Description
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Yves, évêque de Chartres
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Gonhier, prêtre
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après 1090 - avant 1116
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n.c.
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Lettre
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Ivo, Dei gratia Carnotensis Ecclesiae minister, Gonherio(1)(a), bonae spei presbytero, ad ostium veritatis pulsare ut ei se ipsam Veritas dignetur aperire.
Quaerit fraternitas tua quomodo inter se conveniant prophetica sententia(2), quae dicit : « In quacumque hora peccator conversus ingemuerit salvus erit », et synodalis(3), quae crimina sua confitentes aliquamdiu a corporis et sanguinis Christi communione suspendit ; repugnare enim tibi videtur dissentire sententiam capitis et corporis(4), ut quos caput, id est Christus, celeriter a peccato liberat, eos corpus Christi, id est Ecclesia, sub poena peccati diu ligatos retineat. Quae quaestio facile solvitur si interni judicis animadversio et humanae fragilitatis consideratio diligentius attendatur. Cum enim criminalis culpa delinquentem separet a capite et a corpore, rationis ordo hoc exigit ut internus judex tanto remittat celerius quanto solus magis videt interius ; judex vero qui tantum videt in facie usque adeo delinquentes sub peccati poena detineat, donec per manifestum poenitentiae fructum qui sit poenitentis affectus intelligat. Per internum enim gemitum satisfit interno judici et idcirco(b) indilata datur ab eo peccati remissio cui manifesta est interna conversio. Ecclesia vero, quia occulta cordis ignorat, non solvit ligatum, licet suscitatum nisi de monumento elatum, id est publica satisfactione purgatum. Hinc est quod Ecclesia crimina sua confitentes a sacramentorum communione suspendit et in cinere et cilicio positos(5) ab introitu ecclesiarum statuto tempore excludit, ut per hoc experiatur si jam sunt intus vivificati, cum fuerint longa poenitentiae maceratione probati.
Si haec attendat fraternitas tua, videbis non dissentire propheticam et synodalem sententiam, cum illa deferat quod suum est capiti et ista concedat quod suum est corpori. In discretione tamen episcoporum est secundum affectum poenitentiae tempus adbreviare vel prolongare, dicente beato Augustino(6) : « In actione poenitentiae pro qua reus ab altari separandus est, non adeo consideranda est mensura temporis ut doloris », quatenus enim agnoscis, eatenus Deus ignoscit(7), juxta illud Psalmistae(8) : « Secundum multitudinem dolorum meorum in corde meo consolationes tuae laetificaverunt animam meam ». De proposita quaestione ista sufficiant(c). Vale.
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Gunherio M, G. AAu, Guillelmo T
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et idcirco] et ideo TAu
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satisfaciant éd.
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Voir lettre 140.
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D'après Ez. 33, 12.
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Il s'agit non d'une citation exacte mais d'une simple allusion à l'excommunication. Les canons synodaux sur ce sujet sont nombreux, Yves,
Décretlivre 14.
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Distinction paulinienne,
passim.
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In cilicio et cinere, Matth. 11, 21 ; Luc. 10, 13 ; antienne du mercredi des Cendres.
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Citation partielle d'Augustin,
Enchiridion, c. 65,CCSL46, p. 84. Yves,Décret15, 23 (Gratien, DP 1, 84).
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Jeu de mots
agnoscis/ignoscit.
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Ps. 113, 19.
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a. Avranches, BM 243, 118v-119
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 82v-83
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T. Troyes, BM 1924, 114rv
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Au. Auxerre, BM 69, 92v-93
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Yves, par la grâce de Dieu ministre de l'Église de Chartres, à Gonhier, prêtre de bonne espérance, frapper à la porte de la vérité pour que la Vérité juge bon de lui ouvrir en personne.
Ta fraternité demande comment se concilient entre elles la sentence du Prophète, qui dit : « À quelque heure que le pécheur repenti gémisse il sera sauvé », et la sentence synodale, qui suspend un certain temps de la communion au corps et au sang du Christ les pécheurs qui confessent leurs crimes ; car il te paraît contradictoire que s'opposent les sentences de la tête et du corps, si bien que ceux que la tête, c'est-à-dire le Christ, libère rapidement du péché, le corps du Christ, c'est-à-dire l'Église, les retient longtemps liés sous le châtiment du péché. Cette question se résout facilement si on porte une plus grande attention à la prescription du juge des pensées et à la considération de la fragilité humaine. Car tandis qu'une faute criminelle sépare le coupable de la tête et du corps, l'ordre de la raison exige que le juge des pensées remette la faute d'autant plus rapidement qu'il voit mieux dans les pensées ; mais que le juge qui voit seulement en apparence retienne les coupables sous le châtiment de la faute jusqu'à ce qu'il comprenne par le fruit manifeste de la pénitence quel est le sentiment du pénitent. En effet par le gémissement intérieur on satisfait le juge des pensées, et c'est pourquoi celui pour qui la conversion intérieure est évidente accorde sans délai la rémission des péchés. Mais l'Église, parce qu'elle ignore les secrets du cœur, ne délie pas celui qui est lié, même ressuscité, sans qu'il soit sorti du tombeau, c'est-à-dire sans qu'il soit purgé par une pénitence publique. C'est la raison pour laquelle l'Église suspend de la communion des sacrements ceux qui confessent leurs crimes et, placés sous la cendre et le cilice, les exclut pour un temps donné de l'entrée des églises, pour que par ce fait, quand ils auront été éprouvés par la longue macération de la pénitence, elle s'assure qu'ils sont désormais vivifiés à l'intérieur.
Si ta fraternité fait ces remarques, tu verras qu'il n'y a pas de contradiction entre la sentence du Prophète et celle des synodes, puisque l'une rapporte à la tête ce qui est sien et l'autre concède au corps ce qui est sien. Cependant il dépend de la discrétion des évêques d'abréger ou d'allonger le temps de la pénitence selon la disposition de chacun, comme le dit le bienheureux Augustin : « Dans l'acte de la pénitence pour laquelle l'accusé doit être séparé de l'autel, il ne faut pas tant considérer la mesure du temps que celle de la douleur », car autant tu admets, autant Dieu remet, selon le mot du Psalmiste : « Selon la multitude de mes douleurs dans mon cœur, tes consolations ont réjoui mon âme. » Que ceci suffise sur la présente question. Adieu.