Général
-
Yves, évêque de Chartres
-
Pascal 2, pape
-
après 1105 - avant 1106
-
[1105/1106]
-
Lettre
-
Paschali, summo pontifici, Ivo, humilis Ecclesiae Carnotensis minister, debitum cum omni subjectione(a) famulatum.
Cum status Ecclesiae pene ubique terrarum ruinas lamentabiles patiatur, quisque dilector domus Dei(1) dehonestationes ejusdem domus quanto vicinius sentit tanto uberius plangit, quoniam et ignis viciniora comburit. Quod idcirco majestati vestrae praelibavimus quoniam, cum(b) in aliis locis unusquisque domus Dei prostitutor malitiam suam aliquo velamine tegere moliatur, in terra Northmannorum ita manifeste prostituta est Ecclesia ut de ea illud propheticum dici possit(2) : « Peccatum suum sicut Sodoma praedicaverunt, nec absconderunt. » Quod in Ecclesia Luxoviensi(3) paternitas vestra poterit agnoscere, quam jam per plures annos Rannulfus, agnomine Flammardus, Dunelmensis episcopus, inaudito invasionis genere occupavit, qui duos filios suos vix duodennes accepto pastorali baculo a comite Northmannorum(4) praedictae Ecclesiae intrudi fecit, ea conditione ut, si primogenitus(c) moreretur, Judaico more in episcopatum alter alteri subrogaretur(5).
Quod cum partim dolentibus, partim deridentibus plurimis diu perpessa esset Ecclesia, monitu(d) quorumdam religiosorum graviter redargui solo charitatis intuitu Rothomagensem archiepiscopum(6), ad cujus dioecesim pertinet praetaxata Ecclesia, quod ex adverso non staret(7), quod pro domo Israel murum non opponeret(8). Hoc idem feci aliis episcopis ejusdem metropolitani suffraganeis. Tandem cum comes terrae illius periculo amittendi principatus sui urgeretur(9), quasi poenitentia ductus, monente Ebroicensi episcopo(10) cum metropolitano suo, praecepit ut praedictus Dunelmensis episcopus de Ecclesia cum sua sobole ejiceretur et episcopus ibi canonice eligeretur. Oblatum est igitur praedictae Ecclesiae ut secundum morem ecclesiasticum episcopum sibi eligerent ; qui communicato cum episcopis consilio elegerunt virum strenuum Guillelmum, Ebroicensem archidiaconum(11), quem etiam a metropolitano suo postulaverunt sibi ordinari episcopum.
Sed cum subauditum esset quod metropolitanus ab officio episcopali suspensus esset(12), praedictus archidiaconus, quia familiaris meus erat et nihil adversus canones sciens praesumere volebat, ad me veniens mecum deliberavit utrum cum hoc scrupulo posset a metropolitano suo sacram ordinationem suscipere, vel a suffraganeis quibus auctoritas metropolitana solet ista praecipere. In qua deliberatione cum mihi occurreret illud Apostoli(13) : « Omne quod non est ex fide peccatum est », et illud Augustini(14) : « Quia consecratio magis constat in fide et devotione benedictionem poscentis quam in merito benedictionem dantis » praedicto fratri consilium dedi ut tantum sacramentum nulla cum disceptatione susciperet, sed apostolicam sedem aut per se, aut per legatos suos consuleret et rem, quantum nobis videbatur, bene incoeptam auctoritate apostolica perficeret. Videns itaque Dunelmensis episcopus consecrationem differri, aliud tergiversationis genus arripuit et praedictum episcopatum cuidam clerico suo a comite Northmannorum datum esse asseruit(15). Unde ille clericus ad sedem metropolitanam vocatus est ut proferret si quid juris se habere in episcopatu confideret ; qui nulla ratione potuit asserere quod electionem cleri aut consensum plebis habuisset aut etiam donum comitis, quod plus obesse quam prodesse(16) debuerat, accepisset. Consilio itaque nostro et quorumdam comprovincialium suorum, majestatis vestrae praesentiam adiit accepturus aut justum pro ratione judicium, aut necessarium pro dispensatione consilium(17). Ausu igitur familiaritatis filialis suggero sanctitati vestrae quatenus apud majestatem vestram gaudeat se invenisse paternum suffragium quae nulli consuevit ad se confugienti denegare medicinale remedium. Valete.
-
devotione T
-
dum M
-
unus Au
-
monita TAu.
-
D'après Ps. 25, 8 ; 68, 10.
-
Is. 3, 9. La papauté eut beaucoup de mal à imposer, sur les terres anglaises et normandes, l'abandon de la pratique de l'investiture laïque, comme en témoignent les persécutions dont fut victime Anselme de Cantorbéry, Eadmer,
Histoire des temps nouveaux,passim. De nombreuses lettres de Pascal II traitent de ce problème : en 1102 au roi Henri Ieret à Anselme de Cantorbéry,PL163, l. 73, 75, 85, 86 ; à Robert Courteheuse, lettre signalée par V. Gazeau,Princes normands et abbés bénédictins, p. 69, n. 199 (L. Delisle,BEC, 71, p. 465-466) ; en 1105, lettres 144-146, à Anselme, Robert de Meulan et Gérard d'Évreux.
-
Sur cette affaire et sur Ranulfe, voir lettres 153 et 154.
-
Guillaume Courteheuse, duc de Normandie, 1087-1106.
-
Il est interdit à un évêque de se choisir un successeur, concile d'Antioche, c. 23, concile du pape Martin, c. 8, Hilaire, concile romain 465, c. 5. Yves,
Décret5, 301, 303, 104 (Gratien, 8, 1, 3-7).
-
Guillaume Bonne-Âme, voir lettre 149.
-
II Par. 13, 13.
-
Ez. 13, 5.
-
Menaces d'Henri I
er, voir lettre 154.
-
Gilbert II (1071-1112), voir lettre 153.
-
Voir lettre 149.
-
On ignore quand et pourquoi il fut suspendu par Pascal II. Anselme intervint en sa faveur. Pascal II, lettre 178,
PL163, col. 188, datée du 28 mars [1106], écrit à l'évêque qu'il lui accorde l'indulgence à la demande d'Anselme de Cantorbéry, à qu'il confie le réglement de sa cause, et il lui recommande d'écarter de son entourage les mauvais conseillers.
-
Rom. 14, 23.
-
Ut gratiam traditio per ministerium ordinantis transfundat hominibus, nec voluntas sacerdotis obesse aut prodesse possit, sed meritum benedictionem poscentis, Ps. Augustin,Quaestiones ex Veteri Testamento, 11, 1,CSEL50, p. 36. Yves,Décret2, 100 ;Panormie3, 79 (Gratien, 1, 1, 96). La phrase de la lettre en est une citation libre. Voir aussi lettres 63, 73.
-
Ranulfe, voir
supra; le clerc est certainement Guillaume de Pacy (Pacy-sur-Eure, arr. Évreux, Eure), familier de Ranulfe, qui tenta en 1105 de s'emparer du siège de Lisieux, dont parle Orderic Vital, cité lettre 149.
-
Le jeu de mot assez courant est aussi dans le canon du Ps. Augustin cité
supra.
-
L'archidiacre Guillaume n'a pas obtenu gain de cause, puisque l'évêque de Lisieux fut ensuite Jean I
er, ancien archidiacre de Sées, évêque de 1107 à 1140. Voir Gallia XI, 771-772
-
a. Avranches, BM 243, 87rv
-
M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 60rv
-
T. Troyes, BM 1924, 123rv
-
Au. Auxerre, BM 69, 65rv
-
À Pascal, souverain pontife, Yves, humble ministre de l'Église de Chartres, le service dû avec une soumission totale.
Alors que l'état de l'Église supporte presque partout de lamentables destructions de ses terres, chaque être qui aime la maison de Dieu déplore les outrages faits à sa maison d'autant plus gravement qu'il les ressent de plus près, puisque le feu aussi consume ce qui est le plus proche. La raison pour laquelle nous avons abordé ce sujet devant votre majesté est que, tandis que dans les autres lieux chacun de ceux qui prostituent la maison de Dieu s'efforce de cacher sa malice sous un voile quelconque, dans la terre des Normands l'Église est prostituée de façon si manifeste qu'on pourrait dire d'elle ce mot du Prophète : « Ils ont proclamé leur péché comme Sodome et ne l'ont pas caché. » Votre paternité pourra reconnaître ce fait dans l'Église de Lisieux que depuis plusieurs années déjà Ranulfe, au surnom de Flambard, évêque de Durham, a occupée par un genre inouï d'invasion, lui qui a fait introduire dans ladite Église ses deux fils, à peine âgés de douze ans, qui ont reçu le bâton pastoral du comte des Normands, sous cette condition que si l'aîné mourait l'autre serait, à la mode judaïque, nommé à la place du premier à l'épiscopat.
Tandis que l'Église avait longtemps supporté ceci, les uns s'en affligeant, la plupart des autres s'en moquant, sur le conseil de quelques religieux, j'ai vivement convaincu, par la seule considération de la charité, l'archevêque de Rouen, du diocèse de qui dépend ladite Église, de la faute qu'il y avait à ne pas tenir debout en face de l'adversaire, à ne pas opposer un mur pour la maison d'Israël. J'ai agi de même avec les autres évêques suffragants de ce même métropolitain. Enfin, parce que le comte de cette terre était menacé du danger de perdre sa principauté, comme conduit à la pénitence, sur le conseil de l'évêque d'Évreux ainsi que de son métropolitain, il prescrivit que ledit évêque de Durham soit chassé de cette église avec sa progéniture et qu'un évêque y soit canoniquement élu. On proposa donc à ladite Église de se choisir un évêque selon la coutume ecclésiastique ; conseil pris avec les évêques, ils élirent un homme zélé, Guillaume, archidiacre d'Évreux, et réclamèrent de leur métropolitain qu'il soit ordonné pour être leur évêque.
Mais comme on avait entendu dire que le métropolitain avait été suspendu de l'office épiscopal, ledit archidiacre, parce qu'il était mon ami et ne voulait rien oser sciemment contre les canons, se rendit auprès de moi et délibéra avec moi pour savoir s'il pouvait, en raison de ce soupçon, recevoir l'ordination sacrée de son métropolitain, ou bien des suffragants auxquels l'autorité métropolitaine a l'habitude de prescrire ce geste. Dans cette délibération, comme il m'était venu ce mot de l'Apôtre : « Tout ce qui n'est pas fait selon la foi est péché », et celui d'Augustin : « Parce que la consécration consiste davantage dans la foi et la dévotion de celui qui réclame la bénédiction que dans le mérite de celui qui donne la bénédiction », j'ai donné audit frère le conseil de ne pas recevoir un si grand sacrement avec quelque doute, mais de consulter le siège apostolique soit par lui-même soit par ses envoyés et de mener à terme, selon l'autorité apostolique, cette affaire bien commencée, à ce qu'il nous semblait. C'est pourquoi l'évêque de Durham, voyant la consécration différée, saisit une autre forme de tergiversation et affirma que ledit évêché avait été donné par le comte de Normandie à l'un de ses clercs. Ce clerc fut donc convoqué au siège métropolitain pour exposer s'il reconnaissait avoir quelque droit sur l'évêché ; il ne put d'aucune manière assurer qu'il avait obtenu l'élection du clergé et l'assentiment du peuple, ni même qu'il avait reçu ce don du comte, qui avait dû lui nuire plus que le servir. C'est pourquoi, sur notre conseil et celui de certains de ses comprovinciaux, Guillaume est allé en présence de votre majesté pour recevoir ou un juste jugement selon la raison ou un conseil nécessaire pour sa conduite. Donc, avec l'audace d'une familiarité filiale, je suggère à votre sainteté de lui procurer la joie d'avoir trouvé une approbation paternelle auprès de votre majesté qui a pris l'habitude de ne refuser à personne qui se réfugie auprès d'elle un remède salutaire. Adieu.