Général
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Yves, évêque de Chartres
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Urbain 2, pape
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[entre le 28 décembre 1097 et le 1er mars 1098]
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Lettre
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Urbano, summo pontifici, Ivo, minimus sanctitatis suae filius, misericordiam et judicium(1).
Audivi dulcedinem vestram in me amaricatam, serenitatem vestram adversum me turbatam ; audivi et conturbatus est venter meus et ossa mea conturbata sunt(2). Et diligenter consului memoriam meam quid dixerim, quid fecerim, unde mansuetudinem vestram exasperaverim. Nec occurrit mihi, nisi quod dixerunt mihi quidam quasdam litteras me composuisse adversus Romanam disceptantes Ecclesiam, quas miseram legato vestro Lugdunensi archiepiscopo pro causa Senonensis electi(3). Sed cum has apud me reperiens diligenter perlegissem(4), multa ibi pro Romana Ecclesia, nihil contra Romanam Ecclesiam in his scriptum intellexi, nisi forte quis, ad voluntatem scriptoris non accedens et unam faciem castorum eloquiorum non attendens(5), dicat, quod absit !, authentica scripta sibi invicem adversari et auctoritatem auctoritate impugnari, cum multa dissona ibi legantur, nisi suo modo intelligantur et ad sententiam scriptoris accommodentur. In his enim litteris, sicut testis est mihi conscientia mea(6) et ipsarum tenor litterarum, nihil aliud intendi nisi quod, propter crebras invectiones ac murmurationes adversus(a) Romanam Ecclesiam quibus quotidie tinniunt aures meae(7), per domnum Lugdunensem archiepiscopum, cui consilia vestra committitis sollicitudinem vestram, volui esse praemunitam quatenus cum vicariis vestris sic vestra decreta libraretis ut Ecclesia non gravaretur et eorumdem transgressor, sua sententia multatus, aliis se corrigendi exemplum praeberetur et fama vestra illibata servaretur. Hic simplex oculus(8) totum defendit corpus illarum litterarum.
Sed quia domno Lugdunensi archiepiscopo quaedam ibi verba durius quam vellet sonuerunt, maxime de primatu Lugdunensi, postposita intentione scriptoris in hoc solum(b) quod tunc affectus fuit, participem vos suae amaritudinis fieri voluit. Liceat cuique dicere quod sentit. Ego de me sentio quod non est aliqua persona transmontana quae, pro fidelitate vestra, pro assertione praeceptorum vestrorum, tot contumelias pertulerit, tot injurias acceperit. Sed quia illa verba quacumque occasione animum vestrum exacerbaverint, non est meum adversum vos intrare in judicium. Malo enim episcopatui(c) renuntiare quam iram vestram juste vel injuste sustinere. Haec satisfactio si placet vestrae paternitati, placet et meae parvitati. Hanc si placet, accipite ; si plus placet, plus addite. Si desisto vester esse servus, non desistam vester esse filius et, sicut expertus sum ante episcopatum, plus potero prodesse in Ecclesia Dei exemplo privatus quam verbo praelatus. Gratissimum enim est mihi nudum nudam Christi crucem portare(9) et illo uberrimo et amplissimo praedio contentum in quo amor paupertatis copiosos, amor divitiarum facit aerumnosos.
Ecce jam hoc transacto septennio vineam mihi commissam pro posse meo excolui(10), stercora etiam circumposui, fructum autem quem quaerebam non inveni(11). Detur ergo mihi libertas octavo anno ut hoc principium verae(d) octavae aggrediar, ut possim mihi sabbatizare, dulces fructus contemplationis carpere et octavae illius gaudia praelibare(12). Quod si vestra permissione id modo non facio, necessitate tamen me oportebit id facere propter renovatas in me veteri de causa regis inimicitias et propter parrochianos meos contemptores verbi Dei, qui proni sunt solis terrenis inhiare, numquam autem parati sursum cor(13) levare, qui neque propter timorem Dei, neque propter ruborem temporalis excommunicationis, sacrilegia quae perpetrant in ecclesiis volunt dimittere, nec justitiam Dei recognoscere. Per portitorem ergo praesentium quod vobis placet mihi rescribite(e) et, si petitioni meae acquiescitis, in vestra manu me retinete, ne possint me pseudoepiscopi pro libitu suo fatigare.
De caetero, quidquid de me fiat, obsecro vos per charitatem Christi ut, si Turonensis archiepiscopus vel aliquis Aurelianensis clericus pro electione pueri sui ad vos venerit, non ei aurem praebeatis. Cujus dotes ut vobis breviter amplectar(14), persona est ignominiosa et de inhonesta familiaritate Turonensis archiepiscopi et fratris ejus defuncti multorumque aliorum inhoneste viventium, per urbes Franciae turpissime diffamata. Quidam enim concubi(f) sui, appellantes eum Floram, multas rythmicas cantilenas de eo composuerunt, quae a foedis adolescentibus, sicut nostis miseriam terrae illius, per urbes Franciae in plateis et compitis cantitantur, quas et ipse aliquando cantitare et coram se cantitari non erubuit. Harum unam domno Lugdunensi in testimonium misi, quam cuidam eam cantitanti violenter abstuli. Providendo itaque vestrae honestati et Ecclesiae utilitati, numquam eum consecrari permittatis, ne Ecclesiam Dei prostibulum publicum et speluncam latronum faciatis. Sciatis etiam quia Turonensis archiepiscopus contra interdictum legati vestri in Natale Domini regi coronam imposuit et ut iste episcopus fieret hac mercede promeruit. Et ut sciatis puerilem fuisse electionem(15), quidam etiam de eligentibus in Natale Innocentium in eligendo ita jocatus est :
« Eligimus puerum, puerorum festa colentes,
Non nostrum morem, sed regis jussa sequentes. »
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adversum AMTAu
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in hoc solum] secundum éd. Ju
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omni episcopatui éd.éd. L
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vere ATAu
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et si petitioni...colentes om. M
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concubi ATAu éd. L.
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Ps. 100, 1.
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Ps. 30, 10-11.
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Il s'agit de la lettre 60.
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Preuve qu'Yves gardait copie des lettres qu'il envoyait.
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Augustin,
Confessions, l. 7, ch. 21, 27, éd. P. de Labriolle, t. 1, p. 171, d'après Ps. 11, 7. L'expression est employée dans lePrologue, § 6, avec la variantesacrorumau lieu decastorum, éd. citée, p. 68. Voir aussi lettre 222 où cette citation sert d'adresse.
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D'après Rom. 9, 1.
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D'après Jer. 19, 3.
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Matth. 6, 22. Voir lettre 189.
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His contentus ero et nudam crucem nudus sequar, Jérôme,ep. ad Nepotianum, lettre 52, 5, éd. J. Labourt, t. 2, p. 178. L'expression devenue presque proverbiale a été reprise par divers auteurs.
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Yves a été élu en 1089, consacré en novembre 1090. Les sept années ne donnent donc pas une date sûre pour cette lettre. Mais le contexte semble prouver qu'elle a été écrite à la même date que la précédente, entre l'élection et la consécration de Jean d'Orléans.
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D'après la parabole du figuier stérile, Luc. 13, 6-9.
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Expresssions bibliques (
sabbatizareLev. 25, 2 et 26, 35 ;fructus dulcisCant. 2, 3). L'aspiration au repos est untopos, voir lettre 110 par exemple.
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Cf. préface de la messe.
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Voir la lettre précédente, dont cette fin de lettre résume les arguments et reprend les citations.
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Yves a accumulé les preuves que cette élection n'a rien de canonique. Elle est entachée de simonie, l'élu n'est pas digne, n'a pas l'âge requis : il faut avoir 30 ans pour être évêque, concile de Laodicée, c. 14. Yves,
Décret6, 29.
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a. Avranches, BM 243, 44rv
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M. Montpellier, Ecole de médecine H 231, 28v-29
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T. Troyes, BM 1924, 91v-93
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Au. Auxerre, BM 69, 32-33
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L. Lettres de saint Ives évêque de Chartres traduites et annotées par L. Merlet, Chartres, 1885,
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À Urbain, souverain pontife, Yves, le plus petit fils de sa sainteté, miséricorde et jugement.
J'ai entendu dire que votre douceur était amère à mon égard, que votre sérénité était troublée contre moi ; j'ai appris et mon ventre a été troublé et mes os ont été troublés. Et j'ai consulté avec soin ma mémoire pour savoir ce que j'avais dit, ce que j'avais fait pour exaspérer votre mansuétude. Et il ne m'est rien venu à l'esprit, sauf que certains m'ont dit que j'avais composé certaine lettre contestant l'Église romaine, que j'avais envoyée à votre légat l'archevêque de Lyon à propos de l'affaire de l'élu de Sens. Mais comme, la trouvant auprès de moi, je l'avais relue avec soin, je me suis rendu compte qu'il y était écrit beaucoup de choses pour l'Église romaine et rien contre l'Église romaine, à moins que quelqu'un, sans se conformer à la volonté du rédacteur et sans faire attention à l'unique visage des chastes paroles, ne dise, à Dieu ne plaise !, que les écrits authentiques s'opposent entre eux et que l'autorité est combattue par l'autorité, puisqu'on y lirait beaucoup de choses discordantes si elles n'étaient pas comprises dans leur sens ni adaptées au point de vue du rédacteur. Car dans cette lettre, comme m'en est témoin ma conscience et la teneur de cette même lettre, je n'ai tendu à rien d'autre, à cause des invectives et des plaintes incessantes contre l'Église romaine dont tintent quotidiennement mes oreilles, qu'à vouloir que votre sollicitude, par le seigneur archevêque de Lyon à qui vous avez remis vos décisions, soit préparée pour qu'avec vos vicaires vous pesiez vos décrets de sorte que l'Église ne soit pas accablée et que le transgresseur de ces décrets, frappé par leur sentence, offre aux autres un exemple de correction et que votre renommée soit conservée intacte. Cet œil simple défend tout le corps de cette lettre.
Mais parce que pour l'archevêque de Lyon certaines paroles y ont résonné plus durement qu'il n'aurait voulu, surtout à propos de la primatie de Lyon, négligeant l'intention du rédacteur pour cette seule chose qui l'a alors affecté, il a voulu vous faire participer à son amertume. Qu'il soit permis à chacun de dire ce qu'il pense. Moi, je pense de moi qu'il n'est aucune autre personne habitant au-delà des monts qui par fidélité envers vous a pour l'affirmation de vos préceptes supporté tant d'offenses, subi tant d'injustices. Mais puisque ces mots pour une raison quelconque ont irrité votre âme, il ne m'appartient pas d'entrer en jugement contre vous. Car je préfère renoncer à l'épiscopat qu'encourir justement ou injustement votre colère. Si cette satisfaction plaît à votre paternité, elle plaît aussi à ma petitesse. Si elle vous plaît, acceptez-la ; s'il vous plaît d'en avoir plus, ajoutez-en plus. Si je renonce à être votre serviteur, je ne renoncerai pas à être votre fils et, comme j'en ai fait l'expérience avant mon épiscopat, je pourrai dans l'Église de Dieu être plus utile par mon exemple en tant qu'homme privé que par ma parole en tant que prélat. Je suis très reconnaissant de porter nu la croix nue du Christ et de me contenter de cette très riche et très vaste possession dans laquelle l'amour de la pauvreté fait des comblés et l'amour des richesses des malheureux.
Voici que depuis déjà sept ans passés j'ai cultivé selon mon pouvoir la vigne qui m'a été confiée, que je l'ai aussi entourée de fumier, mais je n'ai pas trouvé le fruit que je recherchais. Que la liberté me soit donc donnée pour la huitième année d'entreprendre le début d'une vraie octave, de pouvoir me reposer, de jouir des doux fruits de la contemplation et de goûter à l'avance les joies de cette octave. Si je ne le fais pas à présent avec votre permission, il me faudra cependant le faire par nécessité à cause des inimitiés du roi qui renaissent contre moi au sujet d'une vieille affaire et à cause de mes paroissiens contempteurs de la parole de Dieu, qui sont enclins à aspirer aux seuls biens terrestres, mais ne sont jamais prêts à élever leur cœur, eux qui ni par crainte de Dieu, ni par honte d'une excommunication temporelle ne veulent ni cesser les sacrilèges qu'ils commettent dans les églises ni reconnaître la justice de Dieu. Récrivez-moi donc par le porteur de la présente ce que vous décidez et si vous acquiescez à ma demande retenez-moi en votre pouvoir pour que les pseudo-évêques ne puissent me harceler à leur gré.
Par ailleurs, quoi qu'il arrive de moi, je vous supplie par la charité du Christ, si l'archevêque de Tours ou un clerc d'Orléans venait vers vous pour l'élection de leur enfant, de ne pas lui prêter l'oreille. Pour vous faire brièvement le tour de ses mérites, c'est une personne ignomineuse et d'une familiarité indécente avec l'archevêque de Tours et son frère défunt et avec beaucoup d'autres qui vivent dans l'indécence, divulguée de la manière la plus honteuse dans toutes les villes de France. Car certains de ses amants, l'appelant Flora, ont composé sur lui de nombreuses chansons rythmiques, qui sont partout chantées par des jeunes gens dépravés – vous connaissez la misère de cette terre ‑ dans les villes de France sur les places et aux carrefours et que lui-même n'a pas rougi de chanter parfois et d'entendre chanter devant lui. J'ai envoyé comme preuve à l'archevêque de Lyon l'une d'entre elles que j'ai arrachée de force à quelqu'un qui la chantait. C'est pourquoi, veillant à votre honneur et à l'intérêt de l'Église, ne permettez jamais qu'il soit consacré, de peur que vous ne transformiez la maison de Dieu en lieu public de prostitution et en caverne de voleurs.
Sachez aussi que l'archevêque de Tours, malgré l'interdit de votre légat, a couronné le roi à Noël et a obtenu par ce marché que ce vaurien devienne évêque. Et pour que vous sachiez que cette élection fut puérile, quelqu'un même parmi ceux qui l'élisaient le jour de la fête des Innocents plaisanta ainsi en l'élisant :
« Nous élisons un enfant, des enfants célébrant les fêtes,
Suivant non notre coutume, mais les ordres du roi. »