[Charte] pour les communautés musulmanes libres
Charte pour les communautés musulmanes libres de Lisbonne, Almada, Palmela, et Alcácer do Sal (1170)
In dei nomine. Ego rex Alfonsus portugalis una cum filio meo Rege Sancio facio cartam fidelitatis et firmitudinis vobis mauris qui estis forri in vlixbona et in almadana et in palmela et in Alcazar ut in mea terra nullum malum iniuste recipiatis. Et nullus meus christianus neque iudeus super uos habeat nocendi potestatem sed ille quem uos de gente et fide uestra super uos pro alcaide elegeritis ipsemet iudicet uos.
Et hoc facio ut uos reddatis mihi in unoquoque anno singulos morabitinos ex singulis capitibus uestris ex quo tempore uictui necessaria ganare potueritis. Et ut detis mihi alfitria et azoque et totam decimam de uniuerso labore uestro. Et omnes uineas meas preparetis et uendatis meos ficus et meum oleum quomodo uendiderint habitatores uille tercia parte de meis minus.
Hec igitur carta semper firmum habeat robur et nullus eam uobis audeat frangere neque foros uestros. Facta carta mense Marcio apud Colimbriam Era M.a CC.a VIII.a. Ego predictus Rex Alfonsus una cum filio meo rege Sancio uobis mauris hanc cartam quam fieri iussi roboro et confirmo et hec signa inpono. Qui presentes fuerunt, Michael Colimbriensis episcopus conf. Comes Valascus conf. Petrus fernandiz conf. Fernandus alfonsi conf. Cerueira alcaide conf. Domnus Gualdinus conf. Suarius menendiz conf. Pelagius barragan conf. Petrus saluadoriz conf. Petrus fasion Regis scriba conf.
A. Herculano et al., Portugaliae monumenta historica. Leges et consuetudines, vol. 1, fasc. 3 (Olisipone, 1863), 396-97.
Au nom de Dieu. Moi, le roi Afonso du Portugal, avec mon fils le roi Sancho1, je fais une charte de fidélité et affermissement à vous les Maures qui êtes sujets de droit (forri) à Lisbonne, Almada, Palmela et Alcácer pour que vous ne receviez aucun mal injustement dans toute ma terre. Et pour qu’aucun chrétien ni juif n’ait sur vous le pouvoir de vous nuir, que soit votre juge celui que vous élirez pour alcaide parmi ceux de votre peuple et de votre religion. Et je fais cela pour que vous me payiez chaque année un morabotin par tête à partir du moment où vous pourrez gagner le nécessaire à votre subsistance et pour que vous me donniez l’alfitra, la zaqat et le 1/10 de tout votre travail. Et que vous cultiviez toutes mes vignes et vendiez mes figues et mon huile au prix où2 les vendent les habitants de la ville3 moins 1/34.
Que cette charte vaille toujours et que personne n’ose la briser ni vos droits.
Charte faite au mois de mars, à Coimbra, Ere 12085. Moi susdit roi Afonso, avec mon fils le roi Sancho, je valide et confirme à vous, Maures, cette charte que j’ai ordonné de faire et j’y appose ces signes [Souscriptions].
1 . Le titre de roi au cours de cette période pouvait également s’appliquer simplement aux fils du roi comme dans l’exemple ici.
2 . En dépit de la traduction de Baloup, qui respecte les discussions sur le texte de Oliveira Marques (“Persistência” 97), Barros “Génese de uma minoria” 32 (mais non dans Tempos e espaços 52), et Soyer (Persecution 48), le terme latin quomodo ne renvoie pas spécifiquement au prix auquel les éléments ont été vendus. Les traductions médiévales de cette charte ne font également pas mention de prix (Ordenações Afonsinas, livre 2, titre 99, reproduit in PMH-LC 396; Chancelaria de D. João I, livre 5, f. 32r).
3 . Les manuscrits latins contiennent deux lectures distinctes pour ce mot. Le texte latin de l’Arquivo Nacional da Torre do Tombo (ANTT), Registo da Chancelaria de D. Afonso II f. 12r (la version utilisée pour l’édition PMH-LC donnée ci-dessus) propose minus, comme la copie de f. 12r trouvée au f. 16v du Registo da Chancelaria de D. Afonso II (Cópia/Livro novo), et tout comme la copie du début du XVIème siècle dans ANTT, Livro dos forais velhos f. 25v. La version dans l’ANTT, Inquirições de D. Afonso III, livre 4, f. 8r, cependant lit clairement uinis (probablement l’ablatif pluriel de vinum) : « tout comme les habitants d’une villa vendent un tiers de mes vins ». Cette lecture apparaît également dans une copie de la charte des musulmans libres d’Évora, modelée sur la charte de Lisbonne et également préservée dans Inquirições de D. Afonso III (dans le livre 4, f. 9r) (notice 254400). La copie de la carte d’Évora dans ANTT, Chancelaria de D. Afonso III, livre 1, f. 124r, cependant lit minus. Cette phrase n’apparaît pas dans la charte des musulmans libres d’Algarve (notice 254398), et la charte des des musulmans libres de Moura ne mentionne pas les vignes du roi, seulement celles des musulmans (notice 254433). La traduction portugaise médiévale de la charte en latin de Lisbonne, imprimée dans Ordenações Afonsinas, livre 2, titre 99, lit moyos (sg. moio), du latin modius, et il apporte donc une plus grande ressemblance avec la lecture uinis en faisant référence à une unité de mesure qui pouvait être utilisée pour calculer des montants de terre et d’autres termes comme le vin : “como venderem os moradores da Villa a terça parte dos meos moyos” (reproduit dans PMH-LC 396); « tout comme les habitants de la villa vendent un tiers de mes moios ». Voir Viterbo, Elucidário s.v. moio and moio de pão, ou de vinho. Une autre traduction portugaise de la charte de Lisbonne, dans l’ANTT, Chancelaria de D. João I, livre 5, f. 32r, lit “a terça parte dos meus menos”. La liste des copies de manuscrits exposée ici n’est pas exhaustive. La lecture minus est, à ma connaissance, suivie dans toutes les écrits scientifiques relatifs à ce texte (incluant Oliveira Marques, “Persistência” 97; Kenmitz, “Construção de uma nova sociedade” 167; Barros, Tempos e espaços 52; “Génese de uma minoria” 32; Soyer, Persecution 48).
4 . Sur la signification du terme villa 'domaine terrien' dans le contexte médiéval portugais, voir Durand, Les campagnes 185-92 ; et Viterbo, Elucidário s.v. villa.
5 . L’ère césarienne (également connue comme l’ère espagnole), qui fut en cours au Portugal jusqu’en 1422, ajoute 38 ans de plus au calendrier chrétien.
D. Baloup et al., trans., La péninsule Ibérique au Moyen Âge. Documents traduits et présentés (Rennes, 2003), 157-59.
Cette charte municipale a été écrite après la reconquête chrétienne des villes de Lisbonne (1147) et Alcácer (1158), et après l’installation de campements ruraux autour des forteresses (ḥuṣūn) d’Almada (1147 ?) et Palmela (1147 ?).1 La charte garantit la protection royale, la liberté religieuse, et une certaine autonomie administrative et juridique aux communautés musulmanes qui demeurent en ces territoires (ils sont désignés sous le nom de mouros forros, “musulmans libres”, pour les distinguer des musulmans capturés au combat et réduits en esclavage). Cela souligne également les tributs et les services dont les musulmans étaient redevables en échange de ce statut de protégé. Les tributs sont tirés de la loi islamique, instituant alors un paradigme de subordination à la souveraineté chrétienne dans des termes que ces communautés musulmanes pourraient comprendre. La taxe annuelle de capitation d’un morabotin par homme adulte est modelée sur la jizya, qui était versée par des non-musulmans vivant sur des territoires islamiques comme symbole de leur soumission et comme un moyen de s’assurer de leur statut protégé comme dhimmīs. L’alfitra, une translittération de l’arabe al-fitr, était une taxe de capitation payée par tous, sans considération de sexe ou d’âge ; et l’azoque, de l’arabe al-zakāt, correspondant au paiement de l’aumône prescrite par la neuvième sourate (sūrah) du coran (Barros, Tempos e espaços 60-65; Soyer, Persecution, 48-50). Il est possible que la dîme versée sur tous leurs produits corresponde au ‘ushr qui était collecté en al-Andalus (Soyer, Persecution 50). Bien que certaines formes de taxation furent considérées comme illégales selon la loi islamique, toutes les taxes listées dans ce document font référence aux taxes canoniques, légales, décrites dans le Coran et la Sunna (León-Borja, “El derecho del ‘azaque’” 394-95). En plus de ces versements, les musulmans étaient obligés de cultiver les vignes du roi, et de vendre son huile d’olive et ses figues.
Cette charte est communément connue sous le nom de Foral de Lisbonne, car ses préceptes furent en vigueur jusqu’à l’édit d’expulsion de D. Manuel de 1496. A l’inverse, la permanence de la charte a été écourtée à Alcácer, Almada, et Palmela par l’offensive almohade de 1191 (menée par le calife Abū Yaʽqūb Yūsuf II) qui détruisit ensuite deux zones appartenant à ce dernier, contraignant apparemment les populations musulmanes à fuir à Setúbal (Barros, Tempos e espaços 53). Alcácer fut prise par les Almohades en 1191, pour être regagnée par les chrétiens seulement en 1217. Cependant, la juridiction sur Alcácer et sur les campements fortifiés d’Almada et de Palmela avait été accordée par D. Sancho aux chevaliers de l’Ordre de Santiago en 1186 (Azevedo, Documentos de D. Sancho 22-23). Bien que D. Alphonse II confirmât le Foral dos mouros forros en 1217 (le foral fut également confirmé par la reine D. Dulce aux alentours de 1186, pendant le règne de son époux D. Sancho), des dissensions apparurent entre la Couronne et l’Ordre de Santiago concernant l’autorité sur la population musulmane de Alcácer (Barros, “Foral dos mouros forros” 33-36; Tempos e espaços 119-23).
1 . Les dates des conquêtes sont tirées de Oliveira Marques et al., “O campo muçulmano” 68-69.
Cette charte est le plus ancien document subsistant à reconnaître officiellement l’existence de communautés autonomes de musulmans libres (mudéjar) au royaume du Portugal. Elle devint le modèle sur lequel furent calquées les chartes royales ultérieures existantes pour les comunas de musulmans libres : le foral d’Alphonse III pour les musulmans libres de Silves, Tavira, Loulé et Faro, daté du 7 juillet 1269 ; son foral pour les musulmans libres d’Évora, daté du 16 juillet 1273 ; et la charte de D. Dinis pour les musulmans libres de Moura, daté du 17 février 1296. Les preuves documentaires, incluant les chartes, pour les autres comunas musulmanes à Avis, Elvas, Estremoz, Setúbal, Beja, Leiria, Santarém, Alenquer, Sintra, Olhão et Colares sont pour leur plus grande partie perdues (Barros, “As comunas muçulmanas” 89-100; Soyer, Persecution 42).
Cette charte a introduit certains changements dans la structure interne des communautés musulmanes : les juges étaient précédemment choisis par les monarques musulmans et non pas par élection (Leguay, “O regime”, 189; Oliveira Marques, History of Portugal 71) ; la position de alcaide dans ce contexte a représenté une nouvelle fusion de deux rôles distincts (celui de qāḍi, “juge”, et celui de qā’id, “chef militaire, gouverneur militaire”, duquel dériva ensuite le terme portugais d’alcaide) (pour la discussion de ce point, voir Barros, Tempos e espaços 56-59 and 347-60; Soyer, Persecution 37-40). Dans le contexte d’un gouvernement municipal portugais, l’alcaide (praetor en latin) était généralement (bien que pas toujours) nommé par le roi et agissait comme son représentant, s’assurant que la justice était bien administrée et l’ordre renforcé (Oliveira Marques, History 84, 98). Par exemple, la liste de témoins de cette même charte inclut l’alcaide Cerveira, qui gouverna Coimbra à la fin du XIIème siècle. Il y avait également des alcaides dans les comunas juives, comme les alcaides chrétiens, mais ces derniers n’assumaient pas nécessairement le rôle de juge ; cette fonction était remplie par le rabi menor, « le rabbin mineur » (voir la discussion in Soyer, Persecution 39-40; et Tavares, Judeus 118-25). Les musulmans du Portugal n’avaient pas de responsable officiel comparable au rabi mor, « chef rabbin » des juifs ou à l’alcade mayor des musulmans de Castille. Cependant, des enregistrements suggèrent que certains aspects de conseil étaient remplis par les chefs de la communauté musulmane de Lisbonne (Barros, “Génese de uma minoria” 39).
Avec l’acquisition de ces territoires-clés de Lisbonne, Alcácer, de la Péninsule de Setúbal, les frontières du Portugal (jusqu’à l’offensive almohade de 1191) s’étendaient alors au sud du Tejo.
agriculture ; autonomie communautaire ; droit islamique ; dîme ; Impôt ; juge ; juridiction ; musulmans ; raisin ; Vin ; ğizya
Ahmed Oulddali : relecture
Farid Bouchiba : traduction
Claire Chauvin : traduction
Notice n°252640, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait252640/.