Charte pour la communauté des musulmans libres de Moura
Charte garantie par le roi aux musulmans de Moura
Dom Denis pela graça de Deus Rey de Portugal e do Algarve. A quantos esta carta vyrem faço saber que eu dou e outorgo 1 aos meus Mouros forros da mha vila de Moura assy aos presentes como aos que ham de vĩir tal foro qual ham os meus Mouros forros da cidade de Lixbõa, convem a saber: que nenhuum non lhys faça mal sem razom. E que nenhuum meu cristhãao nen judeu non aja poderio sobr’eles. Mays aquel de sa gente e de sa fe que eles elegerem antre sy por seu alcayde esse os joygue e aquel que eles elegerem devo-lho eu a outorgar. E esto lhys faço que eles dem a mim en <cada huum anno>2 cada huum per cabeça senhas libras delo tempo que ouver cada huum mouro XV anos en deante e V V geyras cada huum per cabeça pera meu serviço e que mi dem alfitra segundo como o dam os Mouros do meu arravaldi de Lixbõa e dizima do pam e das outras cousas que semearem e ouverem dos herdamentos e dezima do azeyte e de todolos fruytos que lavrarem e ouverem dessas vinhas. E o mouro que ouver cabedal con que conpre e venda que mi de quareentena hῦa vez no ano. E outrossy o mouro que ouver vacas ou ovelhas que mi de quareentena hῦa vez no ano. E en as outras cousas dem a mim assy como mi dam os meus mouros de Lixbõa e eles ajam3 o dicto foro e o uso e o custume assy como os dictos meus Mouros forros de Lixbõa ham. En testemoynho desta cousa dey ende a esses Mouros esta carta. Dante en Lixbõa dez e sete dias de Fevereyro. El-Rey o mandou pelo chanceler. Martim Estevẽes a fez. Era de mil e trezentos e triinta e quatro anos.
R. Marreiros, ed., Chancelaria de D. Dinis. Livro II (Coimbra, 2012), 481-82.
[Je], Dom Denis, par la grâce de Dieu, roi du Portugal et de l’Algarve, fait savoir à ceux sur lesquels cette charte s’étend que j’accorde et confère1 à tous mes musulmans libres de ma ville de Moura, ceux d’aujourd’hui et ceux à venir, les mêmes droits que ceux qu’ont mes musulmans libres de Lisbonne : c’est-à-dire que personne ne doit leur nuire sans raison et qu’aucun de mes chrétiens ou de mes juifs n’aura de pouvoir sur eux. Mais l’un de leur race et de leur foi qu’ils auront, parmi eux, élu comme leur alcaide, cet homme pourra les juger, et l’homme qu’ils auront élu devra être approuvé par moi.
Et je fais cela pour eux de sorte que, chaque année2, chaque homme musulman me donne un seul libra à partir du moment où il aura atteint quinze ans, et dix (?) jeiras comme travail dû à moi, et de sorte qu’ils me donnent l’alfitra tout comme le font les musulmans de ma périphérie de Lisbonne, et un dixième (dizima) des céréales et des autres choses qu’ils sèment et produisent dans leurs terrains, et un dixième de l’huile d’olive et de tous les fruits qu’ils cultivent et produisent à partir de ces plantes. Et tout musulman qui aura un capital (cabedal) avec lequel il achète et vend doit me donner un quarantième (quarentena) une fois par an. Et de plus, tout musulman qui aura du bétail et des moutons devra me donner un quarantième une fois par an.
Et dans le respect des sujets restants, ils doivent me payer comme mes musulmans libres de Lisbonne me paient, et ils auront3 les mêmes droits, usages et coutumes susmentionnés que mes musulmans libres de Lisbonne précédemment mentionnés.
En témoignage de cet événement, j’accorde cette charte à ces musulmans. Donné à Lisbonne, le 17ème jour de février. Le roi ordonna ceci par l’intermédiaire de son chancelier. Martim Esteves la mit par écrit. Ere césarienne de 13344.
1 . Dans le manuscrit, les mots « a foro pera todo sempre » suivent, et on peut relever qu’ils ont été rayés par le scribe. Seules les principales notes de l’édition de Marreiros seront incluses dans ces notes de bas de page.
2 . cada huum anno inséré dans la ligne au-dessus, avec des marques en référence.
3 . Le mot os, qui suit ajam dans le manuscrit, a été omis par l’éditeur « car il ne fait pas sens dans le texte ».
4 . L’ère césarienne (également connue comme l’ère espagnole), qui fut en usage au Portugal jusqu’en 1422, ajoute 38 ans au calendrier chrétien.
Claire Chauvin
Cette charte est modelée sur la charte de la communauté des musulmans libres de Lisbonne (notice 252640), mais avec un grand nombre de détails différents. Il s’agit de la première des chartes existantes qui spécifie que, bien que l’alcaide devait être élu, le choix devait être ratifié par le roi.
Sa description des taxes tributaires et des services rendus par les musulmans à la Couronne est également très différent des chartes précédentes. La charte de Lisbonne liste une taxe de capitation payée par chaque homme adulte, une autre (l’alfitra) payée par les deux genres, l’azoque (qui reste indéfinie dans toutes les chartes antérieures), et un dixième de toutes leurs productions agricoles – un paiement qui semble correspondre à la taxe sur la terre, dite ‘ushr, de la loi islamique (Soyer, Persecution 50).
La taxe de capitation sur les hommes adultes, d’un morabotin dans les chartes les plus anciennes et qui correspond à la jizya payée par les dhimmīs chrétiens sous la loi islamique, est désormais d’un libra dans la charte de Moura. Il s’agit du reflet de la disparition du morabotin et de l’introduction du système du libra-soldo-dinheiro au Portugal au XIIIème siècle (pour plus de détails, consulter Oliveira Marques, History 96; « A circulação e a troca » 522-28). Un libra valait 20 soldos, ce qui constituait le montant fixé pour cette taxe de capitation dans une longue déclaration détaillant tous les paiements tributaires et les services dus par les musulmans libres du Portugal, selon leurs chartes, ce qui est préservé dans l’Arquivo Nacional da Torre do Tombo (ANTT), Inquirições de D. Afonso III, livre 4, ff. 10v-14r (notice 254481), et qui, bien qu’on suspecte que cette compilation a eu lieu sous João I, attend d’être définitivement datée (Barros, « Judeus e mouros » [1937] 228). Alors que les chartes antérieures établissaient que tous les hommes musulmans étaient assujettis à cet impôt aussitôt qu’ils étaient capables de gagner de quoi vivre (« ex quo tempore uictui necessaria ganare potueritis »), le foral de Moura précise que ce paiement était dû à partir de l’âge de 15 ans révolus—15 ans étant l’âge adulte selon l’un des avis de la loi islamique (Barros, Tempos e espaços 53). Cette modification ne reflète pas nécessairement un changement dans les règles régissant la taxe de capitation ; sa formulation peut simplement faire écho, plus étroitement, à la loi islamique qui influence le concept.
Comme dans les chartes antérieures, l’alfitra (la taxe de capitation payée par tous, sans considération d’âge ou de sexe) est mentionnée nommément, mais le montant n’en est pas précisé. Cependant, dans la déclaration susmentionnée de tous les tributs dus par les musulmans libres, l’alfitra est indiquée comme comptant 6 dinheiros.
Bien que l’azoque ne soit pas mentionné par son nom dans le foral de Moura, il semble que la dizima que le foral de Moura indique comme portant sur les céréales et tous les produits agricoles tombe dans le cadre général des paiements de l’azoque. Selon la déclaration plus récente dans les Inquirições de D. Afonso III, il y a un grand nombre de sous-catégories de taxes, en référence dans ce texte à des paiements d’azaqui, qui consistaient soit en un dixième ou un quarantième (quarentena) de différents biens (León-Borja, « El derecho del ‘azaque’ » 394; Barros, Tempos e espaços 60-61). La déclaration établit la liste des azaqui d’un dixième de la première récolte de toutes les céréales et de tous les végétaux (« dizima que he chamado azaqui. E esto da nouidade do pam e legumes que ouuer »).
Avec l’exception des 10 (?) jeiras, tous les paiements restants mentionnés dans la charte de Moura sont également en relation avec les paiements azaqui selon la déclaration plus récente : c’est-à-dire, la dizima sur les fruits (correspondant à la dizima déclarée sur les raisins et sur les figues), la dizima sur l’huile d’olive, la quarentena sur les échanges commerciaux, et la quarentena sur les biens mobiliers (de gado). La quarentena sur toutes les transactions commerciales est, comme le note M. F. Lopes de Barros, en accord avec la loi islamique, qui requérait le paiement de 2.5 % de la somme entière des biens évalués au-delà d’un montant minimum pré-établi (Barros, « Génese » 39; Tempos e espaços 60; Haggar, « Leyes musulmanas » 170-71). Elle doute que la copie originale de la charte de Moura inclut la moindre mention de la quarentena sur les biens mobiliers. Le paiement se trouvait seulement dans la version de la Chancelaria de D. Dinis (il ne se trouve pas dans la version des Inquirições de D. Afonso III), et elle soupçonne que la copie est postérieure à 1315, quand cette clause fut ajoutée au foral après une recherche parmi les dus exigibles auprès des musulmans de Moura et, en particulier, pour savoir s’ils pouvaient être sujets à la quarentena sur les biens mobiliers, qu’ils ne payaient pas à ce moment-là (Barros, « Génese » 36-37)1.
La mention de 10 (?) jeiras (« V V geyras cada huum per cabeça pera meu serviço ») est nouvelle et problématique. H. da Gama Barros interprète cette clause comme faisant référence aux jeiras « bandes de terrain » et comme indiquant que les musulmans étaient obligés de cultiver cinq jeiras de terre (il lit le double v dans la copie de Chancelaria de D. Dinis et « cinquo cinquo » dans la copie des Inquirições de D. Afonso III comme une dittographie) (Barros, “Judeus e mouros” [1937] 225). Boissellier lit « 15 geiras » (sic) et considère cette clause comme un service de travail qui remplace la taxe de capitation (bien que les deux taxes de capitation figurent déjà dans le texte de Moura) et qui représente un geste symbolique de soumission (Naissance 373). M. F. Lopes de Barros a plus récemment suggéré que le paiement, qu’elle lit comme 10 jeiras, renvoie à une corvée effectuée dans les vignes du roi (le même que celui précisé dans les trois forais précédents mais pas mentionné dans celui de Moura : « Et vous devrez cultiver mes vignes et vendre mes figues et mon huile d’olive tout comme les habitants de la villa les vendent, moins un tiers pour ma part » (« Et omnes uineas meas preparetis et uendatis meos ficus et meum oleum quomodo uendiderint habitatores uille tercia parte de meis minus »). Elle suggère que, tandis que les forais précédents étaient vagues quant à la logistique et aux responsabilités de chacun en ce qui concerne leur obligation collective de maintenir en état la vigne du roi, le foral de Moura spécifie que chaque musulman était responsable de l’entretien de 10 jeiras de terre (ou bien de dix jours de jeiras « travail » — le texte n’est pas clair au sujet de la signification de jeiras ici) (Barros, « Génese » 38, Tempos e espaços 54).
Le foral pour les musulmans libres de Moura est certainement plus élaboré que les forais antérieurs pour les comunas musulmanes. Cependant, compte tenu de la nature laconique de ces sources antérieures, on ne peut pas, sur la base de la preuve des cartulaires seuls, conclure que la taxe imposée aux musulmans libres a augmenté en 1296, quand la charte de Moura fut rédigée.
1 . Plus de détails sur l’enquête et sur la quarentena sur les biens mobiliers se trouvent dans la Carta que falla da quarentena dos gaados de D. Dinis, écrite le 16 janvier 1315 et préservée dans l’ANTT, Inquirições de D. Afonso III, livre 4, f. 10r; et ANTT, Chancelaria de D. Dinis, livre 3, f. 90r, édité à partir de Chancelaria de D. Dinis in Valente, Acerca dos Forais de Moura, 23-25. Sur ces documents, voir également Barros, Tempos e espaços 55-56.
Bien que Moura et Serpa furent définitivement reprises aux maures en 1232, elles alternaient entre une domination portugaise et castillane et ce fut seulement en 1295 que ces villes devinrent des parties permanentes du royaume du Portugal (pour tout débat, voir Rei, « Revoltas » 24-26; Ficalho, Notas históricas 109-39; Garcia, Espaço medieval 63-68; and Mattoso, História 151). Cette charte pour les musulmans libres de Moura fut accordée un an plus tard, en 1296. (La charte de 1295 pour les habitants chrétiens de Moura, basée sur la charte de 1166 pour Évora, remplace le premier foral de Moura, qui avait été écrit en 1151).
Moura est le seul foral existant pour une communauté libre à être composé en portugais ; les trois autres chartes existantes (pour les musulmans de Lisbonne, Évora et l’Algarve) ont été écrites en latin et traduites ensuite en langue vernaculaire.
Voir la notice 252640 pour des détails complets sur la signification de ces chartes pour les communautés mudéjar.
agriculture ; autonomie communautaire ; commerce ; droit islamique ; dîme ; Impôt ; juge ; juridiction ; musulmans ; raisin ; Vin ; ğizya
Ahmed Oulddali : relecture
Farid Bouchiba : traduction
Geraldine Jenvrin : relecture
Claire Chauvin : traduction
Notice n°254433, projet RELMIN, «Le statut légal des minorités religieuses dans l'espace euro-méditerranéen (Ve- XVesiècle)»
Edition électronique Telma, IRHT, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - Orléans http://www.cn-telma.fr/relmin/extrait254433/.