Livre des Assises de la Cour des Bourgeois
Livre des Assises de la Cour des bourgeois
Assise relative au mariage
Item hec est de eodem. …Et encores par les saintes coustumes est defendu con ne preigne por feme la feme quil a tenue au fons en sainte yglise a baptiser, ne que son fis ne preigne por moillier la fille de sa fille esperitau qui puis est nee quil la tint au fons, mais ce ses anfans furent avant nes quil la tenist au fons, bien ce pevent prendre, par dreit. Et par la sainte fei est desfendu que mariage ne soit entre Crestiene et Sarasin, por ce que bien deivent tous homes saver que par la sainte assise de Jerusalem ait la feme la mite de tous les biens que son baron gaaigne o luy despuis que il la prent: car ce est droit et raison par lasise, quia ex quo uiri et mulier fiunt una caro, merito quic quid uir acquirit uxore uiuente iure cedit uxoris medietatis.1
E.Kausler, Les Livres des Assises et des Usages dou Reaume de Jerusalem sive Leges et Instituta Regni Hierosolymitani (Stuttgart: Adolf Krabbe, 1839), 194.
De plus, sur le même sujet. …En outre, par les saintes coutumes, il est interdit de prendre pour épouse la femme que l'on a soi-même portée sur les fonts baptismaux, ni ne peut le fils épouser la fille de sa filleule qui est née après que la mère a été baptisée, mais si ces enfants sont nés avant qu'elle ait été baptisée, ils peuvent se marier, selon le droit. Et selon la sainte foi, il est interdit qu'une chrétienne épouse un Sarrasin, parce que tout le monde doit savoir que, selon les saintes assises de Jérusalem, une femme a droit à la moitié de tous les biens que son mari gagne avec elle après qu'ils se sont mariés, car c'est droit et raison selon les assises, car comme un homme et une femme sont d'une seule chair, tout ce qu'un homme acquiert du vivant de sa femme, la moitié tombe dans la possession de sa femme légalement.
A. Bishop
Cette assise interdit le mariage entre personnes "apparentées" par le baptême (parrains, filleuls, parents du parrain, parents du filleul), conformément à un interdit classique du droit canonique. Elle prohibe également le mariage entre chrétiens et musulmans. Des lois similaires existaient dans d'autres terres de coexistence entre chrétiens et musulmans, notamment en Espagne et en Sicile. A Jérusalem, une telle législation existait depuis 1120 et la promulgation des canons du concile de Naplouse.
Les assises laïques de Jérusalem précisent qu'elles n'ont pas juridiction sur le mariage ni sur les conflits entre le mari et son épouse, qui sont du ressort des cours ecclésiastiques (chap. 178). Les assises sont en revanche compétentes concernant les effets patrimoniaux du mariage, dont la dot, les cadeaux, les acquêts, et les questions d'héritage (voir notamment les chap. 156-197). J. Prawer a remarqué que beaucoup des lois de Jérusalem étaient empruntées au Lo Codi, code provençal du XIIe siècle. Cependant, l'interdiction de mariage entre personnes apparentés par le baptême ne provient pas duLo Codi mais du droit canonique et des coutumes du royaume ("les saintes coustumes"). De fait, un décret du pape Alexandre III au XIIe siècle inséré dans les Décrétales de Grégoire IX du XIIIe siècle, fixait que les enfants nés avant ou après le baptême étaient autorisés à se marier, mais pas avec celui qui les avait baptisés (ou qui avait baptisé leurs parents). Dans les assises des bourgeois, les enfants nés après le baptême ne pouvaient pas se marier, ce qui renvoyait à un canon antérieur avant que cette interdiction n'ait été modifiée par Alexandre III.1 2 Puisque ce canon avait été modifié presque un siècle avant que les assises des bourgeois n'aient été rédigées, il est "saisissant" de le voir répété ici.3 Bien que l'assise ne le dise pas explicitement, on peut supposer qu'elle visait le baptême des esclaves musulmans et plus précisément de ceux qui se faisaient baptiser à l'âge adulte alors qu'ils avaient déjà des enfants. Le baptême était une des voies menant à l'affranchissement car, dans le droit de l'Orient latin, un chrétien ne pouvait être esclave.4 La conversion permettait également de surmonter l’interdiction des mariages interconfessionnels entre chrétiens et musulmans. Selon M. Nader, cette assise réitèrerait une interdiction de mariage mixte déjà formulée au concile de Naplouse. Mais si les canons de Naplouse avaient certes interdit les relations sexuelles entre musulmans et chrétiens en général et entre les maîtres chrétiens et les esclaves musulmans en particulier, ils n'avaient rien dit des mariages mixtes en particulier (les canons de Naplouse traitent certes des mariages bigames entre chrétiens, mais pas des mariage entre musulmans et chrétiens). En toutes hypothèses, les mariages mixtes étaient traditionnellement prohibés par le droit canonique. Il faut souligner que les assises des bourgeois les interdisent pour une raison spécifique : un musulman ne pouvait pas hériter de la propriété d'un chrétien. Or une épouse avait droit à la moitié des possessions de son mari. Le fait que cette interdiction se trouve explicitement formulée ici signifie donc probablement qu'il y avait toujours des mariages mixtes au XIIIe siècle et qu'ils auraient été tolérés s'ils n'avaient pas entraîné des conflits de propriété et d'héritage.56 Le dernier passage de l'assise comporte une paraphrase de Matthieu 19, 4-6. Selon Prawer, cette partie du chapitre appartient plus probablement au chapitre 180.7 L'origine du passage est inconnue, et il ne semble pas qu'il provienne du droit romain, car l'idée que les acquêts soit partagés était une nouveauté dans le droit médiéval français.8
1 . Liber Extra, i.iv, tit. Ix, c. i.
2 . J.Prawer, Crusader Institutions (Oxford: Oxford University Press, 1980), 405, n. 40-41.
3 . J.Brundage, "Marriage law in the Latin Kingdom of Jerusalem", in Outremer: Studies in the History of the Crusading Kingdom of Jerusalem", ed. B.Kedar, H.Mayer, R.Smail (Jerusalem, 1982), 262.
4 . J.Prawer, 208-211.
5 . M.Nader, "Urban Muslims, Latin laws, and legal institutions in the Kingdom of Jerusalem", Medieval Encounters 13 (2007), 260.
6 . J.Brundage, 262-263.
7 . J.Prawer, 405, n. 42.
8 . J.Brundage, 264.
Capucine Nemo-Pekelman : traduction
Notice n°136600, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait136600/.