Description
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Yves, évêque de Chartres
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Geoffroy, (ancien) abbé de Saint-Lomer de Blois
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après 1090 - avant 1116
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n.c.
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Lettre
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Ivo, Dei gratia humilis Ecclesiae Carnotensis minister, Gaufrido(1), dilecto sibi in Christo fratri, de Sion Hierusalem contemplari(2).
Nosti, charissime, de te ipso, et melius me nosti, cum quanta spei fiducia et cum quanta laude hominum, calcato mundi flore(3), solitariam vitam elegeris, quomodo, post servatam aliquamdiu laudabiliter solitariam conversationem, ad regendum monasterium vocatus fueris. Nosti quia tumultus populares, sine quibus nec modica rei familiaris dispensatio administrari potest, prae amore internae quietis ferre non potuisti et idcirco ad intermissam quietem modis omnibus revolare studuisti ; in loco tuo abbatem, quem congregatio tibi commissa voluit, tu ipse elegisti et, tanquam columba a molestiis avolans(a), elongasti ut in solitudine maneres et eum exspectare qui salvum te faceret a pusillo animo(4) et inquieto decrevisti.
Nunc vero, ut aiunt quidam, contra propositum tuum, monachos rumigerulos de loco ad locum discursantes, abbati suo detrahentes et bilingues intra cellulam tuam libenter suscipis, murmurationibus eorum aurem delectabiliter aperis et non tantum magnam partem diei, sed etiam noctis, non tantum in(b) superfluis(5), sed etiam noxiis collocutionibus expendis ; et secretum locum tuum publicum facis, cum indebita curiositate silentium monachorum in verba adulatoria et detractoria nescio qua vanitate lenocinante interrumpi permittis. Dicitur etiam quod milites illos qui beneficia monasterii habent(6), tanquam eos tibi reservans, hominium facere abbati non permittis. Dicuntur multa in hunc modum, quae omnia summo studio praecavere debet tua religio, ut aut omnino non sint, aut probabiliter fingi non possint. Quae scripsi tibi, Deus novit, ideo scripsi quia, etsi non omnia ita sunt ut dicuntur, sed ab aemulis fortasse conficta sunt, tamen scio quod aliquando plus prosunt inimici detrahentes quam amici adulantes(7), et illud Salomonis(8) « quia meliora sunt vulnera diligentis quam fraudulenta oscula blandientis ». Multa possem in hunc modum scribere prudentiae tuae, sed sapienti ista sufficiunt. Vale.
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evolans éd.
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insuffluis A,om. éd.
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Ancien abbé de Saint-Lomer de Blois, voir lettres 164 et 240.
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D'après Jérôme, Sion=
specula, Jérusalem=visio pacis,Liber interpretationis Hebraicorum nominum, éd. P. de Lagarde,CCSL72, 1959, p. 108 et 146.
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Métaphore courante chez les Pères.
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Col. 3, 21.
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Voir lettre 240. Sur la méfiance à l'égard des anachorètes qui échappaient à la surveillance des prélats ou des abbés, voir lettre 192. On remarque le nombre de « on dit » qui courent sur Geoffroy, de même que sur Robert d'Arbrissel (lettre de Marbode citée lettre 192 et lettre 79 de Geoffroy de Vendôme).
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Voir lettres 168, 241.
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Même idée lettre 164.
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Prov. 27, 6.
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a. Avranches, BM 243, 109v-110
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 76v-77
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T. Troyes, BM 1924, 11v-12
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Yves, par la grâce de Dieu humble ministre de l'Église de Chartres, à Geoffroy, son cher frère dans le Christ, de Sion contempler Jérusalem.
Tu sais, très cher, de toi-même, et tu sais mieux que moi, avec quelle confiance en l'espérance et avec quelle louange des hommes, une fois la fleur du monde foulée aux pieds, tu as choisi la vie de solitaire, tu sais comment, après avoir conservé honorablement un mode de vie solitaire pendant quelque temps, tu as été rappelé pour diriger un monastère. Tu sais que les tumultes populaires, sans lesquels ne peut être administrée même la modeste organisation d'une affaire de famille, tu n'as pu les supporter à cause de ton amour de la tranquillité intérieure et que pour cette raison tu t'es appliqué par tous les moyens à voler à nouveau vers la tranquillité perdue ; tu as toi-même choisi à ta place un abbé qu'a bien voulu la congrégation qui t'était confiée et, comme une colombe s'envolant loin des désagréments, tu t'es éloigné pour demeurer dans la solitude et tu as décidé d'attendre celui qui te sauverait d'un esprit faible et inquiet.
Mais maintenant, à ce que disent certains, tu reçois librement à l'intérieur de ta cellule, contre ton engagement, des moines bavards traînant de lieu en lieu, dénigrant leur abbé et à la langue double, tu ouvres avec plaisir ton oreille à leurs murmures et tu dépenses non seulement une grande partie du jour, mais aussi de la nuit, en propos non seulement futiles, mais aussi préjudiciables ; et tu fais de ton lieu secret un lieu public, quand tu permets à une curiosité indue que le silence des moines soit rompu par des mots flatteurs ou détracteurs que je ne sais quelle vanité te rend attrayants. On dit même que tu ne permets pas que ces chevaliers qui tiennent des bénéfices du monastère fassent hommage à l'abbé, comme si tu te les réservais. On dit beaucoup de choses de ce genre, dont ta religion doit toutes se garder avec le plus grand zèle pour qu'elles cessent totalement d'exister ou ne puissent être imaginées avec vraisemblance. Ce que je t'ai écrit, Dieu le sait, je te l'ai écrit parce que, même si tout n'est pas tel qu'on le dit mais a peut-être été imaginé par des envieux, je sais cependant que parfois sont plus utiles les ennemis qui dénoncent que les amis qui flattent et selon le mot de Salomon « que sont meilleures les blessures de l'ami que les baisers trompeurs du flatteur ». Je pourrais écrire à ta prudence beaucoup de choses sur ce sujet, mais au sage ces mots suffisent. Adieu.