« yves-de-chartres-7 »


Général

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    Yves, évêque de Chartres

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    Roscelin, chanoine

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    circa 1092


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    [1092, après le concile de Soissons]

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    Lettre

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    Ivo, Dei gratia Carnotensium humilis episcopus, Roscelino(1)(a), non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem(2).

    Si esses ovis centesima in deserto perdita, sed gregi jam reddita(3), sicut exarserat in te zelus meus(4) quamdiu te intellexi aversum et adversum, sic requiesceret in te spiritus(5) meus, si te cognoscerem ad doctrinam sanam conversum et reversum(6). Sed quia scio te post concilium Suessionense(7) in auribus quorumdam quos mecum bene nosti, pristinam sententiam tuam clandestinis disputationibus studiosissime defendisse, et eamdem quam abjuraveras, et alias non minus insanas persuadere voluisse, non potest intrare in cor meum quod adhuc fidem tuam correxeris, quod mores in melius commutaveris. Si ergo ex hac occasione te afflixit et rebus tuis nudavit quorumdam violentorum rapax avaritia, non hoc ex se fecit injusta eorum violentia, sed justa et correctioni(b) tuae consulens Dei sapientia, faciens etiam per malos, quamvis nescientes, bona sua, cujus vestem scindere conabaris rationibus humanis(8) armata, sed tamen infecunda facundia(9). Cum vero multis exemplis ethici tractatoris veram constet esse sententiam(10) : « Quo semel est imbuta recens servabit odorem /Testa diu » non tamen propter me timerem vel horrerem praesentiam tuam, de te sperans meliora et saluti viciniora. Sed quidam cives nostri ad cognoscendam vitam alienam curiosi, quamvis ad corrigendam suam desidiosi, te quidem odibilem, me vero propter te suspectum haberent ; et, audito nomine tuo et pristina conversatione tua, more suo subito ad lapides(c) convolarent et lapidum aggere obrutum praefocarent(11).

    Interim igitur consulo tibi ut, assumpta patientia beati Job, quamvis longe impar, cum eo tamen dicas(12) : « Sustinebo iram Dei, quoniam merui, donec justificet causam meam. » Testificor enim tibi, si conversus ingemueris et, in simplicitate fidei degere volens, a vanitate carnalis sensus tui(13) detumueris, non deerunt tibi ubera divinae consolationis et mater Ecclesia, quae devium exasperavit paterna severitate, correctum assumet materna(d) pietate. Restat igitur ut palinodiam scribas et recantatis opprobriis vestem Domini tui, quam publice scindebas, publice resarcias, quatenus sicut multis exemplum fuisti erroris, sic de caetero fias exemplum correctionis(e). Sic enim, bono odore(14) praecedente et pristinum fetorem consumente, et a nobis et ab aliis diligi et colligi, et beneficiis poteris ampliari. Vale.


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    Carnotensis ecclesiae humilis minister Roxelino T 

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    correptioni al

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    lapidem J 

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    aeterna JT 

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    correptionis al.


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    Roscelin, né vers 1050, chanoine de Compiègne puis de Tours, Loches, Besançon, mort vers 1121. DTC 13, 2911-2915. Dictionnaire des lettres françaises, p. 1322-1323. Son hérésie concernant la Trinité, en qui il voit trois substances, fut combattue entre autres par Abélard et par Anselme de Cantorbéry, Epistolae de incarnatione Verbi, contra dicta Roscelini, L'oeuvre de saint Anselme, t. 3, Paris, 1988, p. 172-261. Lettres 35, 41, livre II (lettres 128, 129, éd. H. Rochais, Paris, 2004, p. 270-273 et L'oeuvre de saint Anselme, t. 3, p. 264 pour la lettre adressée à Foulques de Beauvais). A. Wilmart, « Le premier ouvrage de saint Anselme contre Roscelin », Recherches de théologie ancienne et médiévale, 3, 1931, p. 20-36.

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    Rom. 12, 3.

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    D'après Matth. 18, 12 ; Luc. 15, 4.

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    D'après Ps. 78, 5.

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    D'après Is. 11, 2.

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    Nous n'avons pu rendre que maladroitement le quadruple jeu de mot aversum, adversum, conversum et reversum.

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    O. Pontal, Les conciles de la France capétienne, p. 219. On accusait Roscelin de professer qu'il y avait trois dieux.

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    Abélard pense que le dogme de la Trinité est rattaché à la révélation et ne peut être compris par des rationes. Scindere vestem, I Reg. 21, 27.

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    Même jeu de mot lettre 207.

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    Horace, Epistulae, I, 2, v. 69-70.

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    Allusion aux lapidations bibliques, Ex., Lev.,passim.

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    Ce n'est pas une citation exacte, d'après Job, c. 6, 2 et 11 ; causam meam est plutôt emprunté aux Psaumes.

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    Eph. 4, 17.

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    II Cor. 2, 15.


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    a. Avranches, BM 243, 11v-12


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    M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 6rv


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    J. Jesus College, Q.G.5, 31v-32


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    T. Troyes, BM 1924, 73rv


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    Au. Auxerre, BM 69, 4v-5



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    Yves, par la grâce de Dieu humble évêque des Chartrains, à Roscelin, ne pas être plus sage qu'il ne faut l'être, mais être sage avec modération.

    Si tu étais la centième brebis perdue dans le désert, mais déjà ramenée au troupeau, de même que mon zèle avait brûlé pour toi aussi longtemps que je t'ai vu détourné et adverse, de même mon esprit reposerait en toi si je te savais converti et retourné à une saine doctrine. Mais parce que je sais qu'après le concile de Soissons tu as, aux oreilles de certains que tu connais aussi bien que moi, défendu avec le plus grand zèle ton ancienne opinion en des discussions secrètes, et que tu as voulu convaincre de cette même opinion que tu avais abjurée et d'autres non moins insensées, il ne peut me venir à l'esprit que tu as maintenant corrigé ta croyance, que tu as réformé tes principes. Si donc en cette occasion l'avarice rapace de quelques hommes violents t'a affligé et t'a dépouillé de tes biens, leur injuste violence n'a pas agi d'elle-même, mais c'est le fait de la sagesse de Dieu, juste et soucieuse de ta correction, qui fait ses bonnes actions même par l'intermédiaire des méchants, bien qu'à leur insu, sagesse dont tu t'efforçais de couper le vêtement avec ta faconde armée de raisonnements humains, mais pourtant inféconde. Et bien qu'il soit évident d'après de nombreux exemples que cette sentence du moraliste est vraie : « Le vase conservera longtemps l'odeur dont il vient d'être imprégné une fois », ce n'est cependant pas pour moi que je craindrais ou redouterais ta présence, espérant de toi des choses meilleures et plus proches du salut. Mais certains de nos concitoyens, curieux de connaître la vie d'autrui, bien que peu soucieux de corriger la leur, te tiendraient assurément pour haïssable et me tiendraient pour suspect à cause de toi ; et en entendant ton nom et ta conduite passée ils se précipiteraient selon leur coutume sur des pierres et t'étoufferaient écrasé sous un entassement de pierres.

    D'ici là je te conseille donc, revêtu de la patience du bienheureux Job, même si tu es loin de l'égaler, de dire avec lui : « Je supporterai la colère de Dieu, puisque je l'ai méritée, jusqu'à ce qu'il rende justice à ma cause. » Car, je te l'atteste, si tu gémis converti et, voulant passer ta vie dans la simplicité de la foi, si tu te dégonfles de la vanité de ton sentiment charnel, les mamelles de la consolation divine ne te feront pas défaut et ta mère l'Église qui, égaré, t'a harcelé avec une sévérité paternelle te recevra, amendé, avec une piété maternelle. Il te reste donc à écrire une rétractation et, retirant tes outrages, à réparer publiquement le vêtement de ton Seigneur que tu déchirais publiquement, pour que, de même que tu as été pour beaucoup exemple d'erreur, tu deviennes ainsi dorénavant exemple de correction. Car ainsi, comme une bonne odeur te précédera et absorbera l'ancienne puanteur, tu pourras être aimé et accueilli par nous et par d'autres et être comblé de bienfaits. Adieu

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Informations

Acte

admin ydc (IRHT), dans  Yves de Chartres

Lettres d'Yves de Chartres, éd. G. Giordanengo (agrégée de l'Université), éd. électronique TELMA (IRHT), Orléans, 2017 [en ligne], acte n. 20944 (yves-de-chartres-7), http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/yves-de-chartres/notice/20944 (mise à jour : 29/06/2018).