Général
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Yves, évêque de Chartres
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Pascal 2, pape
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circa 1100
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[vers 1100]
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Lettre
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Domno et omni veneratione dignissimo Paschali, summo pontifici, Ivo, humilis ejus filius(a), omnis obedientiae affectum et effectum.
Audivi nescio quorum falsidicorum delatione ad aures sanctitatis vestrae pervenisse domnum Hilgotum, quondam Suessionensem episcopum(1), pro certis criminibus depositum(2) ad monasterium confugisse. Quod absit ut credat sanctitas vestra ! Nulla enim infamia denotatus, nulla criminali accusatione pulsatus, propter praelatorum pericula, quae jam expertus fuerat se salubriter ferre non posse, episcopatui renuntiavit, et ad portum monasterii confugiens de naufragio hujus mundi nudus evasit(3). Eram quippe tunc temporis presbyter Belvaci in quadam regulari Ecclesia(4), ipse autem mihi familiaris erat propter aliquam quam in me aestimabat pietatis formam. Per me enim transivit(5), in auribus meis coram Deo totum se effudit, ad ultimum propositum suum(b) aperuit ; et cum ei licet leniter resisterem et ut in regimine sibi commisso persisteret multis modis persuaderem, multis verbis ultro citroque habitis, summa fuit consilii sui se malle in loco humili salvari quam in alto periclitari(6). Visa itaque animi ejus constantia, quod vir tantae nobilitatis et tantae felicitatis ita mundum calcaret et sub leve Christi jugum(7) confugeret, approbavi intentionem ejus, et qui me fecerat conscientiae suae judicem habuit de caetero sui propositi laudatorem. Qualiter autem in monasterio postea sit conversatus, dicant vobis qui noverunt, qui etiam, approbata conversationis ejus experientia, in patrem sibi eum elegerunt. In quo nihil aliud opponunt, quibus plus displicet bonum insolitum quam malum inolitum(c), nisi quod episcopali dignitati indigna fiet injuria, si qui episcopus fuit fiat archimandrita(8). Dicunt enim : « Non potest esse abbas si non benedicatur. Si autem benedicitur, episcopali benedictioni vehemens injuria irrogatur. »
In quibus omnibus vestra est exspectanda est censura, vestra est tenenda sententia. Nam quidquid horum decernere(d) velit apostolici culminis praerogativa, nulla episcopali sacramento nobis fieri videbitur injuria, cum abbatis benedictio nulla sit sacramenti repetitio, vel hujus benedictionis abstinentia non impediat virum ad hoc electum ad procuranda bona spiritualia vel temporalia(9). Quod quam multis modernorum et antiquorum Patrum probari possit exemplis novit vestra prudentia. Haec(e) suggerere volui sanctitati vestrae, ut non omni spiritui credatis(10), nec de honesta persona inhonesta murmurantibus aurem facile praebeatis. Valete.
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h. c. e. m T
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mihi T
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insolitum VT
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discernere V
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hoc VT.
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Évêque de 1085 à 1087. Parti à Marmoutier en 1088, il garda son titre d'évêque, titre sous lequel on le voit apparaître dans une charte de Saint-Martin de Chamars en 1092. Il devint abbé de Marmoutier en 1100 jusqu'en 1104, d'après L. Merlet,
Lettres, p. 182, ou de 1102 à 1106, d'après M. Bur,Le comté de Champagne, p. 227-228.GCX, inst. 100, n°6.
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Expression canonique, Yves,
Décret5, 263 ; 6, 224.
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De naufragio nudus evasit, Jérôme,Commentaire sur l'Ecclésiaste, 4, 2-3,CCSL72, p. 284 (PL23, col. 1044).Ex hujus mundi naufragio nudus evasit, Paul Diacre,Vie de Grégoire le Grand, § 5,PL75, col. 43 et Jean Diacre,ibid., col. 65 et 252.
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Chapitre de Saint-Quentin de Beauvais dont Yves fut supérieur de 1078 à 1090.
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Cette phrase est constituée d'expressions bibliques :
per me transire, Num. 20, 18 ; Ps. 88, 16 ;in auribusmeis, I Sam. 15, 14 ; Job 33, 8 etpassim;coram Deo, Dan. 6, 10 ; II Cor. 4, 2, etc.
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Suivant le précepte évangélique, Marc. 8, 36 ; Luc. 9, 25.
In loco humili, Ambroise,In Luc., 5, 6.
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Matth. 11, 30.
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Pourquoi l'emploi de ce mot plutôt que
abbas? Le terme apparaît trois fois dans leDécret,Prologue, éd. J. Werckmeister, § 35, p. 101,Décret3, 183 et 7, 157. Ce qui est interdit par le droit canonique, c'est le cumul, concile de Clermont,Nemo episcopus et abbas simul sit, R. Somerville,Decreta Claromontensia, p. 91. Un évêque devenu moine ne peut revenir au pontificat d'après le synode de Constantinople sous Jean VIII. Yves,Décret7, 149 (Pseudosynodus Photiana an.879, Gratien, 7, 1, 45).
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Pour les textes concernant la bénédiction, voir lettre 73.
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I Joh. 4, 1.
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a. Avranches, BM 243, 55rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 36v-37
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V. Vatican, Reg. Lat. 147, 18rv
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T. Troyes, BM 1924, 95rv
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Au. Auxerre, BM 69, 41v-42
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Au seigneur et très digne de toute vénération Pascal, souverain pontife, Yves, son humble fils, sentiment et accomplissement de totale obéissance.
J'ai appris que par la délation de je ne sais quels menteurs il est parvenu aux oreilles de votre sainteté que le seigneur Hilgot, ancien évêque de Soissons, déposé pour des crimes avérés, avait fui vers un monastère. Que votre sainteté se garde de le croire ! Car ce n'est flétri par aucune infamie, chassé par aucune accusation criminelle qu'il a renoncé à l'épiscopat, mais à cause des dangers qu'encourent les prélats, qu'il savait déjà d'expérience ne pouvoir supporter convenablement, et en fuyant vers le port d'un monastère il s'est sauvé nu du naufrage de ce monde. J'étais précisément en ce temps-là prêtre à Beauvais dans une église régulière et il m'était tout à fait proche à cause d'une certaine forme de piété qu'il appréciait en moi. En effet il est passé par moi, il s'est épanché tout entier dans mes oreilles devant Dieu, il s'est ouvert à moi de son dernier projet ; et comme je lui résistais, quoique doucement, et que je le persuadais par de nombreux moyens de persister dans le gouvernement qui lui avait été confié, après de nombreux propos tenus de part et d'autre, le résultat de sa décision fut qu'il aimait mieux être sauvé dans un lieu humble qu'être en danger dans un lieu élevé. C'est pourquoi ayant considéré la constance de son âme, le fait qu'un homme d'une si grande noblesse, d'une si grande réussite foule ainsi aux pieds le monde et fuie sous le joug léger du Christ, j'ai approuvé son intention, et lui qui m'avait fait juge de sa conscience a désormais trouvé en moi un approbateur de son projet. Or comment ensuite il s'est comporté dans le monastère, que vous le disent ceux qui l'ont connu, qui l'ont même élu pour leur père après avoir approuvé la pratique de sa vie religieuse. Ceux à qui déplaît davantage un bien inusité qu'un mal enraciné ne lui reprochent rien d'autre que le fait que ce serait une injure indigne de la dignité épiscopale si celui qui a été évêque devenait abbé. Ils disent en effet : « On ne peut être abbé sans bénédiction. Or s'il est béni, une violente injure est infligée à la bénédiction épiscopale. »
Sur tous ces points votre jugement doit être attendu, votre décision doit être suivie. Car quoi que veuille décider la primauté du pouvoir apostolique, aucune injure ne nous semblera être portée au sacrement épiscopal, puisque la bénédiction de l'abbé n'est nullement réitération d'un sacrement et que l'absence de cette bénédiction n'empêche pas un homme élu à cette charge d'administrer les biens spirituels ou temporels. Votre prudence sait par combien d'exemples de Pères modernes et anciens on peut le prouver. J'ai voulu porter ces remarques à votre sainteté pour que vous ne fassiez pas confiance à n'importe quel esprit et que vous ne prêtiez pas facilement l'oreille à ceux qui murmurent des paroles malhonnêtes sur une personne honnête. Adieu.