Charte pour les musulmans d’Algarve
Charte pour les communautés musulmanes libres de Silves, Tavira, Loulé, et Santa Maria de Faro
In dei nomine et ejus gratia. Noverint universi presentem cartam inspecturi quod ego, Alfonsus dei gratia Rex Portugalie et Algarbii, una cum uxore mea Regina donna Beatrice Illustris Regis Castelle et Legionis filia, et filiis et filiabus nostris, Infantibus donno Dionisio, donno Alfonso, donno Fernando, donna Branca, donna Sancia, facio cartam de foro et firmitudine vobis mauris qui estis for[r]i in Silve et in Tavira et in Loule et in sancta Maria de Faaron. Mando quod nullus meus christianus neque judeus habeat potestatem faciendi vobis malum nec forciam, sed ille qui fuerit vester pretor ipsemet iudicet vos. Et hoc facio ut vos reddatis michi in unoquoque anno singulos marabitinos ex singulis capitibus vestris ex quo tempore victui necessaria gaanhare potueritis. Et ut detis michi alfitria et azeque et totam decimam de universo labore vestro. Et omnes vineas meas preparetis et tapetis eas et colligatis meum vinum sicut eum colligunt mei mauri forri Ulixbone, et in omnibus aliis debetis facere et usare sicut usant et faciunt mei mauri forri Ulixbone. Hec igitur carta semper firmum habeat robur et nullus eam vobis audeat frangere neque foros uestros. . .
L. Ventura and A. Resende de Oliveira, eds., Chancelaria de D. Afonso III. Livro I, vol. 2 (Coimbra, 2006), 20-21.
Au nom de Dieu et par sa grâce. Que tous ceux qui liront la présente charte sachent que moi, Alphonse Roi du Portugal et de l’Algarve par la grâce de Dieu, avec mon épouse la Reine Béatrice fille de l’illustre Roi de Castille et León, et nos fils et filles, les infants D. Denis, D. Alphonse, D. Fernand, D. Branca et D. Sancha, je fais cette charte de droits et de protection pour vous, les musulmanes libres de Silves, Tavira, Loulé et Santa Maria de Faro. J’ordonne qu’aucun de mes chrétiens ni de mes juifs n’ait le pouvoir de vous nuire ou de vous faire violence1, mais celui qui sera votre praetor vous jugera. Et je fais cela afin que vous me rendiez pour chaque année un morabotin par tête tant que vous pourrez gagner le nécessaire pour vivre, et afin que vous me donniez l’alfitra et l’azoque et un dixième entier de tout votre travail. Et vous préparerez mes vignes, les couvrirez2 et recueillerez mon vin, comme le recueillent3 mes musulmans libres de Lisbonne, et en toute autre chose, vous devrez agir et en user comme en usent et agissent mes musulmans libres de Lisbonne [quant à leurs droits et obligations]. Que cette charte soit donc toujours en vigueur et que personne n’ose s’en prendre à vous ou à vos droits.
1 . vim in Arquivo Nacional da Torre do Tombo (ANTT), Inquirições de D. Afonso III, livre 4, f. 8v. (seuls les manuscrits les plus remarquables sont étudiés ici et ci-dessous).
2 . Parmi tous les forais pour les mouros foros, seule la charte de l’Algarve précise que les musulmans doivent tapetare « pailler » les vignes.
3 . colligunt nunc in ANTT, Inquirições de D. Afonso III, livre 4, f. 8v.
Claire Chauvin; relecture Farid Bouchiba
La Reconquête portugaise fut achevée sous Alphonse III en 1249 avec la prise des villes de Silves, Faro and Loulé. Tavira, la dernière des quatre villes mentionnées dans la charte citée ci-dessus, avait été prise aux musulmans aux alentours de 1238. A l’époque de la conquête, afin d’obtenir une aide contre Alphonse III et ses forces, le roi du royaume taifa de Lābla (qui partageait une partie de la côte Ouest avec Faro et Silves) céda ses droits au prince Alphonse – sur le point de devenir Alphonse X de Castille et León. Cela conduisit aux hostilités entre le Portugal et son voisin parce que les castillo-léonais revendiquèrent alors leurs droits sur la zone mal définie de l’Algarve. Les hostilités se transformèrent en guerre ouverte en 1252 quand Alphonse X assuma le pouvoir royal de Castille et León, mais une résolution fut trouvée par le pape Innocent IV en 1253 : Alphonse III devait épouser la fille illégitime d’Alphonse X, Béatrice, et transférer temporairement ses droits de souveraineté sur l’Algarve (incluant les territoires à l’est du Guadiana) jusqu’à ce que le premier enfant mâle de Béatrice et Alphonse atteigne l’âge de 7 ans. Comme l’explique Oliveira Marques, « Alphonse X devint alors un vassal du roi du Portugal et l’Algarve un fief obtenu de lui » (History 78). En 1263, quatre ans avant que le prince premier-né D. Denis ne fête ses 7 ans, les deux rois s’accordèrent à donner la seigneurie de l’Algarve à Denis. Quatre ans plus tard, cet accord fut ratifié à Badajoz et les frontières entre le Portugal et la Castille furent fixées (Oliveira Marques, History 77-78; Serrão, História 138-39; Livermore, New History 80-81).
Cette tourmente politique peut avoir été l’un des facteurs entraînant un délai dans l’émission de cette charte (elle fut enregistrée 20 ans après la conquête du territoire et 30 ans après la conquête de Tavira). Barros suppose que Alphonse III chercha à traiter toutes les villes mentionnées dans la charte de façon collective, formant un “conjunto de comunidades” qui aurait fonctionné aussi bien comme une entité politique qu’économique (“A comuna muçulmana de Lisboa” 244). La charte est communément connue comme la charte des musulmans libres de l’Algarve et de fait, est intitulée comme telle dans la copie du manuscrit dans ANTT, Chancelaria de D. Afonso III, livre 1, f. 97v, qui porte le titre “Carta de mauris de Algarbio” (“Charte pour les musulmans de l’Algarve”).
Le foral accorde protection, liberté religieuse et autonomie judiciaire aux musulmans libres qui demeurent dans l’Algarve après la capture de leurs toutes dernières forteresses. Il est façonné sur le modèle de celui de la communauté des musulmans libres de Lisbonne (voir la notice 252640 pour un sommaire des contenus) et, bien que la charte de l’Algarve ne précise pas comment le praetor (le titre latin pour l’alcaide) était choisi, on suppose, par analogie avec la charte de Lisbonne, qu’il était élu. Davantage d’explications au sujet de l’élection du praetor/alcaide furent faites dans la charte de D. Denis pour les musulmans libres de Moura (voir la notice 254433).
Pour les détails au sujet de la signification historique de ce foral, voir la notice 252640 (la première charte à reconnaître officiellement les communautés autonomes musulmanes vivant sous la domination chrétienne au Portugal).
agriculture ; autonomie communautaire ; droit islamique ; dîme ; Impôt ; juge ; juridiction ; musulmans ; raisin ; Vin ; ğizya
Farid Bouchiba : traduction
Claire Chauvin : traduction
Jerzy MAZUR : relecture
Notice n°254398, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254398/.