« yves-de-chartres-36 »


Général

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    Yves, évêque de Chartres

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    Pierre 2, évêque de Poitiers

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    après 1090 - avant 1116


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    n.c.

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    Lettre

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    Reverendo confratri Petro, Pictaviensi episcopo(1), Ivo, humilis Carnotensis Ecclesiae minister, sic bona plantare ut non studeat bona convellere(a)(2).

    Si fraternitatem vestram in jus vocare possemus(3), quantum salvo charitatis vinculo fieri posset, jure a vobis multas expostularemus injurias, partim communes, partim proprias. Proprias, quia clericum in dioecesi nostra Deo militantem(4) et, pro pulchritudine et dulcedine vitae contemplativae, fonti vitae(5) totis desideriis(b) inhiantem, ad publicum prodire, quietem suam interrumpere, nostra admonitione, nostra auctoritate compulistis. Quem cum vobis ad regimen(c) cujusdam regularis ecclesiae dioecesis vestrae, vestris(d) epistolis crebro compulsi concessissemus et canonice electum ab ipsa Ecclesia transmisissemus, non satis aptam a vobis passus est repulsam, qui praepostero ordine tunc de ejus praelatione disceptare coepistis(e), quando, jam facta a fratribus et collaudata a vobis ejus electione, in prioratus sui sede eum sublimare debuistis. In quo et illi fratri non modicam intulistis verecundiam, et amico vestro non minimam fecistis injuriam. Non enim erat tanta precum instantia ab amico postulandus, qui ad injuriam doni et donantis tam facile mutata sententia fuerat refutandus.

    Nec satis tuentur fraternitatem vestram litterae domni papae, quibus dictandis Alatri(f) interfuimus, quae confirmant abbati Sancti Cypriani jus illud praedictae Ecclesiae(6), quod se habere dicebat ex legitima concessione quorumdam monachorum qui, ut audivimus, quietam possessionem clericorum approbant(7), monachorum vero Sancti Cypriani intrusionem prorsus improbant. Ad hoc enim praedictus abbas modis omnibus nitebatur, ut praedictae Ecclesiae prioratus ei a domno papa concederetur. Quod domnus papa, nobis reclamantibus et libertatem clericorum pro posse nostro defendentibus, facere noluit, praecavens, sicut ipse dicebat, ne sub hac occasione praedictus abbas clericos moliretur excludere et monachos suos intrudere.

    Clericorum vero ordini publicam infertis injuriam, qui monachorum ordinem ad tam ruinosam superbiam erigitis, ut clericos eis subjugare studeatis, quorum tanta debet(g) esse excellentia, ut secundum beatum Augustinum(8) : « Vix etiam bonus monachus bonum clericum faciat. » Sed quia clericus ista dixit de clericis, audiamus monachum dicentem de monachis. Dicit enim Hieronymus(9) : « Monachus non docentis, sed dolentis habet officium. » Et alibi(10) : « Clerici oves pascunt ; ego pascor. » Et alibi(11) : « Si cupis esse quod diceris monachus, id est solus, quid facis in urbibus ? Quae utique non sunt solorum habitacula, sed multorum. Habet unumquodque propositum principes suos. Et ut ad nostra veniamus, episcopi et presbyteri habeant ad exemplum apostolos et apostolicos viros, quorum honorem possidentes habere nitantur et meritum. Nos autem habeamus propositi nostri principes Paulos, Antonios(h), Julianos, Hilarios, Macharios(i). » Et alibi(12) : « Mihi oppidum carcer et solitudo paradisus est. Quid desideramus urbium frequentiam, qui de singularitate censemur ? »

    Possemus in hunc modum multa colligere de privilegio clericorum et subjectione monachorum, nisi vitaremus prolixitatem(j) epistolae. Nec tamen ista dicendo monachorum religioni detrahimus, immo ut veri monachi sint, id est ut vere singularem sectentur vitam, tota mente desideramus. Laudamus quidem eos et beatos esse profitemur, si non transgrediantur terminos a patribus suis positos(13) ; et tunc magis esse beatos, cum subesse magis studuerint quam praeesse(14), cum humilitas et obedientia sit eorum summa provectio, ambitio vero et superbia lamentabilis et suprema(k) dejectio. Haec et his similia diligenter attendite et ordinem clericorum, in quo estis et cujus(l) estis et cui auctore(m) Deo praeestis, ad meliora provocando honorate et nulli alii ordini eum contra morem ecclesiasticum subjugari permittite. Valete.


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    evellere V 

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    vitae...desideriis om. J 

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    a regimine J, ad regnum T 

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    vestris...debuistis om. J 

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    recepistis V 

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    Alatri MJ, Alati T, alacri V, a latere éd.L  

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    decet J 

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    et Antonios V 

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    et Macharios V 

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    pluralitatem V 

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    et superba dejectio MJV, et superbia T 

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    cui MJT, et...estis om.éd.L

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    auctori V.


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    Élu en 1087, mort le 4 avril 1115 dans son château de Chauvigny où il avait été exilé après de graves démêlés avec Guillaume d'Aquitaine, Chronique de Saint-Maixent, éd. J. Verdon, Paris, 1979, p. 146, 182, 184. GC II, 1167-1170. Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, PL 179, col. 1384-1385.

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    D'après Matth. 13, 24.

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    Poitiers dépend de la province de Bordeaux ; sur les jugements étrangers voir lettre précédente.

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    II Tim. 2, 4.

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    Ps. 35, 10.

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    Hugues VI de Lusignan avait fait don à l'abbaye Saint-Cyprien de l'église Sainte-Croix d'Angles-sur-Anglin (cant. Saint-Savin, arr. Montmorillon, Vienne) entre 1087 et 1100, L. Rédet, Cartulaire de l'abbaye Saint-Cyprien de Poitiers, Archives historiques du Poitou, t. 3, 1874, n° 208, 135-136. La lettre d'Urbain II, datée d'Alatri, 2 novembre, sans année (mais la présence d'Yves permettrait de la dater de 1094), confirme à Renaud, abbé de Saint-Cyprien de Poitiers du 4 novembre 1073 au 23 mai 1100, ses droits sur l'église Sainte-Croix (lettre 88, PL 151, col. 368 ; Cartulaire de l'abbaye Saint-Cyprien de Poitiers, n° 12, p. 16-17.

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    Les chanoines réguliers de saint Augustin avaient remplacé les bénédictins à Angles vers 1094.

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    Augustin,ep. ad Aurelium, l. 60, CCSL 21A, p. 11. Yves, Décret 7, 7 ; Panormie, 3, 180 (Gratien, 16, 1, 35).

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    D'après Jérôme, Adversus Vigilantium, 15, CCSL 79C, p. 28. Monachus non doctoris habet, sed plangentis officium, Yves, Décret 7, 3 ; Panormie 3, 176, avec l'inscription ep. ad Riparium et Desiderium presbyteros (Gratien, 16, 1, 4). Même citation lettre 108, sans le jeu demotdocentis/dolentis.

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    Jérôme, ep. 14, ad Eliodorum, c. 8, éd. J. Labourt, t. 1, p. 41. Anselme de Lucques, 7, 116. Le texte n'est pas dans le Décret d'Yves (Gratien, 16, 1, 6).

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    Jérôme, ep. 58, ad Paulinum, c. 5, éd. J. Labourt, t. 3, p. 79. Yves, Décret 7, 2 ; Panormie 3, 175 (Gratien, 16, 1, 5).

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    Jérôme, ep. ad Rusticum, lettre 125, 8, éd. J. Labourt, t. 7, p. 121. Yves, Décret 7, 4 ; Panormie 3, 177 (non repris par Gratien).

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    Prov. 22, 28.

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    Regula sancti Benedicti, 64, 8.


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    a. Avranches, BM 243, 26v-27v


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    M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 16v-17


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    J. Jesus College, Q.G.5, 12v-13v


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    V. Vatican, Reg. Lat. 147, 5rv


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    T. Troyes, BM 1924, 48rv


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    Au. Auxerre, BM 69, 9v-10



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    À son révérend confrère Pierre, évêque de Poitiers, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, planter de bons plants de manière à ne pas avoir à en arracher de bons.

    Si nous pouvions convoquer en jugement votre fraternité, autant que cela pourrait se faire sauf le lien de la charité, nous vous demanderions raison à bon droit de nombreuses injustices, en partie communes, en partie privées. Privées, parce que vous avez forcé, au nom de notre admonition, au nom de notre autorité, un clerc qui militait pour Dieu dans notre diocèse et qui, pour la beauté et la douceur de la vie contemplative, soupirait de tous ses désirs après la source de vie, à paraître en public, à interrompre son repos. Comme, pressé continuellement par vos lettres, nous vous l'avons cédé pour qu'il gouverne une église régulière de votre diocèse et comme nous vous l'avons envoyé, élu canoniquement par cette même église, il a subi de votre part un refus qui n'était en rien convenable, vous qui vous êtes mis alors, en renversant l'ordre, à discuter de sa prélature quand vous deviez, son élection déjà faite par les frères et approuvée par vous, l'élever au siège de son prieuré. En agissant ainsi, et à ce frère vous avez infligé une honte non négligeable et à votre ami vous avez fait une injustice non moindre. Car il ne fallair pas demander à un ami avec des prières si insistantes quelqu'un qui, au préjudice du donné et du donneur, devait être refusé après que vous eûtes changé si facilement d'avis.

    Et votre fraternité n'est pas suffisamment protégée par la lettre du seigneur pape, auprès de qui nous étions à Alatri quand il l'a dictée, qui confirme à l'abbé de Saint-Cyprien ce droit de ladite église, qu'il disait avoir d'après une concession légitime de certains moines qui, à ce que nous avons appris, approuvent la possession paisible des clercs, mais désapprouvent tout à fait l'intrusion des moines de Saint-Cyprien. Car ce à quoi ledit abbé tendait par tous les moyens, c'était que le prieuré de ladite église lui soit concédé par le seigneur pape, ce que le seigneur pape, comme nous protestions et défendions de tout notre pouvoir la liberté des clercs, n'a pas voulu faire craignant, comme il le disait, que ledit abbé ne profite de cette occasion pour exclure les clercs et introduire ses moines.

    Quant à l'ordre des clercs, vous lui infligez une injure publique, vous qui élevez l'ordre des moines à un orgueil si désastreux que vous cherchez à leur soumettre les clercs, dont l'excellence doit être telle que, selon le bienheureux Augustin, « un bon moine a bien de la peine à faire un bon clerc ». Mais parce que c'est un clerc qui a dit ceci des clercs, écoutons ce qu'un moine dit des moines. En effet le bienheureux Jérôme dit : « Le moine a pour office non d'instruire mais de souffrir » ; et ailleurs : « Les clercs nourrissent les brebis, moi je suis nourri » ; et ailleurs : « Si tu désires être ce qu'on dit être un moine, c'est-à-dire seul, que fais-tu dans les villes ? Celles-ci sont les demeures non des solitaires mais des foules. Chaque genre de vie a ses chefs ; et pour en venir à notre sujet, que les évêques et les prêtres aient pour exemples les apôtres et les hommes apostoliques dont ils s'efforcent, puisqu'ils en possèdent l'honneur, d'en avoir aussi le mérite. Et nous, ayons pour chefs de notre genre de vie les Paul, les Antoine, les Julien, les Hilaire, les Macaire » ; et ailleurs : « Pour moi une cité est une prison et la solitude un paradis. Pourquoi désirons-nous la foule des villes, nous qui sommes estimés d'après notre isolement ? »

    Nous pourrions de la sorte rassembler beaucoup de textes sur le privilège des clercs et la soumission des moines, si nous ne voulions éviter la prolixité de la lettre. Cependant en parlant ainsi nous ne voulons rien enlever à la vie religieuse des moines, bien plus nous désirons de tout cœur qu'ils soient de vrais moines, c'est-à-dire qu'ils poursuivent vraiment la vie solitaire. Nous les louons assurément et reconnaissons qu'ils sont bienheureux s'ils ne transgressent pas les limites fixées par leurs pères et qu'ils sont encore plus bienheureux quand ils s'efforcent d'être davantage soumis que dominants, puisque l'humilité et l'obéissance sont leur plus grande promotion, mais que l'ambition et l'orgueil sont leur lamentable et suprême déchéance. Réfléchissez avec soin à ces choses et à d'autres semblables et l'ordre des clercs, dans lequel vous êtes, dont vous êtes et où vous exercez un pouvoir grâce à Dieu, honorez-le en le poussant à s'améliorer et ne permettez pas qu'il soit assujetti à aucun autre ordre contre la coutume ecclésiastique. Adieu.

Informations

Acte

admin ydc (IRHT), dans  Yves de Chartres

Lettres d'Yves de Chartres, éd. G. Giordanengo (agrégée de l'Université), éd. électronique TELMA (IRHT), Orléans, 2017 [en ligne], acte n. 20973 (yves-de-chartres-36), http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/yves-de-chartres/notice/20973 (mise à jour : 21/09/2017).