Livre des Assises
Comment l'on peut se permettre de ne pas comparaître devant la cour.
Qui est ajorné par cort, et il meut a hore et a tens por venir a son jor garder, et il a tel essoigne el chemin que il ne peut aler son jor garder, coment et par qui il le peut contremander. Se celui qui est ajorné par court est hors de la vile ou il est ajorné, et il meut a hore et a tens por venir garder son jor, et essoine li avient el chemin por quei il n’i puisse aler a hore et a tens garder son jor la ou il est ajorné ; et il n’a o lui home que .i. de la loi de Rome en tel point, peut il bien son jor contremander par .i. home de la loy de Rome, et, se il n’a o lui aucun home de la loy de Rome et il contremande son jor par autre crestien, il vaut. Et se il n’a crestien et il treuve juif ou sarazin par qui il le contremande, il vaut quant il est en tel point. Quar en tel cas doit un home estre creu de l’esoine de celui qui par lui l’a contremandé de quelque nacion que il soit, mais que il jure selonc sa loy...
John of Ibelin. Livre des Assises, ed. P. W. Edbury (Leiden, 2003).
Comment celui qui est tenu de comparaître devant la cour et qui a promis de se rendre à la cour à un certain moment, et qui est en retard sur le chemin de sorte qu’il ne peut pas venir à la cour, peut faire excuse pour ne pas comparaître, et peut faire annuler sa comparution. Si celui qui est tenu de comparaître devant la cour est en dehors de la ville où il est tenu de comparaître, et qu'il a promis de venir à la cour à une certaine date et heure, et qu'il est en retard sur le chemin et ainsi ne peut pas respecter la date où il est tenu de comparaître, et il n’y a qu’un homme de la "loi de Rome"1 qui, en un tel cas, peut faire annuler sa comparution par un homme de la "loi de Rome", et, s’il n’y a aucun homme de la "loi de Rome" avec lui, il peut faire annuler sa comparution par un autre chrétien. Et s’il n’y a aucun chrétien, et qu'il trouve un juif ou un sarrasin, il peut, dans ce cas, les envoyer annuler sa comparution. Car en tel cas, un homme, de n’importe quelle religion, doit être cru concernant le retard de celui qui l’a envoyé pour faire annuler la comparution, s’il jure selon sa foi.
1 . à savoir un catholique
A. Bishop
Cette assise explique comment un homme peut justifier un défaut de comparution devant la Cour en alléguant un retard. Jean estime que l'homme doit envoyer un catholique pour témoigner de son retard, mais l'assise lui permet également d'envoyer, à défaut, un chrétien non-catholique, un juif, ou un musulman. Geoffroy le Tor et les assises de la Cour des Bourgeois contiennent des assises similaires. Contrairement à Geoffroy, Jean, Philippe et les assises des bourgeois développent également les circonstances exceptionnelles permettant à des non-catholiques de témoigner devant les cours. Jean continue en détaillant, de manière assez répétitive, les types de retard qui pourraient survenir, les raisons pour lesquelles il lui semble acceptable d’annuler une comparution, et celles pour lesquelles un homme de n’importe quelle religion peut l’annuler. Cette assise ressemble au chapitre 26 du traité de Philippe ; la formulation du texte sous-entend que Jean en a copié une partie ; toutefois il a donné son propre raisonnement en lieu et place de celui de Philippe. En outre, le traité de Jean permet à un juif de prendre la place d’un chrétien, ce qui n’est pas permis chez Philippe.
Il était important de noter qui pouvait témoigner contre qui dans une société multiculturelle comme celle des royaumes de Jérusalem et de Chypre. En général, il était uniquement permis aux non-chrétiens de témoigner contre les membres de la même religion qu'eux, et seulement dans les cours "basses". Cette règle empêchait "la très grande majorité de la population" de participer à la Haute Cour.1 En pratique, comme cela est souligné dans cette assise, leur témoignage pouvait être accepté à la Haute Cour si on ne pouvait pas trouver de témoin catholique ; mais, juridiquement, un tel témoignage valait moins que celui d’un catholique.
Hans E. Mayer a noté que les non-catholiques, et surtout les musulmans, sont mentionnés dans les sources légales comme si on avait pensé à eux après coup. ceux-ci, en particulier, n'avaient guère de droits légaux ou religieux.2 Marwan Nader estime que les musulmans urbains jouissaient de quelques droits légaux, au moins à la cour des Bourgeois.3
Les habitants du royaume non-catholiques avaient leur propre Cour, la Cour des Syriens (à savoir une cour pour tous les habitants autochtones et pas seulement les chrétiens syriens), bien que les cas les plus graves et les procès avec des catholiques soient jugés à la Cour des Bourgeois. Les autochtones ne pouvaient pas porter une question devant la Haute Cour.4
Il n’y avait aucune discrimination spécifique des juifs au Royaume de Jérusalem, telle qu’il existait en Europe à cette période. En effet, les nouvelles croisades s'accompagnaient souvent de rhétorique anti-juives et d’attantats contre les communatés juives en Europe, ce qui ne se passait jamais à Jérusalem au douzième et treizième siècles. Les juifs et les musulmans étaient égaux selon le droit de l’Orient latin, bien que tous les deux fussent inférieurs aux chrétiens orientaux, qui fussent, eux-mêmes, inférieurs aux Francs. J. Prawer, "Social classes in the Crusader States: The ‘Minorities’" in K. M. Setton, ed., A History of the Crusades, vol. V: The Impact of the Crusades on the Near East (Madison, 1985), 95
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, ed. and trans. Peter W. Edbury (Nicosia, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . H. E. Meyer, "Latins, Muslims, and Greeks in the Latin Kingdom of Jerusalem" History 63 (1978), repr. in Probleme des lateinischen Königreichs Jerusalem (Aldershot, 1983), 175-185.
3 . M. Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem" Medieval Encounters 13 (2007), 255-258.
4 . M. Nader, "Urban Muslims", 249-251.
Juifs/Judaïsme ; musulmans ; témoignage
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°70973, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait70973/.