Description
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Yves, évêque de Chartres
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Hugues, abbé de Cluny
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après 1090 - avant 1109/04/29
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[avant 29 avril 1109]
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Lettre
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Ivo, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, Hugoni, reverendo Cluniacensis monasterii abbati(1), salutem et servitium.
Est in quodam monasterio ditionis vestrae quidam frater qui, cum esset clericus in saeculo degens, quamdam mulierem gravidam, cum qua consuetudinem habebat, oppressit. Mulier vero post aliquot dies abortivum fecit. Sed utrum hac oppressione vel alia occasione mulier abortierit et opprimenti et oppressae incertum fuit. Propter hanc tamen causam ab accipiendis sacris ordinibus suspenditur et a sacramentorum dispensatione removetur. Videtur multis haec praedura sententia, ut pro incerta culpa tam severum confirmetur judicium, cum dicat consona Evangelio canonica sententia(2) : « Nullus pontificum incerta judicare praesumat. » Quae tamen culpa si certa esset, secundum antiquorum exempla, mitius animadverti posset(a), si tamen infirmis mentibus non obesset(3). Sanctus enim David, post actam de adulterio et homicidio poenitentiam, prophetiae spiritum non amisit(4). Petrus postquam Christum cum perjurio negavit, culpam lacrymis diluens(5), non solum apostolus, sed etiam apostolorum princeps(6) mansit. Paulus, post persecutionem et caedem discipulorum Domini, ad apostolicum fastigium pervenit(7). Homicida ille, quem beatus Joannes Ephesino episcopo nutriendum erudiendumque commiserat, post caedes et rapinas ductus poenitentia, non solum indulgentiam obtinuit, sed etiam beato Joanne ordinante Ephesinae Ecclesiae praepositus fuit(8). Istae memorabiles personae, quia veram poenitentiam egerunt, plenam indulgentiam meruerunt, non tantum ad culpae remedium, sed etiam ad obtinendum pastoralis curae fastigium.
Verumtamen haec exempla legem non faciunt, quia, sicut dicit beatus Augustinus(9), « posteriorum(b) diligentia » severissime sanxit ut « post actam de crimine poenitentiam nullus in clericatu maneat, nullus ad clericatum accedat », quod dictum esse creditur « non desperatione indulgentiae, sed rigore disciplinae », quoniam aliqui propter « affectatas honorum potentias fictas agebant poenitentias ». Unde mihi videtur quia sicut ficta poenitentia ficte(c) poenitentes a clericatu repellit, ita vera poenitentia vere poenitentes ad clericatum admittit. Haec dicentes sacris Patrum regulis non obviamus, sed ex ratione et exemplorum commemoratione in praesidentium intelligimus positum esse discretione ut, quos viderint veram egisse poenitentiam, eos ad ecclesiasticam possint promovere militiam, si tamen publicam non egerint poenitentiam(10) : talibus enim ideo clericatus denegatur, quia ab insidiatoribus divinis sacramentis pro hujusmodi derogatur et simplicium animus aut scandalizatur, aut infirmatur.
Hic vero nihil horum est, quia nec culpa est certa, nec poenitentia publica, persona vero honesta, quantum de alterius vita aestimare potest humana conscientia. Quae ideo nobis videtur Deo posse offerre sacrificium, quia seipsam Deo fecit holocaustum. Quis sit ille frater de quo agimus(11), dicent vobis fratres praesentium portitores, pro quo supplicamus reverentiae vestrae ut, mitigato rigore vestrae consuetudinis, eum ad sacros ordines promoveri concedatis. Prudenti loquimur, nihil vos docentes, neque aliquid dicentes quod non noverit vestra prudentia et saepe tractaverit vestra sollertia. Valete.
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potuisset éd.
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posterorum éd
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fictos AMT.
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Hugues, dit le Vénérable, de la famille des comtes de Semur, abbé de Cluny de 1049 au 29 avril 1109. Parmi la très importante bibliographie, Franck Barlow, « The canonization and the early lives of Hugh I, abbot of Cluny »,
Analecta Bollandiana, 1980, p. 297-334.Le gouvernement d'Hugues de Semur à Cluny, Colloque scientifique international, Cluny, 14-17 septembre 1988, Mâcon, 1990.
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Sixte II, c. 7,
Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 193, qui cite I Cor. 4, 5 en rajoutantincerta. YvesDécret5, 247 ;Panormie4, 114. Cette idée se trouve dans de nombreux autres textes canoniques.
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Peur du scandale pour les plus faibles, par exemple Gélase aux évêques de Lucanie, c. 19, Yves,
Décret2, 88 ;Panormie6, 40. Le sujet a été abordé dans de nombreuses lettres, 73, 85, 152, etc.
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II Sam. ch. 11, amour de David pour Bethsabée et meurtre de son mari Urie le Hittite.
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Matth. 26, 69-75. Texte commenté entre autres par Ambroise, Grégoire (références dans Gratien, D. 50, 52-54). La vertu des larmes dans la pénitence est aussi un lieu commun des Pères.
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Expression fréquente chez Grégoire le Grand, Yves,
Décret6, 85 ;Panormie3, 147 (Gratien,passim).
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Act. 8, 1-3. Pierre et Paul sont traditionnellement liés comme fondateurs complémentaires de l'Église.
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À la fin du
Prologue, § 43-47, Yves énumère des cas de prélats pénitents et réintégrés dans leur fonction, mais cet exemple n'y est pas. Il s'agit de l'épisode du jeune homme confié par l'apôtre Jean à l'évêque d'Éphèse, devenu le pire des pécheurs puis repenti, que raconte Eusèbe de Césarée,Histoire ecclésiastique, l. 3, c. 23, éd. G. Bardy,Sources chrétiennes31, p. 127-129.
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Augustin,
De correctione donatistarum, lettre 185, c. 45, citée dansPrologue, § 13, éd. citée, p. 78, etDécret6, 386 (Gratien, D. 50, 25). Le texte est en partie cité, en partie résumé. Augustin donne aussi les exemples de la repentance de David et de Pierre. Prescriptions similaires, concile d'Épaone (527), c. 22.
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I
erconcile de Tolède, c. 2. Yves,Décret6, 138 (Gratien, D. 50, 68).
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L'Église ne fait pas acception des personnes, mais... On aimerait connaître le nom et la famille de ce frère pour lequel Yves fait une telle « dispense ».
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a. Avranches, BM 243, 103rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 72v-73
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T. Troyes, BM 1924, 109v-110
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Au. Auxerre, BM 69, 80v-81
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Yves, par la grâce de Dieu ministre de l'Église de Chartres, à Hugues, révérend abbé du monastère de Cluny, salut et service.
Il y a dans un monastère placé sous votre autorité un frère qui, passant sa vie dans le siècle alors qu'il était clerc, battit une femme enceinte avec qui il avait une relation. Or la femme, peu de jours après, fit une fausse couche. Or savoir si la femme avait avorté à cause de cette aggression ou pour une autre raison était incertain et pour l'aggresseur et pour l'aggressée. Cependant il est pour ce motif suspendu de la réception des ordres sacrés et écarté de la dispensation des sacrements. Cette sentence semble à beaucoup très dure, à savoir qu'on valide un jugement si sévère pour une faute incertaine, alors que la sentence canonique, en accord avec l'Évangile, dit : « Qu'aucun pontife n'ait la présomption de juger des choses incertaines. » Quand bien même la faute serait certaine, il pourrait, selon les exemples des anciens, être réprimandé avec plus de douceur, sans toutefois que cela ne nuise aux esprits faibles. En effet le saint David, après une pénitence accomplie pour son adultère et son homicide, ne perdit pas l'esprit de prophétie. Pierre, après qu'il eut renié le Christ avec son parjure, diluant sa faute dans les larmes, demeura non seulement apôtre, mais même prince des apôtres. Paul, après la persécution et le meurtre des disciples du Seigneur, parvint à la dignité apostolique. Cet homicide, que le bienheureux Jean avait confié à l'évêque d'Éphèse pour qu'il le nourrisse et l'éduque, conduit à la pénitence après des meurtres et des vols, non seulement obtint le pardon mais aussi, ordonné par le bienheureux Jean, devint chef de l'Église d'Éphèse. Ces personnes dignes de mémoire, parce qu'elle firent une vraie pénitence, méritèrent une pleine indulgence non seulement pour porter remède à leur faute mais aussi pour obtenir la dignité d'une charge pastorale.
Néanmoins ces exemples ne font pas la loi, parce que, comme le dit le bienheureux Augustin, « le zèle de ceux qui sont venus ensuite » a décidé des sanctions très sévères si bien que, « après une pénitence faite pour un crime, personne ne peut demeurer dans la cléricature, personne ne peut accéder à la cléricature », ce qui a été dit, croit-on, « non pour ôter tout espoir d'indulgence, mais pour maintenir la rigueur de la discipline », puisque certains « faisaient des pénitences feintes pour obtenir des honneurs convoités ». Il me semble donc que, de même qu'une feinte pénitence repousse de la cléricature de faux pénitents, de même la vraie pénitence admet à la cléricature de vrais pénitents. En disant cela nous ne nous écartons pas des saintes règles des Pères, mais, d'après la raison et le rappel des exemples, nous comprenons qu'il a été donné à la discrétion de ceux qui gouvernent la possibilité de promouvoir à la milice ecclésiastique ceux qu'ils auront vus avoir fait une vraie pénitence, à moins toutefois qu'ils n'aient eu besoin d'une pénitence publique : car la cléricature est refusée à de telles personnes, parce qu'en ce cas un discrédit serait porté aux sacrements divins par des parjures et l'âme des simples serait ou scandalisée ou affaiblie.
Or ici il n'y a rien de tout cela, parce qu'il n'y a ni faute certaine, ni pénitence publique, mais une personne honnête, dans la mesure où la conscience humaine peut juger de la vie d'autrui. C'est pourquoi elle nous semble pouvoir offrir à Dieu un sacrifice, parce qu'elle s'est elle-même donnée en holocauste à Dieu. Les frères porteurs de la présente vous diront quel est ce frère dont nous parlons, pour qui nous supplions votre révérence d'accepter de le promouvoir aux ordres sacrés, en adoucissant la rigueur de votre coutume. Nous parlons à un homme prudent, ne vous enseignant rien, ne vous disant rien que votre prudence ne sache et que votre habilité n'ait souvent traité. Adieu.