Général
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Yves, évêque de Chartres
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Sancion, doyen d'Orléans
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circa 1096
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[1096]
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Lettre
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Ivo, Dei gratia Carnotensium episcopus, dilecto fratri et compresbytero S[anctioni](1)(a), recta sapere in Domino(2).
Noverit fraternitas tua litteras mihi esse directas a clericis Aurelianensibus, qui majores(3) in clero illo esse videntur, constanter te accusantibus super gravibus capitulis, simoniaca videlicet haeresi et invasione Aurelianensis ecclesiae aliisque criminalibus culpis quae, si verae sunt, canonica severitate sunt plectendae. Qui etiam talionis vinculo in eisdem litteris se astringunt, nisi legitimo numero testium vera haec esse probaverint, vel in praesentia nostra, vel eorum ad quorum sententiam tuum referendum est judicium(4).
Unde charitate, qua in Christi corpore unum sumus, fraternitatem tuam commoneo ut, si in his reprehensibilem conscientia tua te judicat, ab incoepta pravitate pedem retrahas, ne tua inaniter disperdas et te cum tuis miserabiliter perdas. Attende quia aetatem tuam jam usque in senium(5) divina misericordia pertraxit et, excessus tuos moderatis flagellis feriens, poenitentiae tibi tempora tibi indulsit. Noli ergo sub ipsum funus illam celsitudinem ambire, quam imbecillitas tua vel assequi non valeat, vel aliquando cadentem gravius elidat, quam etiam assequi non valuisti quando eras aetate viridior, ingenio acutior, viribus corporis longe robustior. Nonne tibi, charissime, satius erat in loco humili salvari quam in sublimi periclitari(6) ? Si in convivio Domini tui novissimum locum elegisses(7) et ab invitatore tuo tibi dictum esset : « Amice, ascende superius », tunc esset tibi laus et gloria coram simul discumbentibus. Nunc vero, sicut dicitur, contra ecclesiasticas sanctiones, data vel promissa pecunia immensa, adjuncta etiam saeculari potentia, ad fastigium curae pastoralis aspiras ; quantum videtur cum rubore novissimum possessurus locum(8), cum bona tua distraxeris et ecclesiam quam invadis thesauris suis et ornamentis spoliaveris. Credo enim quia nemo condiocesianorum tibi manum audebit imponere, nisi aut papa praeceperit, aut te immunem ab his criminibus legitima discussio demonstraverit. Nunc tibi usque ad undecimam horam otianti et oscitanti(9), in vinea Dei laborandum erat, ut saltem in vespera laborares et denarium diurnum cum his qui portaverunt pondus diei et aestus reciperes(10). Non haec ex aliqua amaritudine dico, sed ex summa dilectione. Vale.
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S. AT, om. M
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Doyen de l'église d'Orléans. Voir aussi lettres 53, 54, 61. En 1078 déjà, à cause de l'excommunication de Rainier, évêque d'Orléans depuis 1066, il avait été élu évêque d'Orléans, soutenu par le pape Grégoire VII. Mais Rainier conserva son poste. Élu à nouveau après la mort de l'évêque Jean I
eren septembre 1096 avec l'appui du roi, il fut soupçonné de simonie et on lui reprochait son grand âge. Le clergé, soutenu par l'archevêque de Tours, Raoul II, lui préféra ensuite l'archidiacre Jean, voir lettre 75. Cette affaire est résumée par A. Fliche,Philippe Ier, p. 433-435.GCVIII, 1441.
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Voir lettre 5.
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D'après la
major et sanior parsrequise pour assurer une élection canonique. Voir lettres 31, 89.
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Sur l'importance des preuves à l'appui des témoignages, voir entre autres Augustin,
Sermo351, 10 ; Sixte,Décrets, c. 7,Fausses décrétales, éd. Hinschius, p. 193. Yves,Décret5, 247 ;Panormie, 4, 114 (Gratien, 11, 3, 75).
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Ps. 70, 18.
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Voir lettre 26.
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Luc. 14, 10. Le
toposse retrouve très souvent chez Yves.
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Luc. 14, 9.
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Le jeu de mot est difficile à rendre.
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La fin de la lettre est inspirée de la parabole, Matth. 20, 1-16.
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a. Avranches, BM 243, 34
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 22
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T. Troyes, BM 1924, 84v-85
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Au. Auxerre, BM 69, 19rv
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Yves, par la grâce de Dieu évêque des Chartrains, à son cher frère et collègue dans la prêtrise Sancion, avoir le goût de ce qui est droit dans le Seigneur.
Sache ta fraternité qu'une lettre m'a été adressée par des clercs d'Orléans qui sont tenus pour être les plus importants dans ce clergé, dans laquelle ils t'accusent ouvertement sur de graves points, à savoir hérésie simoniaque, intrusion dans l'église d'Orléans et autres fautes criminelles qui, si elles sont vraies, doivent être châtiées par la sévérité canonique. Ils se soumettent même, dans cette lettre, au lien du talion s'ils ne prouvent pas avec un nombre légitime de témoins que ceci est vrai, soit en notre présence soit en la présence de ceux à la sentence de qui ton jugement doit être déféré.
C'est pourquoi, au nom de la charité par laquelle nous sommes un dans le corps du Christ, j'exhorte ta fraternité, si ta conscience te juge répréhensible en ces domaines, à retirer le pied de la voie de la dépravation, de peur que tu ne dissipes en vain tes biens et ne te perdes misérablement avec eux. Remarque que la miséricorde divine a déjà mené ta vie jusqu'à la vieillesse et, frappant tes excès de verges modérées, t'a ménagé des temps de pénitence. Ne va donc pas ambitionner, à l'approche des funérailles mêmes, une élévation que ta faiblesse ne puisse atteindre ou ne renverse en te faisant tomber un jour plus lourdement ; élévation que tu n'as même pas pu atteindre quand tu étais d'un âge plus vert, d'un esprit plus acéré, de forces corporelles beaucoup plus vigoureuses. Est-ce que pour toi, très cher, il n'était pas préférable d'être sauvé dans une humble place que d'être en danger dans les hauteurs ? Si dans le repas de ton Seigneur tu avais choisi la dernière place et qu'il t'ait été dit par ton hôte : « Ami, monte plus haut », alors il y aurait eu pour toi louange et gloire devant ceux qui étaient assis avec toi. Mais maintenant, dit-on, contre les prescriptions ecclésiastiques, grâce à une immense somme d'argent donnée ou promise, et même grâce à l'intervention du pouvoir séculier, tu aspires au fardeau de la charge pastorale ; comme il est évident que tu auras en rougissant le dernier rang, quand tu auras dissipé tes biens et dépouillé de ses trésors et ornements l'église dont tu t'empares ! Car je crois qu'aucun de tes codiocésains n'osera t'imposer la main, à moins que le pape ne le prescrive ou qu'une enquête légitime ne te prouve innocent de ces crimes. Toi qui avais paressé et baillé jusqu'à la onzième heure, il te fallait maintenant travailler dans la vigne de Dieu pour œuvrer au moins dans la soirée et recevoir le denier de la journée avec ceux qui ont supporté le poids et la chaleur du jour. Je dis cela non par quelque amertume mais par très grande affection. Adieu.