Description
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Yves, évêque de Chartres
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Roger
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après 1090 - avant 1116
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n.c.
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Lettre
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Ivo, humilis Carnotensium episcopus, Rogerio, confratri et compresbytero(1), salutem(a).
Quoniam sub disciplina et timore Domini a pueritia tua nutritus es et eruditus, et in excessibus regularis vitae tam verborum quam verberum(2) severitate correctus, non tantum ad presbyterii dignitatem promotus es, sed etiam nomen tuum in tantam enituit claritatem ut opinio tua non tantum inter eruditos, sed etiam celebris fieret inter Dei servos. Unde quidam quaerentes bonas margaritas(3), postpositis aliis multis aeque vel plus nitentibus, te tanquam singulariter pretiosam margaritam sua existimatione repererunt et, tanquam lucernam ardentem et lucentem(4), ut in domo Dei luceres te super candelabrum posuerunt(5).
Quis ergo te fascinavit(6) ? Quis oculos tui cordis excaecavit(7) ut flagitium hoc quod tibi imponitur non tantum non perpetrares, sed ne saltem de te probabiliter confingi posset modis omnibus praecaveres ? Putabam concupiscentiae carnalis ardorem(b) flumine lacrymarum tuarum medullitus in te(c) refrigeratum et, si quid ignis ille urens aliquando reliquerat in conscientia tua cauteriatum, putabam frequenti sacrae Scripturae meditatione, tanquam temperativi malagmatis superpositione malaxatum, et coelitus infusa sancti Spiritus unctione curatum. Putabam quod angelus primogenita Aegyptiorum percutiens, domum tuam in utroque poste signatam inter Hebraeos pertransisset, et primogenita tua intacta reliquisset(8). Nunc vero publicus rumor est te esse reversum ad Aegyptum et hoc primogenitum, quod est castitas, malleo universae terrae miserrime in te esse contritum. Hic oculis meis pene quotidianus fletus(d) occurrit, hic jam mihi a tergo revertitur, hic a dextera et laeva(9) frequenter auribus meis quasi novus infertur. Hoc devotarum muliercularum submurmurat et circumfert curiosa loquacitas, hoc eremitarum contristat habitacula, hoc monasteriorum quasi commiserando mirantur conventus, hoc quasi argumentum ad defensionem abusionum suarum subsannando sibi absciscunt quidam ecclesiarum coetus. Hoc audiens et ideo alte ingemiscens, amplius sustinere non valui, quin dolorem tibi mei cordis effunderem et de mea tristitia te salubriter contristarem(e).
Suadeo igitur tibi, seu vera, seu verisimilia sint quae dicuntur, ut de candelabro cui superpositus es(10), inventa honesta occasione descendas, ne amodo fumum magis quam splendorem(11) circumstantibus effundas. Si(f) enim vera sunt, apud auditores tuos reprobus est sermo tuus et qui flagitiorum tuorum sarcina premeris aliena non corriges ; si autem tantum verisimilia sunt, nec sic tamen proficies, quia famam tuam neglexisti quam propter utilitatem proximorum tuorum immaculatam conservare debuisti. Quod si honore gaudens et tua quaerens(12) praeesse magis desideras quam prodesse(13), conventus ille pauperum fratrum tibi commissus, non tantum per manum tuam ultra non multiplicabitur, sed etiam quotidianis defectibus ad nihilum redigetur(14). Quod si hoc consilium meum ad praesens videtur tibi importabile, obtestor te, per tribunal aeterni Judicis ante quod stabis(15), ut saltem nunc utili rubore suffusus amodo(g) suspectarum personarum colloquia fugias, familiaritatem perhorrescas, ne illud propheticum jure objiciatur tibi(16) : « Facies meretricis facta est tibi, noluisti erubescere », in futuro autem sublatus a facie judicantis, tradaris ministro puniendus sine respectu miserantis. Non(h) ut confundam te haec scribo, sed ut filium charissimum moneo(17), ut saluti tuae provideas et pravo exemplo mores simplicium non corrumpas. Vale.
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Ivo. Quoniam...J
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aestum V
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in te om. V
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usus quotidiano J
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Hoc...suffusus om. J
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si enim vera...suffusus om. J
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vel saltem amodo J, confusus amodo V
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Non...corrumpas om. J.
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Étant donné l'adresse et la fin de la lettre, il s'agit plutôt d'un chanoine que d'un abbé bénédictin. Il y a en effet la même titulature lettre 128 pour Eudes, élu à la tête de l'abbaye de Saint-Quentin. La proposition d'identification de J. Leclercq, Roger de Sa, élu abbé du monastère de Saint-Évroult, me paraît hasardeuse.
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Jeu de mot fréquent, d'après Grégoire le Grand,
Homelia in evangelium, 30, 8,CCSL141, p. 265 (PL76, col. 1125) :Ecce gaudet Petrus in verberibus qui ante in verbis timebat. Geoffroy de Vendôme en use plusieurs fois, éd. citée, lettres 68, 111, 113.
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Matth. 13, 45
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Joh. 5, 35.
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Matth. 5, 15, Marc. 4, 21, Luc. 8, 16 et 11, 33.
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Gal. 3, 1.
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Joh. 12, 40.
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Ex. ch. 12.
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D'après I Mac. 9, 16 ; Is. 54, 3.
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Matth.5, 15, voir note supra.
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D'après Is. 4, 5,
et fumum et splendorem ignis.
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I Cor. 13, 5.
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Voir lettre 25.
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Ps. 72, 22.
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Rom. 14, 10.
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Jer. 3, 3.
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I Cor. 4, 14.
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a. Avranches, BM 243, 23-24
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 14v-15
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J. Jesus College, Q.G.5, 1v
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 7v-8
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T. Troyes, BM 1924, 77v-78
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Au. Auxerre, BM 69, 8v-9v
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Yves, humble évêque des Chartrains, à Roger, confrère et collègue dans la prêtrise, salut.
Puisque tu as été nourri et éduqué dès ton enfance sous la discipline et la crainte du Seigneur et corrigé dans les écarts de la vie régulière par la sévérité tant des mots que des maux des verges, non seulement tu as été promu à la dignité de prêtre, mais ton nom a même brillé d'une telle clarté que ta réputation est devenue célèbre non seulement parmi les lettrés mais même parmi les serviteurs de Dieu. Aussi certains, qui recherchaient des perles fines, tout en en négligeant beaucoup d'autres qui brillaient autant ou davantage, t'ont reconnu par leur jugement comme une perle singulièrement précieuse et, tel une lampe ardente et brillante, t'ont placé sur un candélabre pour que tu brilles dans la maison de Dieu.
Qui donc t'a fasciné ? Qui a aveuglé les yeux de ton cœur, pour que non seulement tu ne te gardes pas d'accomplir ce forfait qui t'est reproché mais encore que tu ne veilles pas par tous les moyens à ce qu'on ne puisse pas au moins l'imaginer avec vraisemblance à ton sujet ? Je pensais que l'ardeur de la concupiscence de la chair s'était refroidie en toi jusque dans la moelle par le fleuve de tes larmes ; et si jamais ce feu brûlant avait laissé quelque cicatrice dans ta conscience, je pensais que par la méditation fréquente de l'Écriture sacrée, comme par l'application d'un emplâtre émollient, elle avait été amollie et guérie par l'onction du saint Esprit répandue du ciel. Je pensais que l'ange qui frappait les premiers-nés des Égyptiens aurait dépassé ta maison marquée sur les deux montants parmi celles des Hébreux et aurait laissés intacts tes premiers-nés. Mais maintenant, selon la rumeur publique, tu es retourné vers l'Égypte et ce premier-né qui est la chasteté a été broyé en toi très misérablement sous le marteau de la terre entière. Cette rumeur presque quotidienne fait venir des larmes à mes yeux, elle me revient déjà par derrière, elle est portée fréquemment à mes oreilles de droite et de gauche comme si elle était nouvelle ; c'est ce que le bavardage curieux des bonnes femmes dévotes murmure et colporte, ce qui attriste les retraites des ermites, ce qui étonne les communautés des monastères tout en excitant leur pitié, ce que découvrent en se moquant certaines assemblées ecclésiastiques, s'en servant d'argument pour défendre leurs abus ; c'est ce que je n'ai pas pu, quand je l'ai appris et m'en suis profondément affligé, supporter davantage sans répandre devant toi la douleur de mon cœur et pour ton salut t'attrister de ma tristesse.
Je te conseille donc, que ce que l'on dit soit vrai ou vraisemblable, de descendre, en trouvant un prétexte honorable, du candélabre sur lequel tu as été placé, de peur de répandre à présent sur ceux qui t'entourent plus de fumée que de lumière. Car si ces faits sont vrais, ta parole est réprouvée devant tes auditeurs et toi, accablé par le fardeau de tes fautes, tu ne corrigeras pas celles d'autrui ; et s'ils sont seulement vraisemblables, tu ne seras toutefois pas efficace, parce que tu as négligé ta renommée, que tu devais conserver sans tache pour l'utilité de tes proches. Si, te réjouissant de l'honneur et recherchant ton intérêt, tu désires commander plutôt que servir, ce couvent de pauvres frères qui t'a été confié non seulement ne se multipliera pas à l'avenir par ta main, mais sera même réduit à rien par des défaillances quotidiennes. Et si ce conseil que je donne te semble en ce moment insupportable, je te conjure, par le tribunal du juge éternel devant lequel tu te tiendras, de fuir au moins maintenant, empli d'une rougeur utile, les conversations de personnes suspectes, d'avoir en horreur leur familiarité, de peur qu'on ne te jette à bon droit ce mot du Prophète : « Ta face est devenue celle d'une courtisane, tu n'as pas voulu rougir » et qu'entraîné à l'avenir loin du visage du juge tu ne sois livré à l'exécuteur pour être puni, sans égard pour qui se lamente. Je ne t'écris pas ceci pour te confondre mais je t'avertis, comme un fils très cher, de veiller à ton salut et de ne pas corrompre par ton exemple dépravé les mœurs des gens simples. Adieu.