Général
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Yves, évêque de Chartres
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Urbain 2, pape
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après 1090 - avant 1099
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n.c.
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Lettre
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Reverendissimo patri patrum Urbano, fidelissimus ejus filius Ivo, Carnotensium(a) dictus episcopus, non deficere in tribulationibus(1).
Quoniam per sacram vestrae manus impositionem me de stercore erectum(2) divina providentia suae messis ordinavit operarium in ipsa agri Dei cultura(3)(b) exercenda, quantum valeo, me moveo sed, tanquam formicino gressu incedens, praepediente imbecillitate mea, non quantum volo(c) promoveo ; in erogando verbi semine curam, prout divina gratia subministrat, adhibeo ; sed, quia messis multa(4) est et ab inimico homine multum zizaniorum prius seminatum vel superseminatum est(5), paucos fructus ex meo labore capere me sentio. Timens igitur triticum eradicare cum lolio et tanquam de discretione prudentis agricolae mihi blandiens multa tolero(d), multa dissimulo. Sed rursus, utrum hoc sit virtus discretionis, an(e) vitium remissionis sub specie virtutis occurrentis, non satis acute distinguo. In qua mentis anxietate, cum divinum a me studiosius imploretur auxilium, insufficientiae meae necessarium ac debitum a vestra paternitate piae orationis imploro suffragium. Neque enim aliqua ratione hoc onus subire voluissem, nisi vestra praemonuisset sanctitas, nisi ut id ipsum subirem vestra perfecisset auctoritas. Paterne igitur filio uteri vestri consulite, paterne succurrite, ut si quid per me divina manus dignata fuerit operari, non meae parvitati, sed vestrae post Deum ascribatur sanctitati. Multa enim inordinata fieri video in domo Dei quae me torquent, maxime quod apud nos qui altario(f) non serviunt, de altari(g) vivunt(6). A quo sacrilegio, cum eos absterrere velim monendo, increpando, excommunicando, altaria a me redimere volunt sub nomine personae, sicut a praedecessoribus(h) meis ex prava consuetudine redemerunt(7). In quo maxime indigeo consilio vestro, si id tolerabile vobis videtur, vel auxilio, si id(i) intolerabile judicatur. Caetera quidem tolerabilia vel corrigibilia mihi in parochia nostra videntur, si hoc consilio vestro et auxilio ad ordinem redigi cogeretur(j).
De caetero notum facio beatitudini vestrae quod Senonensis archiepiscopus consilio Parisiensis episcopi infatuatus, adhibito sibi eodem Parisiensi episcopo et duobus aliis non dissimilis vecordiae, Meldensi et Trecassino, hoc anno Stampis(8) de ordinatione, quam a vobis acceperam, me inordinate satis accusavit, dicens me in majestatem regiam offendisse, qui a(k) sede apostolica consecrationem praesumpseram accepisse. Cum itaque conarentur Gaufridum depositum(l) contra decretum vestrum in statum pristinum reformare et in me depositionis sententiam proferre, sedem apostolicam appellavi et decretis apostolicis, quamvis ea non nisi in futurum timerent(m), a sua praesumptione revocavi ; appellationem tamen nec prosequi taxaverunt, nec plenam pacem mecum habere voluerunt. Unde necessarium mihi videtur ut litteras communes tam archiepiscopo quam suffraganeis mittatis, quatenus aut plenam mecum pacem habeant, aut praesentiam vestram, rationem inde reddituri, mecum adeant(9). Suggero etiam(n) paternitati vestrae ut partibus nostris ordinetis aliquem legatum, virum boni testimonii, qui non sua quaerat, sed quae Jesu Christi(10). Necessarius enim esset Ecclesiae Dei, in qua quilibet quodlibet audet, et quod audet facit, et quod facit impunitum transit.
Adversa(o) an prospera erga vos sint, speciali filio vestro mandate, quatenus(p) quantum Dei donaverit orare studeamus ut si prospera sunt firmentur, si vero adversa pellantur. Si venerit ad vos quidam propter infamiam de ecclesia nostra pulsus(q)(11), rogo ne de eo quidquam statuatur donec a vobis causa ejus plenius audiatur. Bene valeat sanctitas vestra. Valete.
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Carnotensis T
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Dei agricultura éd. Ju
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valeo MV
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doleo T
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vel éd. Ju, aut M
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altari éd. Ju
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altario VTAu
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antecessoribus V
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om. MJVTAu
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fin de la lettre J
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quia VT
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om. V
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timerem VT
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om. VTAu
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an adversa an T
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om. V
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om. V.
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D'après Eph. 3, 13.
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Ps. 112, 7.
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D'après I Cor. 3, 9.
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Matth. 9, 36.
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D'après Matth. 13, 25, ainsi que la métaphore qui suit.
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D'après I Cor. 9, 13. En droit canonique les offrandes des autels doivent aller à ceux qui les desservent, Yves,
Décret3, 139-140. Elles sont partagées entre le clerc et l'évêque,ibid.2, 41. L'usurpation par des laïcs est un des scandales contre lesquels la réforme s'élève avec insistance.
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Le rachat des autels a été condamné au concile de Clermont en 1095, R. Somerville,
The councils of Urban II, Decreta Claramontensia, p. 72, c. 2 ; p. 75, c. 11 et 5 ; p. 109, c. 16 ; p. 111, c. 6 ; p. 114, c. 7 ; p. 122-123 et 139-140, c. 3. Le sujet revient au concile de Nîmes, juillet 1096, Labbe, t. X, col. 605-606. Urbain II,ep. 288, à l'évêque de LyonIngelrannum, PL151, col. 539. Pascal II,PL163,ep. 9, à Yves et Rannulfe, évêque de Saintes, 1100-1105, éditée aussi par Ch. Métais,Cartulaire de l'abbaye cardinale de La Trinité de Vendôme, ch. 409, etCartulaire saintongeais de l'abbaye de La Trinité de Vendôme, ch. 53. Cette pratique est considérée comme simoniaque par Geoffroy de Vendôme, lettre 203, éd. citée. M. Dillay, « Le régime de l'église privée du XIeau XIIIesiècle dans l'Anjou, le Maine, la Touraine »,Revue historique de droit français et étranger, 1925, p. 253-294, p. 280-283 sur les rachats d'autels.
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Richer, archevêque de Sens, voir lettre 2. Geoffroy de Boulogne, évêque de Paris, 1061-1095. Gautier de Chambly, évêque de Meaux, 1085-26 juillet 1102. Philippe de Pont, évêque de Troyes, 1083-1121. Le concile d'Étampes, O. Pontal, p. 218-219, avait été réuni pour décider de la déposition d'Yves. Voir aussi lettres 2 et 8.
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La seule réponse que l'on ait sur cette affaire est qu'Yves est bien resté évêque !
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Phil. 2, 21.
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Il s'agit d'un chanoine, voir lettre 25.
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a. Avranches, BM 243, 15rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 8v-9
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J. Jesus College, Q.G.5, 9
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 3rv
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T. Troyes, BM 1924, 41rv
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Au. Auxerre, BM 69, 87-88
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Ju. PL CLXII, col. 11-504, d'après Fr. Juret, Ivonis, Carnotensis episcopi, epistolae, 1585,
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Au très vénéré père des pères Urbain, son fils très fidèle Yves, dit évêque des Chartrains, ne pas défaillir dans les tribulations.
Puisque, par l'imposition sacrée de votre main, la providence divine en me relevant du fumier m'a institué ouvrier de sa moisson, je m'engage, autant que je peux, à cultiver ce champ de Dieu, mais, comme si j'avançais avec une démarche de fourmi, entravé par ma faiblesse, je ne progresse pas autant que je le veux ; j'applique mon soin, selon que la grâce divine m'y aide, à distribuer la semence de la parole ; mais parce que la misson est abondante et que beaucoup d'ivraie a d'abord été semée et même resemée par un homme ennemi, je vois que je retire peu de fruits de mon labeur. Craignant donc d'arracher le froment avec la mauvaise herbe et me flattant d'avoir pour ainsi dire le discernement d'un agriculteur prudent, je supporte beaucoup, je dissimule beaucoup. Mais je ne distingue pas avec assez d'acuité s'il s'agit de la vertu de discernement ou du vice de laxisme qui se présente sous l'aspect de la vertu. Dans cette anxiété d'esprit, tandis que j'implore l'aide divine avec insistance, j'implore de votre paternité le suffrage d'une pieuse prière, qui est nécessaire à mon insuffisance et que vous me devez. Car je n'aurais voulu pour aucun motif supporter cette charge si votre sainteté ne me l'avait recommandé, si votre autorité n'avait fait en sorte que je supporte même cela. Veillez donc paternellement sur le fils de vos entrailles, secourez-le paternellement pour que, si la main divine juge bon d'accomplir quelque chose par ma personne, ce soit attribué non à ma petitesse, mais, après Dieu, à votre sainteté. Car je vois se passer dans la maison de Dieu beaucoup de choses irrégulières qui me torturent, en particulier le fait que chez nous ceux qui ne desservent pas l'autel vivent de l'autel. Bien que je veuille les détourner de ce sacrilège en avertissant, en invectivant, en excommuniant, ils veulent racheter de moi les autels sous le nom d'une personne, comme ils les ont rachetés de mes prédécesseurs, selon une coutume dépravée. Sur ce point surtout j'ai besoin de votre conseil si ce fait vous semble tolérable, ou de votre aide si c'est jugé intolérable. Tout le reste assurément me paraît dans notre paroisse tolérable ou corrigible, si par votre conseil et votre aide on force ceci à rentrer dans l'ordre.
Par ailleurs je fais savoir à votre béatitude que l'archevêque de Sens, égaré par le conseil de l'archevêque de Paris, s'étant adjoint ledit évêque de Paris et deux autres dont il ne diffère pas dans la folie, ceux de Meaux et Troyes, m'a accusé cette année à Étampes tout à fait irrégulièrement à propos de l'ordination que j'avais reçue de vous, disant que j'avais porté offense à la majesté royale, moi qui avais eu l'audace de recevoir la consécration du siège apostolique. C'est pourquoi, comme ils s'efforçaient, à l'encontre de votre décret, de rétablir dans son état antérieur Geoffroy qui a été déposé et de proférer contre moi la sentence de déposition, j'ai fait appel au siège apostolique et je les ai fait revenir de leur présomption par les décrets apostoliques, même s'ils ne les craignent pas sauf pour l'avenir, ; cependant ils n'ont pas jugé bon de soutenir l'appel et n'ont pas voulu non plus faire une paix entière avec moi. Aussi me semble-t-il nécessaire que vous envoyiez une lettre commune tant à l'archevêque qu'à ses suffragants afin qu'ils fassent une paix entière avec moi ou qu'ils viennent avec moi en votre présence pour rendre compte à ce sujet. Je suggère aussi à votre paternité de nommer dans nos régions un légat, homme de bon témoignage, qui recherche non ce qui est son intérêt mais ce qui est de Jésus-Christ. Car il serait nécessaire pour l'Église de Dieu, où n'importe qui ose n'importe quoi et fait ce qu'il ose et achève impunément ce qu'il fait.
Que les événements vous soient contraires ou favorables, mandez-les à votre fils privilégié afin que, dans la mesure où Dieu le permettra, nous nous appliquions à prier pour que, s'ils sont favorables, ils soient affermis, s'ils sont contraires, ils soient écartés. S'il vient auprès de vous quelqu'un qui a été chassé de notre église pour infamie, je vous demande de ne rien statuer à son sujet tant que vous n'en aurez pas entendu davantage sur sa cause. Que votre sainteté se porte bien.