Description
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Yves, évêque de Chartres
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Pascal 2, pape
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après 1114/04 - avant 1116
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[après avril 1114]
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Lettre
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Paschali, summo pontifici, Ivo, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, devotam ut patri obedientiam, debitam ut domino reverentiam.
Quoniam in oculis apostolicae majestatis aliquam pie praesumo me habere gratiam, ea praesumptione aliquando cum aliqua spe peto ab eadem sede apostolica etiam ea quae videntur esse contra rigorem apostolicum, sed non sunt contra honorem apostolicum, quia non est indecens sedi apostolicae cantare Deo(1) misericordiam et judicium(2). Cum ergo opportunum est, securus pulso ad thronum justititiae, cum ratio exigit, cum pia praesumptione pulso ad thronum misericordiae(3). Judicium sine ulla disceptatione debet omnis judex, de misericordia vero deliberandum est utrum expediat an non expediat. Haec non ignorantibus scribo, sed ad hoc ista praemitto ut, in quamcumque harum partium se vertat postulatio mea, aut petenti justitia non negetur, aut pie pulsanti misericordiae janua non claudatur(4). Quod bene discernere poterit vestra paternitas, cum summam nostrae petitionis audieritis et per praesentes legatos adventus sui causam cognoveritis.
Novit enim vestra paternitas quanto tempore post mortem bonae memoriae Anselmi, archiepiscopi Cantuariensis(5), Ecclesia pastore viduata languerit, quomodo rex Anglorum(6) bona episcopalia in usus saeculares usurpaverit(a), quanto studio episcopalem electionem ibi fieri non permiserit(b) ; nunc vero, post increpationes vestras, post multas episcoporum dioecesanorum admonitiones, praetaxata Ecclesia consensu episcoporum, rege tandem connivente, elegit sibi in archiepiscopum Radulfum, Rofensem episcopum(7), virum religiosum et honestum, scientia et moribus clarum(8). Hic in propria persona sedem apostolicam visitare, secundum majorum instituta(9), deliberavit. Sed eum partim debilitas(c) corporis impedivit, partim periculum Romani itineris deterruit(10). Mittit itaque praedicta Ecclesia vice electi sui religiosas personas et dictis et scriptis obnixe postulantes ut praedictum electum Cantuariensi episcopatui confirmetis et dignitatem ei pallii concedatis.
Ego quoque affectu fraternae charitatis et ausu paternae dilectionis consulendo rogo et rogando consulo ut, etiamsi aliter fieri non potest, cum aliqua tamen dispensatione languenti Ecclesiae subveniatis et, propter Ecclesiae necessitatem, deinde propter utilitatem et honestatem personae, petentium supplicationibus aurem misericorditer inclinetis. Nisi enim medicinalis manus cito subveniat, praedicta Ecclesia in veteres ruinas relabetur et vox dilatoria potentium sine modo ultra modum protelabitur(11). Cum enim Dominus noster, qui institutor erat sabbati, misericordiae opera faceret in sabbato et redargueretur a Pharisaeis quod solveret sabbatum, spicas discipulis vellentibus, eorum murmurationi respondit(12) : « Si intellexissetis : “Misericordiam volo et non sacrificium” numquam condemnassetis innocentes », et alibi(13) : « An nescitis quia filius hominis dominus est etiam sabbati ? » per hoc doctores informans quia tunc possunt legum rigorem propter necessitates ecclesiasticas temperare, quando ipsa legum remissio nihil continet contra fidei veritatem vel morum honestatem(14).
His exemplis admoniti secure pulsamus ad januam misericordiae, credentes non esse indignum si apostolicus praeceptum mittentis sequatur aut exemplum. Postremo quantum potest mens humana de alieno corde pensare, sanum nobis videtur esse consilium ut eum paterne suscipiatis, quatenus vos liberalem filium et fidelem vobis adoptasse gaudeatis(15). Valete.
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usurpavit M
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permisit AMT
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debilitas corporis...partim raj. marg. A, partim periculum Romani itineris deterruit, partim corporis debilitas impedivit M.
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D'après Ps. 68, 4 et
passim
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Ps. 100, 1 ; Matth. 23, 23.
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D'après Hebr. 4, 16,
thronum gratiae.
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D'après Matth. 7, 7 ; Luc. 11, 8.
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Voir lettre 39. Il est mort le 21 août 1109.
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Henri I
er, voir lettre 106. Tous les événements auxquels il est fait allusion sont traités en détail par le moine Eadmer,Histoire des temps nouveaux,passim.
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Raoul d'Escures, peut-être apparenté à la famille de Bellême, élu abbé de Saint-Martin de Sées en 1089, passa en Angleterre en 1103 pour échapper à la tyrannie de Robert de Bellême (voir lettre 120). Élu évêque de Rochester et consacré par Anselme le 9 août 1108, il devint le 26 avril 1114 archevêque de Cantorbéry et mourut le 20 octobre 1122. La lettre III, 23 d'Anselme de Cantorbéry lui est adressée. Eadmer en parle à plusieurs reprises dans l'
Histoire des temps nouveaux. V. Gazeau,Princes normands et abbés bénédictins,op. cit., t. 1, p. 122, 172-173 etpassim.
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C'est un lieu commun de relater dans toute élection d'évêque les circonstances prouvant que l'élection était canonique et que l'élu présentait toutes les garanties de moralité et de culture, voir Lambert d'Arras,
Regeste,passim.
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L'archevêque doit dans les trois mois recevoir le pallium des mains du pape, sinon il risque de perdre sa dignité. Yves,
Décret5, 136 ;Panormie3, 11, mais les inscriptions,Décretsde Pélage, c. 1, de Damase, c. 1, sont inexactes, ce texte n'est pas dans lesFausses décrétales(Gratien, D. 100, 1, donne comme source le concile de Ravenne de 877, c. 1 et 2).
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Sur les dangers du voyage, voir lettre 81.
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Les plaintes sont toujours les mêmes en cas de vacance de l'évêque, voir les lettres d'Yves ou de Lambert d'Arras concernant l'état de l'Église de Beauvais.
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Matth. 12, 7, citant Osée 6, 6.
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Matth. 12, 8 ; Marc. 2, 28 ; Luc. 6, 5.
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Fidei veritate et morum honestate,Prologue, § 3, éd. citée p. 66.
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Pascal II répond à la venue des envoyés de l'archevêque par la lettre 172,
PL163, col. 376, du 18 février 1115, où il accepte cette nomination. Il écrit aussi au roi Henri Ier, lettre 173, 30 mars 1115, pour lui confirmer ce choix et lui demander de rendre les biens ecclésiastiques qu'il a usurpés,ibid., col. 376-377. D'autres lettres sont adressées à l'archevêque par Pascal II, lettres 189, 194, par Calixte II, lettre 116. Est conservée également une lettre de Raoul à ce pape, de 1122,ibid., col. 1341-1356.
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a. Avranches, BM 243, 129rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 92v-93
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T. Troyes, BM 1924, 39v-40v
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À Pascal, souverain pontife, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, l'obéissance dévouée comme à un père, la révérence due comme à un seigneur.
Puisque je présume pieusement avoir trouvé quelque grâce aux yeux de la majesté apostolique, à cause de cette présomption je demande parfois avec quelque espoir à ce même siège apostolique même des choses qui semblent être contraires à la rigueur apostolique, mais qui ne vont pas contre l'honneur apostolique, parce qu'il n'est pas inconvenant pour le siège apostolique de chanter pour Dieu miséricorde et justice. Donc quand c'est opportun, je frappe avec assurance au trône de justice, quand la raison l'exige, je frappe avec une pieuse présomption au trône de miséricorde. Le jugement, tout juge le doit sans aucune contestation, mais pour ce qui est de la miséricorde il faut délibérer pour savoir si elle convient ou ne convient pas. Je n'écris pas ceci à des ignorants, mais je mets en avant ces préambules pour que, quelle que soit celle de ces directions où tourne ma demande, ou bien la justice ne soit pas refusée à qui demande, ou bien la porte de la miséricorde ne soit pas fermée à qui frappe pieusement. Et votre paternité pourra bien discerner ce fait quand vous aurez entendu le résumé de notre demande et que vous aurez pris connaissance, par les envoyés porteurs de la présente, de la raison de leur venue.
Votre paternité sait en effet combien de temps, après la mort d'Anselme de bonne mémoire, archevêque de Cantorbéry, l'Église privée de pasteur fut languissante, comment le roi des Anglais usurpa les biens épiscopaux à des fins séculières, avec quel zèle il ne permit pas que s'y fasse une élection épiscopale ; mais maintenant, après vos remontrances, après de nombreuses admonitions des évêques diocésains, ladite Église, avec le consentement des évêques et enfin l'accord du roi, a élu comme archevêque Raoul, évêque de Rochester, homme pieux et honnorable, célèbre par sa science et ses mœurs. Celui-ci a décidé de rendre visite en personne au siège apostolique, selon les usages des anciens. Mais en partie la faiblesse de son corps l'en a empêché, en partie le danger du voyage à Rome l'a effrayé. C'est pourquoi ladite Église envoie à la place de son élu des personnes religieuses qui réclament avec insistance, et en paroles et en écrits, que vous confirmiez ledit élu à l'archevêché de Cantorbéry et que vous lui accordiez la dignité du pallium.
Moi aussi, avec le sentiment d'une charité fraternelle et l'audace d'une affection paternelle, je demande en conseillant et je conseille en demandant que, même s'il ne peut en être autrement, au moins par quelque dispense, vous veniez au secours de l'Église languissante et qu'en raison des besoins de l'Église ainsi qu'en raison de l'utilité et de l'honorabilité de sa personne vous penchiez miséricordieusement l'oreille aux supplications des solliciteurs. Car, si une main secourable ne lui vient pas rapidement en aide, ladite Église retombera dans ses ruines anciennes et la voix dilatoire des puissants fera traîner sans mesure au-delà de la mesure. Car quand notre Seigneur, qui était l'instigateur du sabbat, faisait des œuvres de miséricorde pendant le sabbat et était réprimandé par les Pharisiens parce qu'il violait le sabbat, tandis que ses disciples arrachaient des épis il répondit à leurs plaintes : « Si vous aviez compris “Je veux la miséricorde et non le sacrifice” vous n'auriez jamais condamné des innocents » et ailleurs : « Ne savez-vous pas que le fils de l'homme est aussi seigneur du sabbat ? », informant par là les docteurs qu'ils peuvent tempérer la rigueur des lois pour les besoins ecclésiastiques quand ce même adoucissement des lois ne contient rien contre la vérité de la foi ou l'honnêteté des mœurs.
Conseillé par ces exemples, nous frappons avec assurance à la porte de votre miséricorde, croyant qu'il n'est pas indigne d'un disciple de suivre le précepte ou l'exemple de celui qui l'envoie. Enfin, autant que l'esprit humain peut juger du cœur d'autrui, il nous paraît de bon conseil que vous l'accueilliez paternellement, pour vous réjouir d'avoir adopté un fils généreux et qui vous est fidèle. Adieu.