Description
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Yves, évêque de Chartres
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Manegold, prévôt des Augustins de Marbach
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après 1094 - avant 1095
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[1094-1095]
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Lettre
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Ivo, Carnotensis Ecclesiae non satis aptus minister, fratri Manegaldo(1), sic crucem Christi portare ut ejus remigio mare hujus mundi valeat transfretare.
Quoniam post multos circuitus levem Christi sarcinam(2) subire et contempto mundi flore in domo Dei abjecte vivere elegisti(3), sciens quia melius est modicum justo, super divitias peccatorum multas(4), divinae bonitati, quae humilibus dat gratiam(5), grates exsolvimus et, ut de commisso tibi talento, tanquam fidelis nummularius, creditori(a) tuo multiplicem referas usuram(6), eamdem divinam(b) bonitatem intensius obsecramus. Sic enim rationis ordo poscebat ut qui verbo ad viam vitae plurimos informaveras(7), aliquos aliquando conformares et confirmares exemplo ; et qui de semine patris Jacob tanquam Zelpha(8) inveterata et ancillari consuetudine philosophandi filios pepereras, jam de ejusdem patris semine tanquam speciosa Rachel ex intimae visionis libertate spiritualem sobolem multiplicare non desistas(9). Ita(c) dicens, Minervam quidem non doceo(10)(d), a qua magis doceri indigeo, sed fraternis profectibus congaudens, bonis principiis meliores exitus apponi desidero(11).
Simul obsecro ut pusillanimitatem meam in alto remigantem et pene aliquando(e) naufragantem de portu tranquillitatis tuae orationibus juves, salutaribus monitis aliquando consoleris. Notum enim credo esse prudentiae tuae mihi pro Rachel servienti Liam nocte esse suppositam(12), quam quidem invitus suscepi, et invitus tolero, utpote(f) parum videntem, parum parientem, sed multum exasperantem. Quarum molestiarum taedio frequenter affectus, retrospecta quietis amissae pulchritudine graviter ingemisco(13), et datis mihi columbae pennis avolare(14) et iterum vacare desidero. In qua perturbatione solum mihi refugium(g) est orare et eum exspectare qui salvum me faciat a pusillanimitate spiritus et tempestate(15). A cujus voluntate si dissentire non timerem, tanto oneri impar, eidem oneri libenter humerum subtraherem.
Cum ergo a te ad partes nostras transierint vel redierint aliqui, fac ut videam interiorem hominem(16) tuum in litteris tuis, sicut ex parte vidisti meum in meis. De caetero commendo fratrem istum portitorem praesentium fraternitati tuae, ut familiarem eum habeas et in lectionibus tuis ei benigne respondeas. Quantum enim de homine aestimare possumus, aedificari quaerit, non inflari(17). Vale.
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conditori JT
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om. JT
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ista A
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non om. JT
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om. JT
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ut JT
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refrigerium JT.
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Né vers 1030/40, chanoine à Lautenbach, il prit le parti de Grégoire VII contre Henri IV, ce qui lui valut la haine tenace de ce dernier. Il enseigna en France et en Allemagne. En 1085, il s'installa à l'abbaye de Rotenbuch puis devint prévôt des Augustins de Marbach, en Alsace, de 1094 à sa mort le 24 mai 1103. Il a laissé de nombreuses œuvres, dont le
Liber contra Wolfelmum, éd. W. Hartmann,MGH, 1972. U. Schmidt,BBKL, 5, 659-661.
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D'après Matth.11, 30,
onus meum leve est.
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D'après Ps. 83, 11.
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Ps. 36, 16.
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I Petr. 5, 4.
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D'après Matth. 25, 15-30.
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Manegold était célèbre pour son enseignement. Jeu de mots
informare/confirmare/conformare.
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Gen. 30, 9-12
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On voit ici l'échelle des valeurs spirituelles pour Yves, qui dit préférer le cloître à l'enseignement et à la spéculation intellectuelle. Sur Rachel, note
infra.
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Docere Minervam, expression proverbiale, d'après Cicéron,AcademicaI, 5. Boèce,In topicas Ciceronis commentario,PL64, c. 1041. Même expression, Yves, lettre 279. Geoffroy de Vendôme, lettre 149, éd. citée.
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Lieu commun formulé avec diverses variantes à partir du
Beatus qui perseveraverit usque in finemde l'Évangile, Matth. 10, 22 et 24, Marc. 13, 13. Yves use souvent de cetoposcomme de nombreux auteurs, par exemple Augustin,Cité de Dieu, 17, 20. Alger de Liège, 3, 41. Fulbert de Chartres, lettre 128. Geoffroy de Vendôme, lettres 14, 27 etc.
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Voir lettres 4, 17, 25.
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Mêmes regrets dans la lettre 33.
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Ps. 54, 7. Métaphore semblable dans la lettre 37.
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Ps. 54, 9.
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Rom. 7, 22 ; Eph. 3, 16.
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D'après I Cor. 8, 1.
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a. Avranches, BM 243, 28rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 17v-18
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J. Jesus College, Q.G.5, 31v
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 9
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T. Troyes, BM 1924, 72v-73
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Au. Auxerre, BM 69, 12rv
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Yves, ministre trop peu compétent de l'Église de Chartres, à son frère Manegold, porter la croix du Christ de manière à pouvoir, en s'en servant de rame, traverser la mer de ce monde.
Puisqu'après de longs détours tu as choisi de supporter le léger fardeau du Christ et, méprisant la fleur de ce monde, de vivre humblement dans la maison de Dieu, sachant que mieux vaut un peu pour le juste que les nombreuses richesses des pécheurs, nous rendons grâces à la bonté divine qui donne sa grâce aux humbles et nous supplions instamment cette même bonté divine qu'avec le talent qui t'a été confié tu rendes à ton créditeur, comme un fidèle banquier, un intérêt multiplié. Car l'ordre de la raison réclamait que toi, qui par la parole en avais formé beaucoup sur la voie de la vie, tu en confortes et en confirmes un jour quelques-uns par l'exemple ; et toi qui, de la fréquentation invétérée et servile de la philosophie, avais enfanté des fils, comme Zelpha de la semence de Jacob leur père, maintenant, de la semence de ce même père, comme la belle Rachel, ne manque pas de faire fructifier une lignée spirituelle selon la liberté de la vision intérieure. En parlant ainsi j'enseigne assurément Minerve, par qui j'ai plutôt besoin d'être enseigné, mais en me réjouissant des progrès des frères je désire qu'à de bons commencements s'ajoutent de meilleures fins.
En même temps je te prie d'aider par tes prières, depuis le port de ta tranquillité, ma pusallinimité qui rame en haute mer et qui est parfois prête à faire naufrage et de la consoler parfois de tes enseignements salutaires. Car je crois qu'il est connu de ta prudence que, tandis que j'étais serviteur pour obtenir Rachel, lui a été substituée pendant la nuit Lia, que j'ai reçue malgré moi et supporte malgré moi, elle qui voit peu, enfante peu et exaspère beaucoup. Pris fréquemment de dégoût devant ces ennuis, regardant en arrière la beauté de la quiétude perdue, je gémis violemment et désire qu'on me donne les ailes de la colombe pour m'envoler et pour être tranquille à nouveau. Dans ce trouble, mon seul refuge est de prier et d'attendre celui qui me sauvera de la pusillanimité et de la tempête de l'esprit. Si je ne craignais pas de m'écarter de sa volonté, incapable de porter un tel fardeau, je soustrairais volontiers mes épaules à ce même fardeau.
Donc lorsque des gens viendront de chez toi vers nos contrées ou en reviendront, fais que je voie ton homme intérieur dans une lettre de toi, comme de mon côté tu as vu le mien dans ma lettre. En outre je recommande à ta fraternité ce frère porteur de la présente pour que tu le traites comme un familier et lui répondes avec bienveillance dans tes leçons. Car autant que nous pouvons juger de cet homme, il cherche à s'édifier, non à s'enfler. Adieu.