Description
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Yves, évêque de Chartres
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Henri, abbé de Saint-Jean d’Angély
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[11 avril 1111-18 mars 1112]
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Lettre
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Ivo, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, Henrico, abbati Angeliacensis monasterii(1), salutem et mutuarum orationum munus.
De investituris Ecclesiarum quas laici faciunt, sententiam praecedentium patrum Gregorii et Urbani(2), quantum in me est laudo atque confirmo(3). Quocumque autem nomine talis pervasio proprie vocetur, eorum sententiam qui investituras laicorum defendere volunt schismaticam judico. Nec ista contra domnum papam dico, quia quibusdam litteris mihi scripsit se coactum fecisse quod fecit(4) et adhuc se prohibere quod prohibuit(5), quamvis quaedam nefanda quibusdam nefandis scripta permiserit. Et quia verenda patris debemus potius velare quam nudare(6), familiaribus et charitatem redolentibus litteris admonendus mihi videtur(7) ut se judicet aut factum suum retractet(8). Quod si fecerit, referamus Deo gratias et gaudeat nobiscum omnis Ecclesia, quae graviter languet dum caput ejus laborat tanta debilitatum molestia.
Si autem in hoc languore insanabiliter aegrotaverit, non est nostrum judicare de summo pontifice(9). Habemus enim evangelicam sententiam quae securos nos(a) facit(10) : « Super cathedram Moysi sederunt Scribae et Pharisaei ; quae dicunt servate et facite, secundum vero opera eorum nolite facere ». Vult enim haec sententia praecepta praesidentium ad cathedram pertinentia obedienter impleri, etiamsi tales sint quales erant Pharisaei, non eos factiosa conspiratione a suis sedibus removeri. Si vero ea praecipiant quae sint contra doctrinam evangelicam vel apostolicam(11), ibi eis non esse obediendum exemplo docemur Pauli apostoli, qui Petro sibi praelato non recte incedenti ad veritatem Evangelii in faciem restitit(12), non tamen eum abjecit. Ubi enim succumbunt humana judicia, divina est expetenda misericordia quatenus, insitorum conservata pace ramorum, et ipsi qui praecisi sunt unitati Ecclesiae studeant reformari et insitorum ramorum societate laetari. Alioquin nec praecisi inserentur, nec inserti fructificare aut florere in tanta turbinum concussione permittentur(13). Haec de proposita quaestione respondeo majorum sententiis non praejudicans, quae paci Ecclesiae consulant et aedificationi. Vale.
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hos éd.
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Henri fut abbé entre 1103/4 et 1131 de l'abbaye de Saint-Jean d'Angély (arr., Charente-Maritime), fondée par Pépin I
erentre 817 et 838. Noble d'origine bourguignonne, il fut moine à Cluny en 1093, puis prieur à Souvigny et à Marcigny ; il accompagna Pascal II lors de son voyage en France en 1107 ; il fut abbé de Peterborough entre 1127 et 1131, abbatiat jugé très sévèrement par la chronique de cette abbaye. Il fut chassé de Saint-Jean d'Angély par les hommes du comte de Poitou en 1131, avant de mourir la même année. Sur sa vie très mouvementée, Cecily Clark, « This ecclesiastical adventurer : Henry of Saint-Jean d'Angély »,The english historical review, t. 84, 1969, p. 548-560. Geoffroy de Vendôme a correspondu avec lui et lui a adressé plusieurs plaintes, éd. Citée, lettres 55, 66, 138, 149.
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Grégoire VII, concile de 1080, c. 1, 2, 3,
PL148, col. 813-815 (Gratien, 16, 7, 12). Urbain II, concile de Clermont, 1095, c. 17, 18, Lambert d'Arras,Regeste, C. 52, éd. citée, p. 188. Ces textes ne sont pas dans les collections d'Yves.
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Voir lettre 60 où Yves développe sa théorie des investitures.
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La lettre est perdue ; l'édition des lettres de Pascal II,
PL163, lettre 333, col. 292-293, se contente de citer cette phrase de la lettre d'Yves. L'excuse devi coactusapparaît aussi en 1119 dans leLiber de honore Ecclesiede Placide de Nonantola, c. 117,MGH, Libelli de Lite, II, p. 622-624. La crise de 1110-1111 entre la papauté et l'empire, où Pascal II reconnaît l'investiture laïque le 11 avril 1111, a suscité un grand émoi dans la chrétienté. L'attitude du pape fut vivement critiquée, en Italie comme en France. Geoffroy de Vendôme s'indigne, voir noteinfra; on est plus modéré dans son entourage : Hildebert trouve des excuses au pape et appelle à l'indulgence,L. de L., II, p. 669. Voir la lettre d'Anselme de Cantorbéry, livre 3, lettre 152,PL159, col. 184, et la réponse du pape qui se défend d'une telle accusation, lettre 260 du 12 octobre 1108,PL163, col. 245-246.
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Par exemple au concile de Troyes de 1107 (Gratien, 16, 7, 16-18).
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Gen. 9, 22. Cet épisode est très souvent cité à cette époque, par exemple Geoffroy de Vendôme, lettres 134, 179, 186.
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Les lettres de Geoffroy de Vendôme 127 et 134 sont adressées à Pascal II pour le réprimander ; peut-on les qualifier de
redolentes charitatem?
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Cette remarque situe la lettre avant le concile de Latran du 18 mars 1112, où Pascal II revient sur son acceptation,
PL163, col. 471.
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Voir lettre 236.
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Matth. 23, 3.
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Les canons s'accordent à dire que le pasteur, même pécheur, doit être toléré, sauf s'il s'écarte de la foi, Clément, c. 42, Anaclet, c. 37-39, Fabien, c. 23, Eusèbe, c. 11, Jean,
Decreta, Grégoire,ep. ad Felicem,Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 45, 85-86, 166, 237, 694, 751. Yves,Décret5, 253. Urbain II, lettre 273,PL151, col. 531, citant Jérôme,Sur l'épitre aux Philippiens, décrète que si le chef ordonne ce qui est mal et contraire aux Écritures saintes c'est à Dieu qu'il faut obéir, non aux hommes. La lettre 101 de Geoffroy de Vendôme présente la même argumentation. Voir Yves, lettre 236.
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Gal. 2, 11,
in faciem restiti, et 14,non recte ambularent ad veritatem Evangelii.
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Il ne s'agit pas d'une citation textuelle mais cette métaphore est inspirée d'Augustin,
De correctione donatistarumouep. ad Bonifacium, c. 10, § 44, texte cité par Yves,Prologue, éd. citée, § 23 ;Décret6, 385 (Gratien, 23, 4, 24). La peur du schisme au moment de la querelle des investitures est très grande et explique les compromissions. Voir Geoffroy de Vendôme, lettres 169 et 189 (Op. 3-4 etTractatus de investitura), avec une citation de CyprienAd Quirinum, Testimonia, l. 3, 86, éd. Hartel,CCSL3, p. 164 :Scisma non est faciendum, etiam si in eadem fide et in eadem traditione non permaneat qui recedit.
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a. Avranches, BM 243, 120v-121
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 84rv
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Yves, par la grâce de Dieu ministre de l'Église de Chartres, à Henri, abbé du monastère d'Angély, salut et secours de prières mutuelles.
À propos des investitures des églises faites par des laïcs, j'approuve et je confirme autant qu'il est en moi la sentence des papes précédents Grégoire et Urbain. Et de quelque nom qu'on appelle proprement une telle usurpation, je juge schismatique la sentence de ceux qui veulent défendre les investitures des laïcs. Et je ne dis pas cela contre le seigneur pape, parce qu'il m'a écrit dans des lettres que c'est contraint qu'il avait fait ce qu'il a fait et qu'il interdit encore ce qu'il a interdit, bien qu'il ait permis à certains impies certains écrits impies. Et parce que nous devons plutôt voiler que dénuder les parties honteuses de notre père, il me semble qu'il faut, par des lettres familières et empreintes de charité, l'exhorter à se juger ou à revenir sur son action. Et s'il le fait, rendons grâces à Dieu et que se réjouisse avec nous toute l'Église, qui est gravement abattue tant que sa tête souffre du si grand désagrémént de ses infirmités.
Mais si dans cet abattement elle reste malade incurable, ce n'est pas à nous de juger du souverain pontife. Car nous avons la sentence évangélique qui nous rend sûrs : « Les Scribes et les Pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse ; ce qu'ils disent observez-le et faites-le, mais n'agissez pas selon leurs œuvres ». Cette sentence veut en effet que soient accomplis dans l'obéissance les préceptes des chefs qui se rapportent à leur dignité, même s'ils sont tels qu'étaient les Pharisiens, et non qu'ils soient chassés de leurs sièges par une conspiration factieuse. Mais s'ils ordonnent ce qui va à l'encontre de la doctrine évangélique ou apostolique, nous apprenons alors qu'il ne faut pas leur obéir, àl'exemple de l'apôtre Paul qui résista en face à Pierre, son chef, parce qu'il ne se dirigeait pas parfaitement vers la vérité de l'Évangile, mais qui cependant ne le rejeta pas. En effet quand succombent les jugements humains, il faut rechercher la miséricorde divine pour que, une fois préservée la paix des rameaux implantés, même ceux qui ont été coupés de l'unité de l'Église s'efforcent de s'y replacer et de se réjouir de la société des rameaux implantés. Autrement ni les rameaux coupés ne seront implantés, ni les rameaux implantés n'auront la possibilité de fructifier ou de fleurir dans l'agitation de tels tourbillons. Voici ce que je réponds à la question posée, ne portant pas préjudice à des sentences de plus grands, pour contribuer à la paix et à l'édification de l'Église. Adieu.