Général
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Yves, évêque de Chartres
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Adèle de Normandie, comtesse de Chartres
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après 1090 - avant 1116
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n.c.
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Lettre
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Ivo, Dei gratia Carnotensium humilis episcopus, Adelae, nobili comitissae(1), recta in Christo sapere(2).
Regius in excellentia vestra sanguis ex utraque linea descendens(3) nobilitatem generis in oculis omnium(a) manifeste commendat. Sed hanc apud religiosas mentes morum probitas et larga ad erogandum manus, quantum didici, vehementer exsuperat. Unde miror qua ratione consobrinam vestram Adalaidem(4)(b) sicut vos ipsam amare dicatis, cujus adulterinos cum Guillelmo(c) complexus vel defendere, vel protelare tanto studio laboratis, nec saluti vestrae vel illorum satis commode providetis, neque quantum periculum, vel quanta infamia mihi super hoc immineat aliquatenus praecavetis. Quomodo enim gladius spiritus(5) in ore meo positus ferire audebit longe positos simili contagione pollutos, qui tangere non audebit vel dissimulabit juxta se positos ? Nonne dicturi sunt mihi illud evangelicum(6) : « Eice primum trabem de oculo tuo, ut postea videas festucam in nostro ». Hanc porro me habere tolerantiam terribiliter Apostolus vetat, de hujusmodi scelerum patratoribus, dicens(7) : « Quoniam qui talia agunt, digni sunt morte, nec solum qui faciunt, sed etiam qui consentiunt facientibus ». Consentientes autem beatus Ambrosius dissimulantes vocat(8), vel defendentes. Qua de re obnixe peto ut non indignetur adversum me vestra sublimitas, quoniam testis mihi est ille, cui nuda est abyssus humanae conscientiae(9), me hoc non arripuisse causa malevolentiae meae vel alienae, sed solo rigore et amore justitiae, in tantum ut, si aliter fieri non possit, malim hominum incurrere malevolentiam quam legem Dei mei derelinquere. Quadam tamen conditione condescendam petitioni vestrae, si uterque juraverit quod ante finitam causam a carnali conjunctione se immunes custodiant. Alioquin satagendum est mihi ut mortuum jam quatriduanum longe lateque fetentem(10) crebra admonitione de inferno inferiori(11) valeam evocare. Valete.
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hominum MV
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Adalidem M
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Guillermo M, Vuilelmo al.
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Adèle de Normandie, comtesse de Chartres. Elle épousa en 1081 le comte de Blois et de Chartres Étienne-Henri, mort en 1102, voir lettre 86. Elle est nommée au 8 mars dans le
Nécrologede l'Église de Chartres, où l'on rappelle sa libéralité.Cartulaire de Notre-Dame de Chartres, t. 3, p. 58. Sur ses relations avec Yves, Kimberly A. LoPrete, « Adela of Blois and Ivo of Chartres : Piety, politics and the peace in the diocese of Chartres »,Anglo-norman studies, XIV, 1991, p. 131-152.
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Collecte du dimanche de Pentecôte,
da nobis in eodem Spiritu recta sapere.
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Adèle est la fille de Guillaume le Conquérant, roi d'Angleterre, et de Mathilde de Flandre, elle-même fille de Baudoin, comte de Flandre, et d'Adèle de France, fille du roi Robert le Pieux. Elle est aussi sœur du roi d'Angleterre Henri I
er.
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J. Leclercq, à la suite de dom Brial,
RHF15, p. 70, l'identifie comme Adélaïde de Champagne et son amant serait Guillaume de Breteuil ; pour L. Merlet il s'agit d'Adélaïde du Puiset ; l'une et l'autre sont cousines d'Adèle.
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Eph. 16, 17.
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Matth. 7, 5.
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Rom. 1, 32.L'idée que cacher une faute est aussi grave que la commettre est un lieu commun tant dans les sources patristiques, canoniques que dans la littérature ecclésiastique de l'époque. Voir aussi les lettrs 89, 94, 140.
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Ce n'est pas une citation précise mais on trouve la même idée dans Ps. Ambroise (
Ambrosiaster),In epistolam ad Corinthos primam, c. 5, verset 6,PL17, col. 209.
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Martin de Braga,
Op. 5,Exhortatio humilitatis, c. 5,PL72, col. 41.
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Allusion à la résurrection de Lazare, d'après Joh. 11, 39.
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Ps. 85, 13.
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a. Avranches, BM 243, 10v
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 5v
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 1rv
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T. Troyes, BM 1924, 60rv
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Yves, par la grâce de Dieu humble évêque des Chartrains, à Adèle, noble comtesse, avoir le goût de ce qui est droit dans le Christ.
Le sang royal qui descend de l'une et l'autre lignée en votre excellence recommande manifestement aux yeux de tous la noblesse de votre race. Mais celle-ci est pour des esprits religieux largement surpassée, à ce que j'ai entendu dire, par l'honnêteté de vos mœurs et la largesse des dons de votre main. Aussi me demandé-je avec étonnement pourquoi vous dites aimer comme vous-même votre cousine Adélaïde, dont vous vous efforcez avec tant de zèle ou de défendre ou de voiler les relations adultérines avec Guillaume, et pourquoi vous ne veillez suffisamment bien ni à votre salut ni au leur, et pourquoi vous ne vous souciez pas de quel danger ou de quelle infamie je suis menacé à ce sujet. Comment en effet le glaive de l'esprit posé en ma bouche osera-t-il frapper des gens vivant au loin souillés d'une telle contagion, lui qui n'osera toucher ou dissimulera les gens vivant près de lui. Ne me diront-ils pas cette parole évangélique : « Enlève d'abord la poutre de ton œil, pour voir ensuite le fétu dans le nôtre » ? En outre l'Apôtre m'interdit cette tolérance de manière effrayante, disant à propos de ceux qui commettent des crimes de ce genre « que ceux qui font de telles choses sont dignes de la mort, et non seulement ceux qui les commettent mais aussi ceux qui sont d'accord avec ceux qui les commettent. » Et le bienheureux Ambroise appelle ceux qui sont d'accord des dissimulateurs ou des défenseurs. C'est pourquoi je demande de toutes mes forces à votre sublimité de ne pas s'indigner contre moi, puisque celui pour qui est nu l'abîme de la conscience humaine m'est témoin que je n'ai pas attaqué ce fait en raison de ma malveillance ou de celle d'autrui, mais par la seule rigueur et par le seul amour de la justice, à tel point que, s'il ne pouvait se faire autrement, je préférerais encourir la malveillance des hommes qu'abandonner la loi de mon Dieu. Je condescendrai cependant à votre requête à une condition, que l'un et l'autre jurent de se garder exempts de liaison charnelle d'ici la fin du procès. Autrement je dois faire tous mes efforts pour être capable d'appeler du fond de l'enfer par de fréquentes admonitions ce mort de quatre jours qui déjà répand sa puanteur en tous sens.
Adieu.