Général
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Yves, évêque de Chartres
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Goufier, abbé des Fossés
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après 1090 - avant 1116
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n.c.
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Lettre
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Ivo, Dei gratia humilis Carnotensium episcopus, Wulferio(1)(a), abbati Fossatensis monasterii, in sancto proposito viriliter stare(b).
Quoniam pro gratia tibi divinitus collata annonam(2) quam potes conservis tuis fideliter administras, licet ipsos conservos ingratos et de sua salute non satis sollicitos invenias, non tamen sub pondere et aestu diei fatigeris, ut peracto die a patrefamilias diurnum denarium percipere merearis(3). Audivi enim a fratre tuo Raimberto(c), monasterii vestri(d) monacho(4), quod exteriorum tribulationum crebra infestatione vexatus et propter indisciplinatam monasterii tibi commissi conversationem quodam taedio tabefactus, onus tibi impositum disponas deponere et in otium te conferre(5), magis eligens in imo salvari quam in summo periclitari(6). Et haec forsitan bona intentio est, sed summa et frequenti libratione(e) pensanda, ne angelus Satanae transfigurans se in angelum lucis(7) sub hoc pallio piae(f) intentionis te a rectitudinis tuae statu dejiciat et sic paulatim ad perpetranda aliqua inordinata latenter inducat. Nam si aliquibus ibi prodesse potes, non est sanum consilium ut fratres tibi ordinate commissos inordinate relinquas, sed omnem sollicitudinem tuam intus et foris illis impendens bonos verbo et exemplo ad meliora provoces, malos corrigendo toleres, omnes communiter ames. Sicut enim ait beatus papa Gregorius(8) : « Ibi aequanimiter portandi sunt mali ubi aliqui reperiuntur boni. »
Si autem apud te omnes ita sunt suae salutis inimici ut penitus sit inutilis labor tuus, consulo fraternitati tuae ut relicta terra maledicta ad terram benedictam te conferas, ubi et si non alterius, tuae saltem saluti provideas. Sic enim propinato sibi veneno beatus pater tuus fecit Benedictus, qui praeesse his noluit quibus prodesse non potuit(9). Quem si imitaris, monasticae professioni nullatenus adversaris. Haec pauca tibi pro multis scribere curavi, persuasione praedicti fratris tui, Raimberti(g) videlicet, ut in hoc consilii tui summam diligenter attendas, quatenus aut cum aliquo fructu onus tibi injunctum longanimiter feras, aut sine aliquo fructu tibi victurus deponas. Vale.
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Walterio éd.L, Gauterio A
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Ivo abbati N, in sancto...stare J
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Rainberto T, Ramberto Au, R quod exteriorum...J
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nostri A éd.L
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deliberatione J
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tuae V
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persuasione...Raimberti om. J, Ramberti Au.
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Saint-Maur-des-Fossés (arr. Créteil, Val-de-Marne). Goufier en fut abbé en 1086, après avoir été moine à Saint-Père de Chartres. Il mourut le 7 des kalendes de mars après 1096 (ou en 1112 selon les nécrologes). Son successeur fut Thibaud en 1107.
Gallia christiana7, 291.Cartulaire de Saint-Père, éd. B. Guérard,Collection des documents inédits de l'histoire de France, 1840. Voir aussi lettre 159.
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D'après
Regula sancti Benedicti, 34, 16.
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D'après Matth. 20, 1-16.
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Si l'on suit la variante
vestri, Saint-Maur. Si l'on choisitnostri, Saint-Père de Chartres (plutôt que Saint-Quentin, le terme demonacusne s'appliquant pas aux chanoines). Chercher Raimbert
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Mêmes expressions lettre 25.
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Suivant le précepte évangélique, Marc. 8, 36 ; Luc. 9, 25.
In loco humili, Ambroise,In Luc., 5, 6. Même expression lettres 51, 88, 176, 219.
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II Cor. 11, 14.
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Grégoire le Grand,
Dialogue II,Vie et miracles de saint Benoît, éd. A. de Vogüé et P. Antin,Sources chrétiennes, t. 260, Paris, 1979, c. 3, 10, p. 146 :existimo ibi adunati aequenimiter portandi sunt mali ubi inveniuntur aliqui qui adjuventur boni.
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Grégoire le Grand,
ibid., c. 3, p. 146.Praeesse, prodesse, voir lettre 25 etpassim.
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a. Avranches, BM 243, 21v-22
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 13rv
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J. Jesus College, Q.G.5, 1
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 7v
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T. Troyes, BM 1924, 61rv
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Au. Auxerre, BM 69, 8rv
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Yves, par la grâce de Dieu humble évêque des Chartrains, à Goufier, abbé du monastère des Fossés, persister courageusement dans son saint propos.
Puisqu'en raison de la grâce qui t'a été conférée par Dieu tu administres fidèlement la subsistance que tu peux à ceux qui servent avec toi, même si tu trouves ces serviteurs ingrats et trop peu soucieux de leur salut, ne te laisse cependant pas abattre sous le poids et la chaleur du jour pour mériter, le jour fini, de recevoir du père de famille le denier journalier. Car j'ai appris de ton frère Raimbert, moine de votre [notre] monastère, que, lassé des attaques fréquentes des tourments extérieurs et consumé d'une espèce de dégoût à cause de l'indiscipline régnant dans le monastère qui t'a été confié, tu te disposes à déposer le fardeau qui t'a été imposé et à te consacrer au loisir, choisissant plutôt d'être sauvé en bas que de courir des dangers au sommet. Et peut-être cette intention est-elle bonne, mais elle doit être évaluée par une pesée parfaite et répétée, de peur que l'ange des ténèbres, se transfigurant en ange de lumière, sous le manteau de cette pieuse intention ne te fasse tomber de ton état de rectitude et ne t'induise ainsi subrepticement à commettre des actions contraires à l'ordre. Car si tu peux ici être utile à quelques-uns, ce n'est pas une saine décision que d'abandonner sans ordre les frères qui t'ont été confiés dans l'ordre, mais, en leur accordant toute ta sollicitude à l'intérieur et à l'extérieur, incite les bons à s'améliorer par les paroles et par l'exemple, supporte les méchants en les corrigeant, aime-les tous dans la communion. En effet, comme le dit le bienheureux pape Grégoire, « il faut supporter les méchants d'une âme égale là où se trouvent quelques bons. »
Mais si autour de toi tous sont tellement ennemis de leur salut que ton labeur est tout à fait inutile, je conseille à ta fraternité d'abandonner cette terre maudite pour te tourner vers la terre bénite où tu veilleras au moins à ton salut, sinon à celui d'autrui. Car c'est ainsi qu'a agi ton bienheureux père Benoît, à qui le poison fut offert à boire, lui qui ne voulut pas être à la tête de ceux à qui il ne put être utile. Si tu l'imites, tu ne t'opposeras en rien à la profession monastique. J'ai pris soin de t'écrire ce peu de mots plutôt que beaucoup, persuadé par ton frère cité plus haut, à savoir Raimbert, pour que tu prêtes sur ce point soigneusement attention au résultat de ta décision, soit qu'avec quelque fruit tu supportes patiemment le fardeau qui t'a été imposé, soit que sans aucun fruit tu le déposes pour vivre pour toi. Adieu.