Livre de Geoffroy le Tort
Ceux qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour contre les Francs.
Les genz qui ne pevent porter garentie en la Haute Court contre Frans, si sont : Toz ciaus qui ne sont de la lei de Rome ; et toz forjugiés ; et toz perjurés ; et toz ciaus qui sont fei mentie ; et toz champions vencuz ; et toz ciaus qui ont reneié Dieu ; et toz ciaus qui ont servi Sarrazins ou autre mescreanz as armes contre Crestiens, plus d’un an et un jor ; et ciaus qui ne sont nés de leau mariage ; et toz sers de quelque lei que il seient ; et toz ciaus qui sont parti de religion se il ne l’ont par jugement de l’Yglise ; et toz ciaus qui sont entechiés des vices devant dis, perdent vois en court, se l’on les viaut oster.
"Livre de Geoffrey Le Tort", in A.-A. Beugnot, Recueil des historiens des croisades, vol. I. : Lois (Paris, 1841), repr. Farnborough: Gregg, 1967.
Les gens qui ne peuvent pas témoigner à la Haute Cour contre les Francs sont : tous ceux qui ne sont pas catholiques ; tous les condamnés ; tous les parjures ; tous ceux qui ont brisé leur serment de fidélité ; tous les champions qui ont perdu une ordalie ; tous ceux qui ont renié Dieu ; tous ceux qui ont servi les Sarrasins ou d'autres infidèles en portant les armes durant plus d'un an et un jour ; ceux qui ne sont pas nés d'un mariage légal ; tous les serfs de n'importe quelle religion ; tous ceux qui ont renoncé à leurs vœux sans la permission de l’Église ; et tous ceux qui sont souillés par les vices mentionnés ci-dessus. Tous ceux-là perdent leur voix à la cour si on veut la leur ôter.
A. Bishop
Cette assise est une liste des gens qui ne peuvent pas témoigner contre les Francs (c'est-à-dire les catholiques) à la Haute Cour. En même temps que les criminels condamnés, la liste inclut les non-catholiques et les apostats, qui étaient considérés comme traitres à l’État ou même à la Chrétienté1, et les paysans de n'importe quelle religion. Les plus longs traités de Jean d'Ibelin et Philippe de Novarre, ainsi que les assises de la Cour des Bourgeois contiennent des règles similaires mais plus précises. Contrairement à Geoffroy, Jean, Philippe, et les assises des bourgeois expliquent les circonstances exceptionnelles dans lesquelles les non-catholiques peuvent témoigner devant les cours.
1 . J. Prawer, Crusader Institutions (Oxford, 1980), 435.
En général, il était uniquement permis aux non-chrétiens de témoigner contre les membres de la même religion qu'eux, et seulement dans les cours "basses". Cette règle empêchait "la très grande majorité de la population" de participer à la Haute Cour.1 Hans E. Mayer a noté que les non-catholiques, et surtout les musulmans, sont mentionnés dans les sources légales de telle façon qu'il semble presque que l'auteur ait pensé à eux dans un deuxième temps. Les musulmans en particulier n'avaient guère de droits légaux ou religieux.2 Marwan Nader estime que les musulmans qui vivaient dans les villes jouissaient de quelques droits légaux, au moins à la cour des bourgeois.3 Il est bien connu que beaucoup de chrétiens se sont convertis à l'Islam, souvent au cours d'une bataille ou d'un siège, ou après avoir été capturés par les forces musulmanes.4 Il y a très peu de preuve écrite montrant que les feudataires apostats étaient déshérités. Cependant, des lettres du pape Alexandre III au douzième siècle et d'Urbain IV au treizième siècle semblent indiquer que des chrétiens à Jérusalem parfois sont devenus apostats, et après voulaient retourner au christianisme. Geoffroy et les auteurs des plus grands traités sont d'accord pour dire qu'un apostat a l'interdiction de témoigner.
1 . Philip of Novara, Le Livre de Forme de Plait, éd. et trans. Peter W. Edbury (Nicosie, 2009), ch. 28, n. 122.
2 . H. E. Meyer, "Latins, Muslims, and Greeks in the Latin Kingdom of Jerusalem," History 63 (1978), repr. in Probleme des lateinischen Königreichs Jerusalem (Aldershot, 1983), 175 et 185.
3 . M. Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 255-258.
4 . B. Z. Kedar, "Multidirectional conversion in the Frankish Levant", in J. Muldoon, Varieties of Religious Conversion in the Middle Ages (Gainesville, 1997), reimpr. in Franks, Muslims, and Oriental Christians in the Latin Levant (Aldershot, 2006), 194.
apostasie ; musulmans ; témoignage
Laurence Foschia : traduction
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°87430, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait87430/.