute cort, se ce n’est contre celui ou ceaus qui sont de sa nacion que les .ii. dites choses. Que nul ne peut porter garantie en la haute court contre persones qui ne sont de sa nacion, si il n’est de prover aage ou lignage. Ne feme ne home de religion ne prestre ne clerc, tout soit il de la loy de Rome, ne pevent porter garantie en la haute court que de prover aage ou lignage. Ne enfans de mains de .xv. ans ne pevent porter garantie en la haute court. Ne nul ne peut porter garantie en la haute court de ce dont il est parsonnier. Ne serf ne peut porter garantie en la haute court.
John of Ibelin, Livre des Assises, ed. P. W. Edbury (Leiden, 2003).
Ceux qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour. Voici ceux qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour et ne peuvent pas parler ou répondre à la Cour : les parjures, ceux qui ont brisé leur serment de fidélité, les traîtres, bâtards, adultères, ceux dont le champion a perdu une ordalie, ceux qui ont renié Dieu ou ceux qui ont servi les Sarrasins pour un an et un jour contre les chrétiens ou les Grecs, ou ceux qui suivent une religion qui n'obéit pas à Rome, c'est-à-dire les Grecs, Syriens, Arméniens, ou jacobins. Aucun de ceux qui observent une religion qui n'obéit pas à Rome ne peut témoigner à la Haute Cour, sauf contre ceux qui suivent la même religion et seulement afin de témoigner sur une question d'âge ou de lignage. Ni religieux ou religieuse, ni prêtre ou clerc, même s'il est catholique, ne peut témoigner à la Haute Cour, sauf s'il s'agit de prouver l'âge ou le lignage. Un enfant qui a moins de quinze ans ne peut pas témoigner à la Haute Cour. Nul ne peut témoigner à la Haute Cour au sujet d'une chose à laquelle il participe. Nul esclave ne peut témoigner à la Haute Cour.
A. Bishop
Cette assise donne une liste des gens qui ne peuvent pas témoigner contre les Francs (c'est-à-dire les catholiques) à la Haute Cour. En même temps que les criminels condamnés, la liste inclut les non-catholiques, les esclaves (qui étaient normalement musulmans), et les apostats, qui étaient considérés comme traîtres à l'état ou même à la chrétienté.1 Les traités de Geoffroy le Tor, Philippe de Novare, et également les assises de la Cour des Bourgeois, contiennent des assises similaires. Contrairement à Geoffroy, Jean et Philippe et les assises des bourgeois indiquent également dans quelles circonstances exceptionnelles les non-catholiques peuvent témoigner devant les cours de justice. Jean a copié une partie de cette assise soit chez Philippe soit chez Geoffroy ; Philippe a certainement copié Geoffroy presque mot pour mot, car la formulation et la hiérarchie des personnes auxquelles il est interdit de témoigner se retrouvent presque à l'identique. Toutefois, Philippe et Jean développent plus la question alors que le texte de Geoffroy est plus concis.
1 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 435.
De manière générale, les non-chrétiens ne pouvaient témoigner que devant leurs coreligionnaires, et uniquement devant les basses juridictions. Cette règle eut pour conséquence d'exclure de sa participation à la Haute Cour "la très grande majorité de la population".1 Il est bien connu que beaucoup de chrétiens se sont convertis à l'islam, souvent au cours d'une bataille ou d'un siège, ou après avoir été capturés par les armées musulmanes. On peut donc supposer que l'apostasie et la conversion vers l'islam se produisaient assez souvent chez les Croisés.2 Les principaux traités s'accordent sur le fait que le témoignage des apostats doit être interdit. Jean était le seul juriste qui a inclus les esclaves dans cette liste. Bien que cela ne soit pas explicité ici, les esclaves étaient normalement musulmans car aucun chrétien ne pouvait être asservi selon le droit de l'Orient latin. Il y avait un marché aux esclaves à Saint-Jean d'Acre, la capitale, où se vendaient les prisonniers de guerre et les autres captifs. Toutefois, il arrivait que des chrétiens orientaux soient présentés comme musulmans et vendus comme esclaves.34 Il y avait aussi un grand marché aux esclaves à Famaguste, à Chypre, qui prit de l'importance au XIVe siècle après la prise de Saint-Jean d'Acre. À Chypre, les esclaves étaient d'habitude également musulmans, mais il y avait beaucoup d'esclaves chrétiens grecs.5
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. & trans. P. W. Edbury (Nicosia, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . B. Z. Kedar, "Multidirectional conversion in the Frankish Levant", in J. Muldoon, Varieties of Religious Conversion in the Middle Ages (Gainesville, 1997), reimpr. in Franks, Muslims, and Oriental Christians in the Latin Levant (Aldershot, 2006), 194.
3 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 208-209.
4 . J. S. C. Riley-Smith, The Feudal Nobility and the Kingdom of Jerusalem, 1174-1277 (London, 1973), 62-63.
5 . B. Arbel, "Slave trade and slave labor in Frankish and Venetian Cyprus (1191-1571)" Studies in Medieval and Renaissance History 14 (1993), repr. in Cyprus, the Franks and Venice, 13th-16th Centuries (Aldershot, 2000), 163.
apostasie ; catholique ; clergé ; esclaves ; musulmans ; témoignage
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°70974, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait70974/.