Général
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Yves, évêque de Chartres
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Robert [d'Arbrissel]
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après 1094 - avant 1095
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[1094-1095]
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Lettre
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Ivo, humilis Carnotensis Ecclesiae servus(a), Roberto(1), jam bonae spei(2) fratri, ascensiones in corde(3).
Quoniam, sicut quorumdam relatione didicimus, jam vilescit tibi mundus et omnis vana spes(4) ejus, credimus quia propitia divinitas inchoavit in pectore tuo templum suum(5) et locum sanctum habitationis suae(6) ; unde bonorum omnium largitori(7), a quo fit haec de vetustate in novitatem laudanda mutatio(8), grates exsolvimus et bonis principiis felicem provectum et bonum exitum conferri(9), ab eodem bonorum omnium largitore postulamus.
Tu igitur, charissime, adjuvante divina clementia, sollicite cave ne immundus spiritus ad te revertens domum quam reliquit intus vacantem et foris ornatam inveniat et secum septem alios nequam spiritus virtutum specie palliatos inducat sicque novissima tua pejora prioribus efficiat(10). Contra spirituales itaque nequitias pugnaturus(11), si securus vis pugnare, castris(b) Christi militum ordinate pugnantium te insere, ne si certamine singulari contra exercitatos inexercitatus pugnare contendis, innumera adversariorum tuorum multitudine comprimaris(12). Postquam vero, spiritu consilii et fortitudinis(13) armatus, calliditates antiqui hostis(14) evitare consueveris, jam exercitatior in spirituali certamine poteris solus, si ita contingat, contra quoslibet hostes certamen inire, quorum impetus didiceris sustinere in acie(15). Unde Dominus noster Jesus Christus discipulos nondum Spiritu sancto confirmatos et adhuc spiritualis certaminis expertes admonet dicens(16) : « Vos autem sedete in civitate quoadusque induamini virtute ex alto ».
Possem fraternitati tuae in hunc modum multa scribere, sed, quia tu per te sapis, hoc prae ceteris obsecro ut qui jam de tuis Deo in membris ejus(17) coepisti offerre sacrificium, principaliter ei de te offerre studeas holocaustum, ne, si aliter, quod absit, feceris, dicatur tibi : « Si recte offeras, recte autem non dividas, peccasti(18) », cum tua tribuas et teipsum tibi retineas(19). Vale.
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humilis... servus om. J
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castris... pugnare om. J.
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Cette lettre et la lettre 37 ont été éditées dans
Les deux vies de Robert d'Arbrissel, fondateur de Fontevraud, dir. J. Dalarun, Turnhout, 2006,Annexe, les lettres d'Yves de Chartres, p. 655-664, où sont rassemblés les arguments nous poussant à conclure qu'on ne pouvait identifier ce Robert à Robert d'Arbrissel, comme certains l'avaient suggéré.
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Sap. 12, 19.
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Ps. 83, 6.
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Eccli. 34, 1.
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D'après II Cor. 6, 16.
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D'après Ps. 25, 8.
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Sacramentarium Leonianum, éd. C.L. Feltoe, Cambridge, 1896, p. 87,donorum omnium Deus auctor et largitor.
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D'après II Cor. 4, 16.
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D'après Matth. 24, 13,
perseverare usque in finem.
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D'après Matth. 12, 43-45, Luc. 11, 24-26..
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D'après Eph. 6, 12.
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Cette métaphore paulinienne du combat, très souvent présente dans la correspondance d'Yves de Chartres, apparaît aussi chez Marbode de Rennes,
Epistola ad Robertum12,op. cit., p. 536.
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Is. 11, 2.
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Callidus hostis, Jérôme,ep. 22ad Eustochium, 29, éd. J. Labourt, t. 1, p. 142.
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Le passage précédent est proche par son vocabulaire des lignes consacrées aux anachorètes dans le début de la
Regula sancti Benedicti, 1, 3-5.
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Luc. 24, 49.
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Cf. Rom. 7, 23 ; I Cor. 12, 12.
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Gen. 4, 7, d'après
Septante. Cette citation est certainement empruntéeà Jérôme,ep. 66ad Pammachium, 12,op. cit., t. 3, p. 178, car la fin de la phrase d'Yves de Chartres résume l'argumentation de Jérôme, sur le thèmeut non solum pecuniam sed te ipsum Christo offeras. Elle est citée aussi lettre 47 ; elle sert d'adresse à l'Epistola ad Robertumde Marbode.
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Voir le développement de ce thème dans la lettre à peu près contemporaine de Boson à Gauslin, éd. H. Rochais, « Textes anciens sur la discipline monastique »,
Revue Mabillon, t. 43, 1953, p. 43-47
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a. Avranches, BM 243, 25v-26
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 16rv
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J. Jesus College, Q.G.5, 1rv
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T. Troyes, BM 1924, 78v-79
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Au. Auxerre, BM 69, 11rv
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Yves, humble serviteur de l'Église de Chartres, à Robert, frère déjà de bonne espérance, monter les degrés dans son cœur.
Puisque, comme nous l'avons appris de la relation de certains, le monde et toute sa vaine espérance perdent déjà pour toi de leur valeur, nous croyons que la divinité miséricordieuse a inauguré en ton cœur son temple et le lieu saint de son habitation ; aussi rendons-nous grâces au dispensateur de tous les biens, par qui se produit cette louable transformation de l'ancien en renouveau, et implorons-nous ce même dispensateur de tous les biens d'accorder à de bons commencements un heureux développement et un bon achèvement.
Toi donc, très cher, avec l'aide de la clémence divine, veille avec attention à ce que l'esprit impur revenant vers toi ne trouve pas vide à l'intérieur et ornée à l'extérieur la maison qu'il a quittée, n'y amène pas avec lui sept autres esprits mauvais voilés sous l'aspect de vertus et qu'il ne rende pas ainsi ton tout dernier état pire que ce qui le précédait. C'est pourquoi toi qui te prépares à combattre contre les maux de l'esprit, si tu veux combattre en sûreté, joins-toi au camp des soldats du Christ qui se battent en bon ordre, de peur que, si tu cherches à combattre en combat singulier sans expérience contre des armées expérimentées, tu ne sois écrasé par la multitude innombrable de tes adversaires. Mais après qu'armé de l'esprit de conseil et de force tu auras pris l'habitude de déjouer les ruses de l'antique Ennemi, déjà plus expérimenté dans le combat spirituel, tu pourras, si cela se présente, engager seul le combat contre n'importe quels ennemis dont tu auras appris à soutenir l'assaut dans la bataille. Aussi notre Seigneur Jésus Christ avertit-il ses disciples non encore confirmés dans l'Esprit saint et jusque-là ignorants du combat spirituel en leur disant : « Quant à vous, restez dans la cité jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la vertu d'en haut ».
Je pourrais écrire à ta fraternité de nombreuses choses de ce genre, mais, parce que tu es sage par toi-même, je t'adjure plus que tout, toi qui as déjà commencé à offrir à Dieu dans ses membres le sacrifice de tes biens, de t'appliquer à lui offrir avant tout un holocauste de ta personne, pour ne pas t'entendre dire, si – à Dieu ne plaise ! – tu agissais autrement : « Si tu offres correctement, mais que tu ne répartis pas correctement, tu as péché », puisque tu donnes tes biens et que toi tu te gardes pour toi. Adieu.