Description
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Yves, évêque de Chartres
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Renaud 1er, archevêque de Reims
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[après le 15 mai 1092(1)]
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Lettre
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Rainaldo(2), reverendo Remorum archiepiscopo, Ivo, humilis Carnotensium episcopus, consolationis visceribus abundare(3).
Expertus quantum sit periculum praelatorum, juxta quod in psalmo CVIII(a) legitur(4) : « Qui descendunt mare in navibus, facientes operationem in aquis multis, ipsi viderunt mirabilia in profundo ; ascendunt ad coelos et descendunt usque ad abyssos, anima eorum in malis tabescebat. Turbati sunt et moti sunt sicut ebrius et omnis sapientia eorum devorata est. » In quo per me minus sapio, vestro caeterorumque consilio prudentium informari vel confirmari desidero. Nuper enim cum a domino nostro rege fuissem evocatus ad colloquium(b), quorumdam malevolorum(c) meorum suggestione obnixe me rogavit ut essem ei adjutor in celebrandis nuptiis quas facere disponebat, de Bertreda(d) dicta conjuge comitis Andegavensis(5). Ad quod cum respondissem non ita oportere fieri, quoniam nondum esset causa diffinita inter eum et uxorem ejus, testatus est pleniter diffinitam esse apostolica auctoritate et vestra vestrorumque coepiscoporum laudatione. Quo audito, respondi me hoc(e) ignorare, nec hujusmodi nuptiis velle interesse, nisi vos earum essetis consecrator et auctor et coepiscopi vestri assertores et cooperatores, quoniam id competit juri Ecclesiae vestrae ex apostolica auctoritate et antiqua consuetudine(6).
Quoniam igitur confido de religione vestra nihil vos(f) de re tam periculosa et famae vestrae et honestati totius regni tam perniciosa(g) facturum dicturumve quod non auctoritate vel ratione nitatur, studiosissime et devotissime obsecro charitatem vestram ut mihi fluctuanti veritatem hujus rei quam scitis aperiatis et sanum consilium, licet arduum et asperum, super hoc praebeatis. Malo enim perpetuo officio et nomine episcopi carere quam pusillum gregem(7) Domini mei legis praevaricatione scandalizare. Sunt etiam latentes causae, quas interim tacere me convenit, propter quas hoc matrimonium laudare non possum(h). Valete.
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om.éd. Ju, CVI éd. L
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invitatus ad concilium JT
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inimicorum J
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Bertrada al.
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haec MJT
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nihil vos om. JT
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vos JT
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possim ML.
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Date de l'enlèvement de Bertrade par le roi. Il est impossible de reprendre ici la bibliographie concernant cette affaire. A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, roi de France (1060-1108), Paris, 1912. En dernier lieu, Fr. Menant, Les Capétiens, histoire et dictionnaire, Paris, 1999, p. 45-53. Le registre de Lambert évêque d'Arras,1093-1115, éd. citée, Absolutio Philippi I, A 65-72, p. 234-247, en particulier pour cette date (26 octobre 1092) la lettre de remontrance d'Urbain II à Renaud, ibid., A. 65. Le remariage de Philippe Ier avec Bertrade posa problème à Renaud, dévoué à la fois au roi et au comte d'Anjou Foulques le Réchin, mari de Bertrade. D'autre part le pape lui confia une mission de réconciliation à la place d'Hugues de Die, tandis que le roi le chargeait de le représenter au concile de Clermont, A. Fliche, op. cit., p. 47-60. P. Demouy, Genèse d'une cathédrale, Langres, 2005, p. 616.
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Renaud I
erde Montreuil-Bellay, 1083-1096. Il appartenait à une famille alliée au comte d'Anjou et occupant d'importantes dignités dans le diocèse de Tours. Après la déposition de Manassès, son épiscopat traduit une reprise en main de la province : tenue de synodes annuels, respect de la discipline ecclésiastique, lutte contre les exactions laïques. Urbain II lui conféra en 1089 le titre de primat de Belgique. P. Demouy,op. cit., p. 614-617. Onze lettres de lui sont éditées dansPL150, col. 1381-1384.
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D'après II Cor. 1, 5.
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Ps. 106, 23-24 et 26-27.
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Bertrade était la troisième femme de Foulques le Réchin, dont les premières femmes étaient toujours vivantes, elle ne pouvait donc être reconnue comme une épouse légitime. Quant au roi sa faute était triple : bigamie, puisque sa femme Berthe, fille du comte de Hollande, était vivante (elle mourut en 1094) ; adultère, puisqu'il s'emparait de la femme d'un autre ; inceste, puisque Bertade était sa parente.
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Sur ce point voir la lettre 189, où Yves s'efforce de prouver le contraire, exemples à l'appui.
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D'après Luc. 12, 32. Sur la peur du scandale, voir lettre 73 et
passim.
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a. Avranches, BM 243, 15v-16
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 9rv
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J. Jesus College, Q.G.5, 33v-34
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T. Troyes, BM 1924, 75v-76
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L. Lettres de saint Ives évêque de Chartres traduites et annotées par L. Merlet, Chartres, 1885,
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Ju. PL CLXII, col. 11-504, d'après Fr. Juret, Ivonis, Carnotensis episcopi, epistolae, 1585,
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À Renaud, vénérable archevêque des Rémois, Yves, humble évêque des Chartrains, déborder de consolation en son sein.
Je sais par expérience combien grand est le danger qu'encourent les prélats, selon ce qu'on lit dans le psaume 108 : « Ceux qui descendent la mer sur des navires, faisant des affaires parmi les grandes eaux, ceux-ci ont vu des merveilles dans les profondeurs ; ils montent aux cieux et descendent jusque dans les abysses, leur âme se consumait dans les maux. Ils ont été troublés et agités comme un homme ivre et toute leur sagesse a été avalée. » Comme j'ai peu de sagesse en moi sur ce point, je désire être informé ou confirmé avec votre conseil et celui d'autres hommes prudents. En effet, alors que j'avais été récemment invité par notre seigneur le roi à une entrevue, sur la suggestion de certaines personnes malveillantes à mon égard il me demanda avec insistance de l'assister dans la célébration des noces qu'il se disposait à faire avec Bertrade, ladite épouse du comte d'Anjou. Comme j'avais répondu à cela qu'il ne fallait pas agir ainsi, puisque le procès entre lui et son épouse n'avait pas encore été réglé, il attesta qu'il avait été tout à fait réglé par l'autorité apostolique et par votre approbation et celle de vos collègues évêques. Entendant cela, j'ai répondu que je l'ignorais et que je ne voulais pas participer à des noces de ce genre, à moins que vous n'en soyez le consécrateur et l'auteur et vos collègues évêques les assistants et coopérateurs, puisque ceci ressort du droit de votre Église selon l'autorité apostolique et l'antique coutume.
Puisque donc j'ai confiance que, conformément à votre piété, vous ne ferez ou ne direz, sur une affaire aussi périlleuse et aussi pernicieuse pour votre renommée et pour l'honorabilité de tout le royaume, rien qui ne se fonde sur l'autorité ou sur la raison, je supplie avec la plus grande ardeur et la plus grande dévotion votre charité de me dévoiler, à moi qui suis ballotté, la vérité sur cette affaire que vous connaissez et de me suggérer à ce sujet un conseil sain, même s'il est ardu et rude. Car je préfère être privé à jamais de mon office et du nom d'évêque que de scandaliser par une transgression de la loi le petit troupeau de mon Seigneur. Il y a aussi des raisons secrètes, qu'il me convient de taire pour le moment, pour lesquelles je ne peux approuver ce mariage. Adieu.